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  Sujet: Voyage dans le passé
Kazy

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MessageForum: Fan- Fictions (Francais)   Posté le: 07 Juil 2003 06:24 pm   Sujet: Voyage dans le passé
Ils sont beaux et très connus.

" Un blond à la belle gueule qui commence par Win, un brun sexy qui commence par O, et un soviétique plutôt baraqué qui parle bien l’anglais ? "

Mais eux, sont si dangereux.

" Il la tuerait ce soir. "

Ils ont un plan, et nos héros sont obligés de les suivre…

" Ou ils changent le monde et tout espoir sera réduit à néant, ou on les suit grâce aux informations que nous avons, pour préserver notre monde suffisamment pourri comme ça… Vous m’accompagnez ? "

Mais vont-ils arriver à la sauver ?

" – Je n’ai pas fait tout ce chemin pour la voir se faire tuer sans rien faire ! "

Quel est son passé ?

" Finalement, ils ne savaient même pas la moitié du tiers du quart de la moitié de la vie de la jeune femme. "

Car un jour il la rattrape…

" Passé dont ils ne savaient rien. Que dalle ! "

Et les autres se posent des questions…

" - De quoi nous dérouter, et se poser pas mal de questions auxquelles tu as plus ou moins répondu lorsque tu avais 15 ans…"

Auxquelles elle ne veut pas répondre.

" Elle n’avait jamais voulu leur en parler, et les seules fois où elle leur avait répondu, c’était par un « ça ne vous regarde pas ! » suffisamment explicite pour ne pas leur donner envie de continuer. "

Car pour sauver la femme qu’il aime,

"- Ames sœur, ok…"

il ira jusqu’au bout…

" – Et ce n’est pas parce que dans le passé –et même dans le futur– elle ne veut pas de mon aide que je la laisserai tomber ! "

Même si elle ne le croit pas…

" Tu dis ça parce que je vais mourir…"

Il ira là où elle ne l’attendait pas.

"- Vous êtes allés dans mon passé ? "

De l’action…

" Mais dès qu’il la reposa, il se prit le genoux de l'adolescente dans des parties qui auraient pu servir pour plus tard, et qui avait déjà pas mal servies… "

De l’amour…

" Il la prit par les hanches, et la fit basculer dans ses bras, où il l’embrassa fougueusement. "

Des révélations…

" Ainsi, si elle était restée lorsque Largo lui avait clairement indiqué la porte, c’était pour ne pas faillir à sa promesse ? "

De l’humour…

" Et l'histoire de PFUIT le dinosaure ? "

Dans ce monde sans foi ni loi, où règne l’obligation de survie, nos amis devront faire, un

VOYAGE DANS LE PASSE


- Vite ! Vite ! Emmenez-là en bloc 3 ! ordonna le chirurgien
- Que se passe-t-il ? questionna l’infirmière
- Femme de 27 ans, balle logée dans le dos, évanouie depuis dix minutes…
- Elle a tenu aussi longtemps ?
- J’ai été étonné moi aussi, et c’est pour ça qu’il ne faudrait pas gâcher tous ces efforts !
- Messieurs, je vais vous demander de bien vouloir attendre ici, vous n’êtes pas autorisé à passer cette porte.
- Sauvez-la, je vous en supplie, j’ai les moyens, je veux les meilleurs soins… supplia un des trois garçons qui accompagnaient la jeune femme
- Ne vous inquiétez pas, mais laissez-nous faire notre travail, s’il vous plaît… Attendez dans la salle d’attente !
- Oui… Oui… J’y vais…
- Allez, viens Largo, on ne peut plus rien faire pour le moment…
- Tu es sûr ?
- Mais oui, ne t’inquiète pas…

Largo s’assit sur le premier siège qu’il aperçut, suivi de près par Simon et Kerensky. Joy était entre la vie et la mort, et ils n’avaient rien pu faire. Mais pour mieux comprendre ce qu’il se passe, nous allons revenir une semaine auparavant…

Largo avait appris que sa société de recherche avait trouvé un moyen d’aller dans le passé. Au début, il les avait pris pour des mythomanes sortis d’un hôpital psychiatrique, mais lorsque le technicien lui avait montré –non sans réticences– un disque vinyle introuvable à notre époque, il y avait cru, même si Joy et Kerensky le prenait pour un dingue de supposer que « ce genre d’idioties pour gamins de maternelle… » soit vraies. Il n’y avait qu’un seul plan de la machine conçue, qui elle, avait été créée en deux exemplaires. Et le technicien avait vendu les plans à une personne qui l’avait payée le triple que ce que Largo lui offrait. C’était à un certain Timothée Pitot, qui leur avait donné rendez-vous dans l’usine de Largo. Joy lui avait dit que c’était une mauvaise idée, et lui avait déconseillé de le faire, mais il avait préféré ignorer la remarque de son ex, et lui avait demandé de l’accompagner quand même. Finalement, elle avait accepté. Mais comme Joy l’avait prévu, c’était un piège, et le Timothée Pitot en question, était en fait mort depuis deux jours. Le type s’appelait réellement Fred Cherry, et était un tueur à gage très réputé, qui savait qu’il n’aurait pas la paix tant que Largo serait en vie. Il l’avait menacé, mais Largo n’avait pas cédé. Et Cherry avait tiré. Mais pas assez rapidement, puisque Joy avait eu le temps de le désarmer, et de l’assommer. Mais elle n’avait pas prévu que Cherry aurait pu avoir un complice…

- Mais non, Joy, tu deviens parano, ce type ne peut pas être un tueur ! dit Joy ironiquement
- Et là, elle n’avait pas tort, tu t’es trompé en beauté mon gars ! ajouta Simon par le biais de la radio
- C’est bon, c’est bon, j’ai compris, pas la peine d’en rajouter ! se plaignit le milliardaire

Il tenait Joy par la main, qui n’eut pas le temps de la retirer puisqu’il l’embrassa rapidement sans lui laisser le temps de faire quoi que ce soit. Et puis elle avait pris le parti d’en rire. Mais son rire s’arrêta lorsqu’ils entendirent un bruit sourd. Les yeux de Joy se figèrent, et elle serra brièvement, mais puissamment, la main de Largo, qui la regarda et lui demanda :

- C’était quoi ça ?
- Largo…
- Joy ?
- Largo…

Sa voix était faible, et semblait venir de loin. Elle posa sa main sur son ventre, et la regarda : du sang dégoulinait. Elle lâcha la main de Largo et tomba à genoux. Et soudain il le vit. L’homme qui lui avait tiré dessus, de dos en plus. Il fuyait. Mais Largo n’y fit pas plus attention, et regarda Joy. Elle était étendue par terre, et tremblait. Il n’entendait pas non plus les cris de Simon et de Kerensky qui lui demandaient ce qui se passait :

- Quoi ? Largo, qu’est-ce qui se passe ? Joy ? Largo ? Qu’est-ce qu’il y a ?
- Joy… ; suppliait Largo ; Joy, réponds ! Je t’en supplie !
- Lar… go…
- Mais qu’est-ce qui se passe ?
- Appelez une ambulance ! Vite ! Elle… On… On lui a tiré dessus ! Vite ! Joy, il faut que tu tiennes, tu entends ?
- Lar… go… Je… J’ai… mal…
- Je suis désolé ! C’est de ma faute, j’aurai dû t’écouter… Pardonne-moi…
- Je… Il faut… que… je te dise…
- Quoi ?
- Je… Je…
- Non, ne dis rien, tu auras le temps quand tu me hurleras dessus parce que je ne t’ai pas prévenu que je sortais…

Il n’aimait pas ça. Pas ça du tout. Cette scène lui rappelait Montréal, et il n’avait pas la moindre envie que ça finisse mal. Il fallait qu’elle s’en sorte.

- Je… Je ne… tiendrai pas…
- Mais si ! Ce n’est qu’une toute petite égratignure de rien du tout…
- Je…
- Chut ! Il ne faut pas que tu dormes, mais il ne faut pas non plus que tu parles…
- J’ai… froid…

Il retira sa veste et la mit sur Joy. Il avait peur. Peur que tout recommence comme avant. Peur des heures d’attentes dans des salles déprimantes, peur des diagnostiques des médecins plus pessimistes les uns que les autres… Il ne voulait pas que tout recommence, la douleur, la peine, la peur de la perdre, que sa vie n’ait plus aucun sens si elle mourait, de devoir aller la voir à l’hôpital où il avait déjà accompagné Simon lors de sa greffe. Peur de la perdre. Il ne voulait pas. Il fallait qu’elle tienne.
Les autres aussi étaient effrayés, et, après avoir appelé une ambulance et pris les micros, étaient montés dans la voiture.

- Joy, t’as pas le droit de m’abandonner…
- Largo…

Et ils entendirent une phrase qu’ils espéraient que Largo dise à Joy depuis longtemps :

- Non, t’as pas le droit de mourir, parce que je t’aime…
- Tu… dis ça… parce que je vais mourir…
- Non, je te dis ça parce que je le pense…

Les ambulances arrivaient, et Joy commençait à sombrer dans un état léthargique, signe qu’elle s’affaiblissait, et qu’elle approchait encore une fois de la mort. Chose qui fit encore plus peur à Largo, qui se pencha vers elle et déposa un baiser sur ses lèvres.

- Je t’en prie, ne m’abandonne pas… Qui remettra Simon à sa place sinon ?
- Kerensky…
- Et qui embêtera Kerensky ?
- Simon…
- Et qui m’empêchera de n’en faire qu’à ma tête ?
- Personne… n’a jamais… réussi…
- Joy !
- Monsieur, poussez vous s’il vous plaît ! lui demanda un infirmier
- Largo ! JOY ! criaient Simon et Kerensky en courant
- Bats-toi, Joy ! la supplia Largo

Mais elle ne répondit pas. Ses yeux étaient fermés, et les médecins lui demandaient s’il voulait monter avec eux.

Voilà comment tout s’était passé. Tout était de sa faute. Il aurait dû l’écouter. Mais comme d’habitude, il n’en avait fait qu’à sa tête… Et elle se retrouvait dans un bloc opératoire. Encore. Ils attendirent deux heures, entre soupirs, cafés et coups de pieds dans le pauvre percolateur qui n’avait pourtant rien fait pour mériter un tel acharnement. Si Kerensky soupirait toutes les deux minutes, et si Simon s'excitait sur la machine à café, Largo, lui, demeurait plongé dans ses pensées, plus noires les unes que les autres. Lorsque le chirurgien arriva. Il retira ses gants tâchés, ou plutôt recouverts de sang :

- Vous êtes de la famille ?
- Oui, mentirent-ils à l’unisson
- Alors ? demanda Largo anxieux de connaître la réponse
- Alors votre amie s’en tire sans grand dommage. Elle dort pour le moment, et je peux vous dire qu’elle a eu beaucoup de chance. Elle est sous analgésiques pour le moment, et elle dort.
- Mais… continua Kerensky qui pensait que c’était trop beau pour être vrai
- Mais elle a perdu beaucoup de sang…
- Et… poursuivit Simon
- Et il lui faut une transfusion sanguine.
- Attendez… Vous n’avez pas de sang en réserve ? s’enquit Kerensky, atterré
- Il y a eu un gigantesque accident il y a quelques jours. Nous sommes en « pénurie » entre guillemets. Et comme de moins en moins de gens font des dons de sang, c’est dur de remplir les réserves… L’un de vous est-il du groupe B- ?
- Je suis du groupe O-. Ca marche ? demanda Largo
- Il faut faire des examens, mais sinon ça devrait aller.
- Est-ce que ses jours sont en dangers ? demanda Simon
- Non, sauf si elle ne reçoit pas de sang dans les prochains jours…
- Faites moi les examens maintenant, s’il vous plaît…
- Etes vous malade ? Consommez vous de la drogue ? De l’alcool ? Une allergie particulière ?
- Non, non, non, et non.
- Alors nous pouvons commencer. Suivez moi.
- Euh… commença Largo. Est-ce qu’on peut la voir avant, s’il vous plaît ?
- Un seul à la fois. Et je pense que je vais vous faire vos examens avant… Qui veut y aller ?
- Largo, vas-y, elle a besoin de toi.
- Merci Simon. T’es vraiment un pote !

Après les examens, les prises de sang, et le branchement de la perfusion, il entra dans la chambre de son amie. Amie ? Ce n’était pas exactement le mot qui convenait, mais il n’avait pas le temps d’y penser. Il s’assit sur la chaise la plus proche, et remit la mèche « rebelle » derrière son oreille. Elle était pâle, et semblait paisible, comme à chaque fois qu’elle dormait. Oui, elle dormait. Il était rassuré. Elle n’allait pas mourir, grâce à son sang. Quoi ?! Il fallait déjà qu’il sorte !? Largo se leva à contre cœur et, avant de sortir, déposa un baiser sur les lèvres de sa garde du corps et quitta la pièce. Il se dirigea vers Simon et Kerensky :

- Il faut faire des recherches sur ce type. Sur ces types.
- Oh m***e, Largo ! s’exclama Simon
- QUOI ?
- Ils étaient deux ?
- Oui.
- Et le deuxième, il était assommé ?
- Oui.
- Et qu’est il est advenu de lui ?
- Oh m***e ! On l’a complètement oublié ! Tu crois qu’il… ?
- Il s’appelait Fred Cherry… dit Kerensky
- Et le type qui a tiré sur Joy s’appelait Tom Bouter, continua Simon
- Comment le sais-tu ? interrogeât Largo
- C’est un employé du groupe depuis deux semaines…
- Deux semaines ? Seulement ?
- Oh non ! Qui était le recruteur ? s’inquiéta le russe
- Aucune idée !
- Tu pourras me faire des recherches sur lui, s’il te plaît Kerensky ?
- Oui.
- Attends… reprit Largo
- Quoi ?
- Ils ont les plans des machines à remonter dans le temps ?
- Oui. Alors ils savent comment la faire fonctionner ?!
- Tu crois qu’ils vont aller dans le passé ? Mais pour quoi faire ?
- Je sais pas… Faire tourner le futur à leur avantage…
- Alors le temps nous est compté ! Direction l’usine !

Les deux autres hommes avaient réussi à se retrouver dans l’immeuble abandonné qui leur servait de repaire. Ils discutaient :

- Nous n’arriverons à rien si Winch est en vie, déclara Bouter
- Oui mais Arden est bien trop forte pour qu’on puisse atteindre Winch, répondit Cherry
- Mais elle est à l’hosto en ce moment, grâce à mon coup de maître !
- Il ne faut pas la sous-estimer. Et la sécurité de Winch sera encore plus renforcée. Non, ce qu’il faut, c’est tuer sa garde du corps…
- Mais elle sera protégée à l’hôpital.
- Il faut l’abattre lorsqu’elle ne peut pas se battre contre nous…
- Dans son passé ? Ses parents ? Tu veux qu’on tue ses parents pour ne pas qu’elle vienne au monde ?
- Non. C’est bien trop compliqué, et nous ne savons pas en quelle année ses parents se sont rencontrés. Non. J’ai une bien meilleure idée…
- Développe…
- Puisque nous connaissons sa date de naissance… Nous allons dans le passé, et nous la tuons pendant qu’elle a… disons… 15 ans. Ça devrait être suffisant…
- Mais pour ça il faut aller à l’usine…
- Voyons Tom, elle ne doit pas être trop surveillée, et Winch et ses amis doivent être au chevet de leur miss CIA préférée…
- Donc pas de problème… On y va ?
- Tout de suite. Tu as les plans ?
- Oui. Ils n’auront même pas le temps de comprendre ce qui leur arrive…

*

Ils étaient arrivés à l’usine le plus vite qu’ils avaient pu, puisqu’il fallait préparer la machine. Les plans en main, ils avaient pris leurs armes et étaient descendus à la voiture. L’usine était bien gardée, et après avoir assommé quelques hommes en faction, ils purent accéder à la salle de la Machine X1, avec celle juste à côté X2. Elles n’étaient pas très grandes. Juste la place pour trois personnes. C’était une sorte de grande bulle avec un tableau de commande à cinq boutons : jour, mois, année, lieu et lancement. Trois sièges uniquement.

- Laquelle on prend ? demanda Cherry
- X1, elle est plus confortable, et en plus, le technicien qui m’a filé les plans avait installé des super sièges de haute technologie… Si tu veux, on peux aussi prendre des canettes de coca, parce que là bas…
- La ferme Tom ! Bon, le temps que je prépare la date de notre arrivée dans le passé, et on part. T’as qu’à charger X1 de nos armes.

La préparation fut assez rapide, grâce aux plans ; mais ils n’avaient pas prévu que le milliardaire et ses amis auraient compris les idées des tueurs.

- Ils sont là ! cria Largo
- Empêche les de partir ! rajouta Kerensky
- Tom ! Monte, vite ! ordonna Cherry
- Ouais, ouais ! Attends ! Les plans !
- J’ai tout dans ma tête ! Allez, monte !

Bouter monta dans la machine lorsque Cherry appuya sur le bouton de lancement. Il y eut un éclair aveuglant, et puis plus rien. Il n’y avait pas eu un seul bruit. Et de toutes manières, s’il y en avait eu ne serait-ce qu’un seul, il aurait été couvert par le cri de désespoir des trois autres :

- NOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!!!!!!!!!!!!!
- C’est pas possible !? s’exclama Simon
- Notre monde… déjà pas terrible, va devenir pire qu’il ne l’est maintenant… resta interdit Kerensky
- Il faut qu’on aille les rejoindre ! déclara le milliardaire
- Et comment ?
- J’ai vu la date à laquelle ils allaient, et ils ont oublié les plans…
- Mais… Largo, il n’y a que deux places… remarqua Kerensky
- On se serrera. Ecoutez, on a pas vraiment le choix. Ou ils changent le monde et tout espoir sera réduit à néant, ou on les suit grâce aux informations que nous avons pour préserver notre monde suffisamment pourri comme ça… Et de toutes façons, que vous soyez d’accord ou pas, j’irai quand même. Vous m’accompagnez ?

Le russe et l’ex-voleur se regardèrent un moment, puis se tournèrent vers Largo. Il y avait tant de détermination dans ses yeux qu’ils savaient que rien ne le ferait changer d’avis. Simon prit en premier la parole :

- Eh, tu vas pas aller t’amuser sans moi ?!
- Et qui va veiller sur toi pendant que Joy est à l’hosto ?
- Merci les gars, je me voyais mal aller me battre tout seul contre des « michants ! »… Attendez…
- Quoi encore ? s’inquiéta le suisse
- J’ai pu voir l’année et le lieu où ils se rendaient : Washington, enfin tout près… en janvier 1991…
- Et alors ?
- Qui habitait près de Washington en 1991 ?
- Joy… comprit le russe
- Mais qu’est-ce qu’ils auraient à gagner à aller voir Joy ? demanda Simon
- Aucune idée…, lui répondit son meilleur ami
- Moi je sais…, commença Kerensky. Largo, ils voulaient te tuer, non ?
- Ben, ouais…
- Mais qui les en a empêché ?
- Ben… Joy, répondit l’intéressé.

Il attendit quelques secondes, puis une sorte d’éclair de frayeur passa dans ses yeux. Ça y est, il a compris, se dit Kerensky.

- Tu crois qu’ils veulent la tuer dans le passé pour ne pas qu’elle me sauve dans le présent ?
- C’est une solution, et la plus plausible… Surtout qu’en 91, elle n’a que… 15 ans, donc elle n’est pas dangereuse !
- Euh… Je sais pas trop moi… reprit Simon
- Quoi ?
- Ben… Si son père l’entraîne, je suis pas sûr qu’elle soit moins forte… Et puis, vous imaginez si on l’aide, les répercussions que cela peut avoir sur le présent ? continua-t-il
- Sauf si…
- Sauf si quoi, Kerenksy ?
- Sauf si Joy nous connaissait avant de nous rencontrer, si ça devait se passer…

Il regarda ses amis. Vu leur regard, ils n’avaient pas compris… Il allait encore falloir jouer les profs… Surtout que le temps leur était compté si ce qu’ils redoutaient était vrai !

- Imaginez que ce qui se passe maintenant, devait se passer…
- Oui…
- Ça voudrait dire que c’était prévu qu’ils aillent dans le passé ; donc nous par la même occasion…
- Oui…
- Or, si nous allons dans le passé sauver Joy, ça veut dire que nous allons la rencontrer. Et si nous la rencontrons alors qu’elle a 15 ans, elle se souviendra de nous. Mais comme lorsqu’elle nous rencontrera lorsque Nério sera mort, elle saura qui nous sommes…
- C’est compliqué mais je comprends… Tu veux dire qu’elle savait qui on était dès le début ?
- Peut-être. Sauf si on l’a forcée à oublier, ou si elle l’a oublié tout court…
- Eh ben… soupira Simon. Elle l’a bien caché, alors…
- Bon, les gars, les deux autres ont déjà de l’avance, on n'a pas le temps de tergiverser sur des détails ! On verra tout sur le tas… Georgi, tu connais les plans ?
- Je sais les lire, oui. Laissez moi cinq minutes…

Il se dirigea vers le rouleau et se pencha dessus. Pendant ce temps, Largo réfléchissait. Ils allaient aller dans le passé de Joy. Passé dont ils ne savaient rien. Que dalle ! Elle n’avait jamais voulu leur en parler, et les seules fois où elle leur avait répondu, c’était par un « ça ne vous regarde pas ! » suffisamment explicite pour ne pas leur donner envie de continuer. Pas brillant, quoi. Elle leur en voudrait sûrement. Et qu’est-ce qu’ils allaient bien pouvoir lui raconter dans le passé ? La vérité ? Non, elle les prendrait pour des tarés sortis tout droit d’un asile. Lui mentir ? Oui, mais lui dire quoi ? Elle n’était pas si naïve que ça tout de même… Apparemment, Simon suivait le même raisonnement que lui, car, lorsqu’il croisa son regard, il y vit ce qu’il devait sûrement y avoir dans le sien : de l’excitation mêlée à une nervosité intense. Mais le russe coupa leurs pensées… :

- On peut y aller les gars… J’ai tout compris.
- Euh… On devrait peut-être prévenir l’hôpital si Joy se réveille, non ? demanda Simon
- Ne t’inquiète pas Simon. Avec les changements d’espace temps, nous ne partirons qu’une dizaine de minutes… si ce n’est des secondes.
- Quoi ?
- T’as jamais vu de films de science-fiction à la télé, où les héros remontent dans le temps, et où quand ils reviennent, c’est à peine quelques secondes après ? demanda Kerensky, ironique
- Ben… Si ! répondit Simon
- Eh ben c’est exactement la même chose, d’après ce que m’avait raconté le technicien. Donc, pas la peine d’appeler l’hôpital, et de toutes manières, ils nous prendraient pour des fous, puisque personne d’autre n’est au courant…
- Ah !!

Kerensky prit un ordinateur portable et un chargeur, puis rejoignit les deux autres. Ils montèrent dans X2.

- Bon, on y va ? s’impatienta Largo
- Oui. Retour vers le passé !!!!!!!! s’enthousiasma Simon
- Euh… désolé de te casser ton… enthousiasme, mais non seulement ce sera pas facile, mais en plus, c’est « retour vers le futur qu’on dit », d’habitude… ; répliqua son meilleur ami
- Mais non ! On va vers le passé, là, mon cher Largo… Donc c’est « Retour vers le passé » qu’il faut dire !
- Ben oui, mais ça fait un peu pitié comme expression…

La réplique cinglante qui traversa à ce moment là les lèvres de Simon disparut en même temps que la Machine dans laquelle ils étaient montés, et que Kerensky avait réussi à mettre en marche, malgré les imbécillités de ses amis, qui n’avaient pas trouvé un autre moyen de décompresser. Et si ses doutes et ses renseignements sur le passé de Joy étaient fondés, ils en auraient bien besoin…

*

DRIIIIIIIIIIIIIIIIING BOUM !!!! Maudit réveil ! Un de ces jours, il serait irrécupérable si elle continuait à s’énerver dessus comme ça. Mais il était cinq heures du mat’, et elle s’était couché tard la veille. Et il y avait cet entraînement de… -mot que la décence ne lui permettait pas de prononcer- qu’elle allait devoir faire. Elle se ménagea un peu, et émergea de son lit douillet. Elle sortit de sa chambre bleue, longea le long couloir, glissa un œil dans l’entrebâillement d’une porte, et descendit les escaliers dans un soupir à fendre l’âme. Il était encore absent, et elle avait été bien naïve de penser qu’il soit rentré pendant la nuit… Arrivée dans l’entrée, elle alla dans la cuisine, et alluma la radio. Un dur choix se présentait à elle : faire son entraînement et se préparer pour aller faire un contrôle de maths qu’elle n’avait pas révisé du tout et donc, par la même occasion, avoir une sale note ; ou faire son entraînement et s’éclater toute la journée avec son meilleur ami ? La deuxième solution, puisque lui non plus n’avait pas révisé son interro de maths. Il fallait qu’elle aille le voir quand même pour lui poser la question. Ils allaient se faire tuer, mais au point où ils en étaient tous les deux, ça valait la peine… Surtout pour son avenir. Il était déjà tout tracé, donc pas la peine de se prendre la tête à étudier des idioties sorties d’un bouquin qu’un pauvre type qui s’emmerdait avait pu écrire lors d’une nuit blanche… Soudain, elle se rendit compte qu’il ne fallait pas qu’elle déjeune avant l’entraînement, parce que sinon, elle risquait de terminer la matinée dans les toilettes. Elle éteignit la radio, remonta dans sa chambre, ouvrit la fenêtre, monta sur la grosse branche qui s’offrait à elle, et rampa jusqu’à la fenêtre d’à côté, puis elle y toqua. Elle attendit un bon moment qu’un garçon châtain aux cheveux ébouriffés et en pyjama vert vienne lui ouvrir la fenêtre.

- Qu’est-ce que tu veux ? lui demanda-t-il en baillant
- Bonjour Joy, ça va ? Oh oui, Matthew, c’est gentil de t’en inquiéter et toi, ça va ? monologua-t-elle. Bien sûr ! Dès que tu es là tout va bien ! Mais que viens-tu faire ici à une heure si tôt ?
- Désolé Joy. Je ne te demande plus si ça va, je le sais. Bon, qu’est-ce que tu viens faire ici ?
- On va en cours aujourd’hui ?
- Ben… Pourquoi on irait pas ?
- Parce qu’il y a un contrôle de maths prévu depuis une semaine qu’on n'a pas révisé.
- Ah… Ben alors on n'y va pas. Ta tante est malade ?
- Oh, non. Elle l’était déjà le mois dernier. Ils vont la prendre pour une hypocondriaque. Euh… Tu vas voir ta grand-mère à la maison de retraite, et moi je vais rendre visite à mon oncle en prison… ?

Ils pouffèrent.

- Ouais, pas con comme idée… ! reprit le garçon
- Alors on fait comme ça ?
- Ouais ! Tu veux entrer ?
- Non, j’ai entraînement là.
- A cinq heures et demi du mat’ ?
- Je tiens à te signaler que tu es censé en avoir un tous les matins, toi aussi !
- Oui, mais mon père croit que je le fais avec toi… Et de toutes façons, avec toutes les attaques qu’on subit par mois, on est suffisamment entraînés !
- Ouais, mais je veux quand même garder la forme. Et puis, mon père peut rentrer à tout moment. Au fait, ça marche toujours pour ce soir ?
- Ben… Oui. On se retrouve dans la forêt ?
- Pas de problème ! Tu m’attends devant chez moi dans… disons deux heures, ça te va ?
- Ouais ! Euh… Non ! Joy !
- Quoi ?
- Tu es sûre que tu ne peux pas réviser vite fait, parce que…
- Jen ?
- Oui. Je dois l’emmener à la maternelle, et si on me voit…
- Bon, ok. Je comprends. T’inquiète pas, j’ai déjà fait pire. Et puis une sale note de plus ou une de moins…
- Tu m’en veux ?
- Bien sûr que non ! C’est pas grave, on se vengera sur la prof ! Tu passes me chercher à huit heures ?
- Ok. A tout’ !

Elle sourit, se retourna sur la branche, et fit le chemin inverse, tandis que Matthew refermait la fenêtre dans un bâillement sonore. Elle rentra dans sa chambre, s’habilla en tenue de sport, coiffa ses cheveux mi-longs en queue de cheval, et descendit à la cave. Elle repoussa une étagère, qui laissa découvrir une porte, attrapa une clé cachée sous un vieux bureau poussiéreux et abîmé, et la glissa dans la serrure. Joy ouvrit la porte et traversa le salon, puis sortit jusqu’au jardin de devant. Personne ne la verrait, puisque personne ne passait par là. La forêt était juste à côté de chez elle. Elle pouvait s’enfuir de sa maison comme elle le voulait, et rejoindre son ami d’enfance Matthew qui la connaissait mieux que personne. L’adolescente se dirigea vers la forêt en courant et alla jusqu’au fin fond du bois, où il y avait ce grand lac où personne n’allait, mais qui restait le lieu préféré de Joy, malgré le fait qu’elle y ait de mauvais souvenirs… Arrivée là-bas, elle courut le plus vite qu’elle put, esquivant les arbres, les ronces, les racines, et feuilles encore glissantes par la rosée du matin. Le soleil commençait à peine à se lever, et Joy courait toujours avec autant de rapidité et d’endurance.

Une demi-heure qu’elle cavalait dans les chemins plus ou moins sinueux sans faiblir. Elle arrivait en vue de chez elle, accéléra et entra dans sa maison. La jeune fille descendit les escaliers jusqu’à la cave, et, sans allumer la lumière s’approcha d’une espèce de table, attrapa une arme, et sans mettre de casque, tira tout droit. Puis elle posa le revolver sur la même table, et alla allumer la lumière. Une gigantesque salle s’offrait à elle. Une table avec une dizaines d’armes plus ou moins puissantes, une espèce de baie vitrée protégeait une cible placée loin d’elle, mais personne n’aurait pu dire à quelle distance. A l’autre bout de la salle, un punching-ball et un sac de combat, ainsi que plusieurs mannequins placés à différents endroits stratégiques, des barres fixes, asymétriques, et parallèles, et enfin une poutre haute. Tout un programme qui coûtait cher. Mais ça ne l’impressionnait plus. Elle n’était plus la petite fille naïve qui rêvait du prince charmant, et qui pensait que la vie était une sorte de paradis. Dès l’âge de huit ans, elle avait arrêté de rêver : elle avait perdu ce stupide concours de beauté qu’elle n’avait fait que pour faire plaisir à sa mère, et son père avait commencé à l’entraîner. Mais maintenant tout avait changé, plus rien n’était pareil, et plus rien ne serait jamais comme avant. Elle se « battit » contre le sac de combat pendant une petite demi-heure. Puis, au bord de l’épuisement, elle ferma la porte et remonta dans la cuisine, alluma la radio comme elle l’avait fait avant, et se prépara un petit déjeuner bien rempli. Ensuite, elle monta dans la salle de bain, prit une douche, se r-habilla et sortit ses notes –peu nombreuses– de maths, pour réviser un peu. Il lui restait une heure et demi pour apprendre son cours.

*

Dans un immeuble abandonné à l’autre bout de la ville, une lumière aveuglante s’éteignit au bout de quelques secondes, laissant place à l’ombre d’une sorte de grande bulle de verre qui fumait un peu, et d’où sortirent deux hommes : un blond assez grand et baraqué, et un homme encore jeune aux cheveux blancs avec le visage ravagé par des cicatrices. Le deuxième homme toussa :

- Keuf ! Keuf ! Ah ! Fichue machine de… !
- Pas de gros mot ! Bon, on est où, et quelle heure est-il ? lui répondit son ami
- On est… dans un immeuble abandonné apparemment… et il est six heures du mat’ ! Eh ben…
- On peut dormir alors, ça va, on n'est pas pressés ! proposa Bouter
- Si justement, nous sommes pressés ! Winch et les deux autres doivent être sur notre piste.
- Mais ils ne savent pas ce que l’on compte faire, et encore moins où nous allons. Nous avons tout notre temps !
- Oui, mais Arden ne sera pas facile à atteindre ! A quelle heure commencent les cours à ton avis ?
- Ben… A neuf heures, je crois ! Et ils se terminent à… Cinq heures s’ils n’ont pas de colles !
- Ok. On les cueillera à la sortie.
- Devant tout le monde ? Non. Trop dangereux ! Ce soir, c’est plus sûr !
- Mais… On ne sait pas où elle habite !
- On demandera à des gens !
- Et se faire griller ? Tu fais chier Tom ! Réfléchis trente secondes ! s’énerva Cherry. Non. On ira à la mairie faire nos recherches. Ça prendra le temps qu’il faudra, mais nous la tuerons !
- Et pour le moment, on fait quoi ?
- J’suis crevé à force de réfléchir. On va dormir…

La lumière s’évanouit comme elle s’était allumée. Plus rien qu’une forêt. Des arbres à perte de vue. Rien que des arbres et un petit lac que tout le monde semblait ignorer. Il était sept heures et demi du matin, alors qu’ils avaient quittés 2003 à sept heures du soir. Etrange, mais ils n’avaient pas le temps d’y réfléchir. Kerensky observa les alentours pour voir si Cherry et Bouter étaient dans le coin. Mais rien. Que dalle ! Nada ! Simon fut le premier à réagir :

- Euh… On est où ?
- Dans une forêt, répondit son meilleur ami
- Merci Largo, ton sens inouï de l’observation va nous être très utile ! répliqua le suisse
- C’est près de chez Joy, et personne ne semble connaître –ou aller– à cet endroit… remarqua le russe
- A sept heures du mat’, je comprends…
- On fait quoi ? demanda Largo
- Aucune idée, répliqua l’ex-voleur
- On fait confiance à Joy, répondit le génie de l’informatique. On l’observe toute la journée, et si jamais à un moment elle a besoin d’aide, on y va. Il faut qu’on agisse le moins possible dans le passé. Je crois qu’il y a des caméras de surveillance chez elle, on pourra l’observer…
- Et comment ? interrogea Largo
- J’ai pris mon ordinateur portable, et des micros avant de partir, raconta Kerensky
- Mais il n’y a pas encore Internet à cette époque…
- C’est pour ça que je vais le faire grâce à un logiciel que j’ai piqué avant de partir. Et arrête de m’embêter. Vous n’avez qu’à aller voir les environs, et là où est Joy. Après tout, peut-être qu’elle n’aura pas besoin de nous, si elle est aussi forte dans le passé que dans le futur… Tenez, un micro chacun. Et vous vous débrouillerez pour en mettre un sur Joy.
- Ouais. J’y vais ! proposa Largo
- Et faire du voyeurisme ? Non mais t’es malade ? Je viens avec toi ! A tout’ Kerensky !

Ils partirent tous les deux se promener dans les bois, redoutant quelque peu ce qu’ils allaient voir… Ils se perdirent un bon moment, et se retrouvèrent devant la maison blanche une vingtaine de minutes plus tard. Une jeune fille brune sortait de chez elle en pantalon et doudoune, les cheveux lâchés. Quelques minutes plus tard, un garçon châtain arriva et ils se firent la bise. Une petite fille aux cheveux blonds bouclés les accompagnait. L’adolescente se pencha vers la petite et lui dit :

- Salut Jen, ça va ?
- Oui Joy ! Tu nous accompagnes à la maternelle ? lui répondit la petite fille
- Ben ouais parce que ton frère est tellement nul qu’il pourrait se perdre !
- L’écoute pas, Jen, elle dit ça pour m’embêter ! se vexa Matthew
- Bon, allez, je t’accompagne à la maternelle, nous on a un contrôle de maths que j’ai réussi à réviser en une demi-heure !
- Ah bon ? Moi j’ai mis deux heures et j’ai pas encore tout saisi… expliqua-t-il
- Oui, mais toi tu ne comprends jamais rien. Je suis habituée maintenant ! se moqua sa meilleure amie
- Moi, je vais faire des bôôôôô dessins avec la maîtresse aujourd’hui ! raconta Jennifer
- Jen, c’est Chloé qui viendra te chercher ce soir. Moi je termine trop tard, expliqua l’adolescent à sa soeur
- Ah bon ? s’étonna-t-elle. Et qui me gardera ce soir ?
- Chloé. Tu seras sage, hein ?
- Promis. Mais je préfère quand c’est Joy qui me garde.
- Ecoute… lui confia la jeune fille. Je ne peux pas te garder pour le moment, parce que j’ai cours, et beaucoup de travail…
- Et elle doit trouver des moyens plus rigolos de rembarrer les mecs qui viennent la draguer ! intervint Matt
- Oh oui ! J’aime bien quand tu rembarres les garçons, Joy ! C’est marrant !
- Je t’apprendrais, si tu veux quand tu seras plus grande ! proposa-t-elle
- Euh… C’est pas que c’est une mauvaise idée, mais j’ai pas envie que ma sœur devienne la destructrice des cœurs de pauvres garçons…
- …Qui ne pensent qu’à la mettre dans leur lit ! coupa son amie. Matt, tu es mieux placé que n’importe qui pour dire ça !
- Bon, ok, ok, on parle d’autre chose !

Ils se dirigèrent dans les rues de la ville, et accompagnèrent la petite Jen à la maternelle, puis ensuite allèrent au lycée ; toujours suivis par Simon et Largo, qui l’avait bousculée discrètement et avait mis le micro en place, en liaison avec Kerensky qui avait réussi à se connecter aux caméras de surveillances de chez Joy. Après être certains qu’elle ne craignait plus rien pour le moment, ils rebroussèrent chemin et retournèrent au bois. Mais leur estomac leur rappela qu’ils n’avaient pas mangé depuis un bon moment…

- J’ai faim ! se plaignit Simon
- Je dois avoir de l’argent sur moi… mais j’ai laissé ma carte bleue à l’hôpital… ; répondit Largo
- Vous réfléchissez des fois ? Regardez vos dollars : ils sont datés d’après 1991 ! Si on les utilise, on peut se faire arrêter pour faux monnayage ! intervint Kerensky
- Donc on est fauchés !?
- Tu as un sens de la déduction très présent, Simon !
- Comment on va faire ?
- Comme quand on était à la rue : voler ou travailler…
- Mais nous n’avons pas les papiers. Donc on va devoir voler. Chez Joy ? Il n’y a personne, et je brouillerai les caméras. Quand elle saura qui nous sommes, elle comprendra.
- Alors on fait comme ça ? Tu as le matos, Simon ?
- Toujours !

*

Ils se mirent tous les deux en route, et s’approchèrent de la maison de leur amie. Simon crocheta la serrure, et entra dans la maison. Tout était plus ou moins rangé. Rangé, mais poussiéreux. Ils se promenèrent un peu, et trouvèrent la cuisine qu’ils dévalisèrent à moitié. Ou plutôt Simon dévalisait la cuisine, tandis que Largo ; qui n’avait jamais vu la maison de Joy en entier ; montait les escaliers et allait dans la chambre de son amie. Elle était plutôt grande. Juste à droite, un lit deux places, et de l’autre, un vieux secrétaire encore bien conservé. Un dressing était à côté du lit, et un pouf trônait au milieu de la chambre. Quelques fringues traînaient ici et là, son bureau était plein de petits papiers, et les seules photos qu’il y avaient étaient celles d’une femme brune aux longs cheveux bouclés –probablement sa mère–, et le garçon brun qui l’avait accompagné avec sa petite sœur. De toute évidence, la photo était récente. Celle de la jeune femme semblait plus « vieille » de deux ans, mais Largo n’aurait su dire comment il le savait. Rien de son père. Quelques posters de différents groupes de rock et de rap recouvraient les murs bleus, mais rien de choquant, rien qui montrait que Joy était fan de quelque chose. Toujours simple. Exactement comme Largo l’avait imaginé. Au niveau des goût, elle n’avait pas tant changé que ça. Surtout lorsqu’il regarda les CD qui étaient éparpillés sur son bureau. Plusieurs livres étaient rangés sur une étagère. Le milliardaire observa les couvertures : que des livres policiers, ou à l’eau de rose dont elle devait sûrement se moquer avec son ami. Ami dont elle semblait proche. Il avait senti son cœur se serrer lorsqu’il l’avait vue lui faire la bise avec tellement d’amour. Non. Ce n’était pas de l’amour… Amour quoi ! Elle ne semblait pas amoureuse de ce garçon, elle devait plutôt le considérer comme un frère, mais pas plus… Un ami d’enfance, quoi. Mais elle ne semblait pas amoureuse de lui. Il fut sorti de ses pensées par son meilleur ami :

- C’est sa chambre ?
- Oui, je crois…
- Tout à fait comme je l’avais imaginé ! En un peu moins rangé peut-être…
- Ouais. T’as fait des provisions ? demanda le milliardaire
- Ouais. Et je peux te dire que le frigo est bien plein… Enfin, était plein ! Je l’ai presque vidé !
- Simon, le strict nécessaire, on a dit !
- T’as vu la chambre de Charles ?
- Non. Et à dire vrai, je m’en fous un peu ! On y va ?
- Après toi…

Le milliardaire attrapa un paquet de gâteau dans les nombreuses choses que son ami avait volées. Empruntées. De toutes façons, Joy ne s’en rendrait pas compte. Ou plutôt elle n’aurait pas de preuves, et elle ne les connaissait pas. Parce que si elle n’avait pas changé durant tout ce temps, ils allaient se faire sérieusement enguirlander. Et encore ce n’était que de la nourriture. Simon n’imaginait pas trop l’idée qu’une ado de 15 ans lui fasse la morale. Quand elle en a 12 de plus, ok, mais avant non. Et pourtant, il sentait que, si elle l’enguirlandait pour une raison ou pour une autre, il aurait peur de son regard noir. S’il était déjà noir à cette époque. Et pour tout dire, il n’avait pas non plus envie de le vérifier.

Kerensky se demandait ce qu’ils faisaient à regarder la chambre de la garde du corps, le regard vide. Mais qu’est-ce qu’ils foutaient ? Charles Arden pouvait revenir à tout moment, et eux demeuraient dans la chambre, sans aucune raison apparente à fixer désespérément les murs. En fait, le Russe savait qu’ils avaient une raison, parce qu’il pensait la même chose. Quel était son passé ? Durant toutes ses recherches, pourtant poussées, il n’avait pas pu apprendre beaucoup de chose. Quelques anecdotes inintéressantes d’adolescent comme quoi elle séchait les cours presque tous les mois, mais il avait quand même appris un détail important, dont Joy n’avait jamais parlé. Peut-être se sentait-elle coupable. Mais coupable de quoi ? De n’avoir rien pu faire devant un accident idiot ? Après ce genre de chose, on se sent toujours coupable. Il faudrait qu’il lui parle maintenant, pour être fixé.
Mais il ne savait pas un tiers d’une vérité dont la Joy du futur –et même du passé– n’osait parler, de peur d’être jugée. Une seule personne était au courant de la vérité vraie. Mais cette personne, ils ne la connaissaient pas dans le futur…

Ils avaient dormi toute la journée. Trop de tension, d’ennuis, de violence –quoi que ça ne les avait pas empêchés de dormir !– et de changement de programme en si peu de temps. Ils avaient réfléchi à la façon de tuer la future garde du corps du milliardaire. Ils allaient sûrement la suivre. Juste cette soirée. Après tout, ils étaient des professionnels. Ils avaient le choix. Ou la tuer ce soir, et c’était fini. Ou la tuer plus tard, et tout serait plus compliqué. Fred était réveillé depuis assez longtemps, et réfléchissait. Pas besoin de faire tout un tralala, puisqu’elle ne saurait même pas pourquoi ils voulaient la tuer. Donc ce soir. Il se souvint tout à coup de l’adresse d’Arden. Enfin, pas de l’adresse, mais d’un lieu tout proche. Une forêt. Oui. Lorsqu’il avait interrogé un garçon dans le futur, il lui avait dit qu’elle habitait près d’une forêt. Il n’y avait pas pensé tout de suite, parce qu’il l’avait pris pour un imbécile. D’ailleurs il avait tué ce type. Pas de témoin. Tom ronflait à côté. Cherry soupira et se prit à envier l’innocence… non, pas l’innocence, puisque lui aussi avait tué. Mais la détente. Jamais nerveux, toujours le moyen de détendre. Mais quels imbéciles ! Ils auraient dû faire des recherches ! Juste pour être sûrs ! Ça pourrait leur être fatal ! Non. Elle n’avait que 15 ans, et même si on est la fille d’un dirigeant de la CIA, on ne sait pas se battre, et on n’est pas agent soi-même à 15 ans. Ça allait être quand même dur de tuer une adolescente. Pour un adulte, il ne faisait aucun état d’âme, mais là… Elle ne saurait même pas pourquoi elle mourrait. Après tout, elle ne lui avait encore rien fait. Et voilà ! Il commençait à faire du sentimentalisme. Mauvais pour son métier. Il la tuerait ce soir. Lorsqu’elle sortirait dans la forêt. Mais à la réflexion, il n’était même pas sûr qu’elle sorte dans la forêt. Il faudrait plutôt qu’il aille voir où elle habitait. Et pour savoir, il n’y a qu’un lieu : les bars. Là-bas, il n’y a que des malheureux qui se saoulent et qui, par conséquent, balancent des informations qu’il était facile de récolter. Il n’aurait qu’à y aller. Que ce soit dans le présent ou dans le passé, c’était et ce serait toujours pareil : pathétique.

*

Les garçons étaient retournés dans la forêt et avaient mangé à leur faim, puis avaient écouté comment se passaient les cours de Joy. Un bordel monstre. Et encore, le mot était faible. Elle semblait dormir en classe, et lorsqu’on la réveillait, elle envoyait les profs bouler à l’autre bout de la planète. Jamais ils n’auraient imaginé que la Joy légèrement coincée, ou en tout cas fort discrète, pouvait être aussi… chiante. Oui. Chiante était le mot juste. Grossier, mais juste. Cependant, Kerensky sentait qu’elle le faisait exprès. Il en fit part aux autres qui comprirent eux aussi : elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour qu’on lui fiche une paix royale. Et la plupart du temps ça marchait. Mais ils n’avaient pas non plus imaginé que Joy se fasse autant draguer. Ils avaient surpris une conversation entre Joy et Matthew qui lui reprochait d’être trop brutale avec les pauvres garçons. Alors qu’elle se défendait en lui disant que ce n’était pas violent, il lui rappela sa façon de les envoyer paître : elle les laissait faire un bon moment, et lorsque le prétendant lui demandait de sortir avec elle, elle refusait, lui sortant quelle avait rendez-vous avec quelqu’un de très important. En général, ils lui demandaient qui c’était, et elle lui répondait « ma glace au chocolat, et un bon vieux navet à la télé… Ce sera pour une autre fois ! ». Autre fois qui n’arrivait jamais la plupart du temps… Et puis elle les plantait là. Et finalement les trois hommes avaient coupé, et avaient discuté de la manière dont ils allaient apprendre à leur amie la raison de leur présence… Dans tous les cas, ou elle les prenait pour des dingues et appelait l’asile le plus proche, ou elle les tuait… En gros, rien de concluant. Et puis les cours s’étaient achevés, et Kerensky avait rebranché le micro :

- J’en ai marre, marre, marre ! vociférait Joy ; Il est hors de question que je fasse ça !
- Tu n’as pas vraiment le choix ! rétorqua Matthew ; Et puis je ne vois pas de quoi tu te plains ! Le rôle de Juliette, toutes les filles en rêvent… Surtout quand Roméo est le mec le plus désiré du lycée !
- Le type le plus désiré du lycée c’est toi ! Et sûrement pas cet imbécile heureux de Drew, qui ne pense qu’à faire de faux espoirs aux pauvres filles désespérément seules, pour les oublier juste après et leur faire de la peine ! Et en plus, je sais pas comment on peut être beau avec un nom pareil !
- Moi j’aime bien Drew comme nom !
- Ça fait bourge !
- Et alors ? Allez, arrête de faire la tête !
- Non mais tu te rends compte que je vais devoir embrasser ce bouseux !? Beurk ! Rien que cette idée me donne la nausée ! Et puis il n’est pas capable d’aligner trois mots ! C’est un de ces enfants de riches pourris gâtés complètement à la masse !
- Ça y est, t’es calmée ?
- NON ! J’en ai marre que ça tombe toujours sur moi ! J’aurais préféré le rôle de la nourrice ! Même de… de… de rien du tout ! La prochaine fois que tu voudras emmener ta sœur à la maternelle alors qu’on a un contrôle de maths –qu’en plus j’ai raté– promets moi de m’oublier dans ton programme ! Laisse-moi faire des conneries ou aller me balader… c’est plus instructif et plus marrant que de devoir apprendre plein de lignes du genre : « O Roméo pourquoi t’appelles-tu Roméo ? Renie ton père et rejette ton nom… » je sais plus la suite ! Si elle avait un minimum de matière grise dans son cerveau cette conne qui doit sûrement être blonde, elle saurait que c’est pas lui qu’a choisi son nom !
- Ce n’est même pas ça, les paroles !
- M’en fous, ça revient au même : c’est une blonde !
- Joy, tu connais l’histoire de PAF le chien ? demanda Matt avec un calme olympien
- Quoi ? Mais de quoi tu parles ?
- Tu connais l’histoire de PAF le chien ? réitéra son ami
- Ben… Non… Mais je vois pas le rapport entre « l’histoire de PAF le chien » et Roméo et Juliette à apprendre pour le mois prochain…
- C’est l’histoire d’un chien qui se balade dans la rue. Il traverse la route, et là y a un camion qui passe, et ça fait PAF le chien !

Joy s’arrêta de marcher, regarda son ami, le prenant pour un illuminé, et soudain éclata de rire :

- Mais c’est nul !
- Ben tu t’attendais à quoi ? demanda Matt qui riait lui aussi aux éclats, ravi d’avoir calmé sa meilleure amie
- Je sais pas… A un truc un peu plus… philosophique ! Plus intellectuel quoi !
- Et tu connais l’histoire de FLOP FLOP la girafe ?
- Vas-y…
- C’est une girafe qui se balade dans la savane, y a un hélicoptère qui passe, et ça fait FLOP FLOP la girafe !

Elle rit de nouveau.

- Mais c’est débile ! Qui t’a appris ça ?
- C’est Jen. Elle m’a dit qu’elle avait appris ça à la maternelle ! Et tu peux en inventer d’autres !
- Attends, j’essaie… Et SWIP le chat, tu connais ?
- Non…
- C’est l’histoire d’un chat qui va dans la cuisine. Il voit pas la flaque d’eau, marche dessus, glisse, et ça fait SWIP le chat !
- Tu vois !? Sinon, y a aussi PAN l’oiseau : c’est un oiseau qui vole dans le ciel, y a un chasseur qui le voit, il vise, et ça fait PAN l’oiseau !

Ils riaient tous les deux de la stupidité de leurs propos. Kerensky, Simon et Largo n’en revenaient pas. C’était aussi intelligent que les blagues carambars !! Joy avait vraiment changé ! Au moins ça la détendait ! Et les deux autres continuaient :

- Et PFUIT le dinosaure ? poursuivait Joy. C’est un dinosaure qui se balade dans la jungle et il se dispute avec un magicien qui lui lance un sort, et ça fait PFUIT le dinosaure !
- Et SCHPROUIT la fourmi ? C’est une fourmi qui se promène dans la forêt. Y a un randonneur qui passe et qui lui marche dessus, et ça fait SCHPROUIT la fourmi !

Le rire de Joy se stoppa net.

- Ben quoi, elle est pas drôle ma blague ?
- Matt… souffla-t-elle

Il suivit son regard : elle fixait la maison, et plus particulièrement une voiture qui venait de se garer dans l’allée. Elle jura et se tourna vers son ami :

- Je viens quand même ce soir…
- Mais… ton père ne voudra jamais !
- Mon père repartira sûrement dans quelques heures. Et puis je m’en fous. Il a qu’à dégager de ma vie. Il n’est jamais là quand j’ai besoin de lui, mais dès que je veux prendre l’air, il s’accroche. Il m’énerve, et je ne l’aime pas. Il pourrait mourir que ça ne me ferait rien.
- Tu ne le penses pas !
- Non… C’est vrai, mais par contre, je préfèrerais ne plus le voir !
- Un jour tu seras heureuse de l’avoir…
- Ton père n’est pas le même que le mien je te signale ! Toi tu peux lui mentir comme tu veux. Moi j’ai beau m’entraîner à lui raconter n’importe quoi, il sait quand je lui mens. Et je n’ai pas envie de rentrer chez moi si c’est pour me disputer avec lui.
- Fais-le enrager si tu veux…
- Ouais ! Je vais jouer du piano. Quand je joue fort, et qu’il revient de mission, il déteste que je fasse ça. Je suis peut-être une fille ingrate, mais je m’en fous, c’est sa faute…
- Quoi ? La mort de ta mère ?
- Non… Le… truc, tu sais…
- Mais quoi ? Dis-le, bon sang !
- Je dois y aller !

Elle commença à partir, mais les trois garçons entendirent clairement la phrase que Matthew prononça :

- Tant que tu ne le diras pas, tu ne seras pas guérie, et ta reconnaissance infinie ne fera pas tout…

La porte claqua, et laissa apparaître l’adolescente. Kerensky, Simon et Largo suivirent tout le cheminement : Joy montait dans sa chambre sans répondre aux questions de son père, qui le lui reprochait. Lorsqu’il lui demanda si elle avait commencé à étudier le violon, la jeune fille lui répondit non et il lui dit qu’elle devait en faire tous les jours. Elle se redescendit les escaliers et alla dans le salon, attrapa le violon et commença à jouer n’importe quoi avec énervement : les notes étaient fausses et le son insupportable. Elle y mettait vraiment de la mauvaise foi, la garce ! Son père lui ordonna d’arrêter, et la miss reposa l’instrument, un sourire faussement angélique aux lèvres, pour remonter dans sa chambre où son père alla la rejoindre. Et tout s’envenima à cause de cette remarque :

- Quand vas-tu cesser de me faire la tête ? demanda Charles
- Euh… Jamais, ça te va ou tu veux que j’allonge encore un peu ?
- Joy… Je t’ai sauvé la vie !
- Nério m’a sauvé la vie ! Pas toi !

Nério ? A son nom, Largo pâlit. Elle le connaissait ? Mais… Pourquoi n’avait-elle rien dit ?

- Ce type n’a fait que me donner un flingue, et a tiré sur le bocal ! continua son père
- Tu n’accepteras jamais ça ! Jamais qu’un autre que toi me sauve. Et encore moins Nério, et je sais pourquoi !
- Ah oui ?
- Tu crois que je ne vous entendais pas vous engueuler tous les soirs ? Elle couchait avec lui, alors tu le détestes ! Mais moi je l’aime bien, et de toutes façons, j’irai le voir à New York !
- Tu ne sortiras pas !
- J’aimerai bien voir ça ! Maintenant sors de MA chambre et fous-moi la paix, comme tu le fais d’habitude ! C’est beaucoup mieux comme ça ! Je comprends pourquoi les agents de KGB t’appellent « le fantôme » ! Je suis bien placée pour le savoir !

Charles Arden se calma, puis reprit :

- As-tu subi une attaque, aujourd’hui ?
- Tu veux savoir si tes efforts pour me garder en vie ont été vains ou non ?

Il la gifla.

- Tu vois, tu ne te contrôles pas. Je comprends que maman soit allée voir ailleurs… Et non, on ne m’a pas attaquée ! Mais ne t’inquiète pas, la journée n’est pas terminée !

Elle sortit de sa chambre en courant et claqua la porte, puis s’en alla à toutes jambes. Elle le haïssait à cet instant présent. Elle cavalait toujours sans s’arrêter. Elle courait. Sans se rendre compte de là où elle allait. Et puis d’un coup, elle se retrouva en face du lac. Elle ne pleurait pas. Elle était en colère, mais ne pleurait pas. Joy Arden ne pleure pas. Joy Arden ne doit pas montrer ses sentiments. Et puis m***e elle était humaine ! Pleurer était normal ! Les larmes ne venaient pas, mais la colère restait.

- Et m***e ! J’en ai marre ! Tout ça c’est de sa faute ! Jamais tu n’aurais dû tomber enceinte de moi, maman, tu m’entends ? Je sais que j’étais un accident, et ça je ne te le pardonnerai jamais ! Tu n’as pas agi comme une mère ! Protection de m***e ! Et tes soit-disant dons de voyance ! Non mais j’étais vraiment trop naïve !

Elle shootait dans les branches d’arbres mortes, tout en regardant le ciel.

- De toutes façons, je les attends ces s******s ! Qu’ils viennent, et je leur ferai leur fête !

Elle se calma et regarda le lac. L’eau du lac était gelée, mais la glace pourrait sûrement tenir si elle montait dessus. Elle avait froid. Elle était en pull, mais sans doudoune, et il devait faire au moins –10°C. Pas de gants, pas d’écharpe, rien. Elle avançait sans s’en rendre compte sur la glace. Elle adorait ça. La glace et elle se ressemblaient beaucoup : une carapace d’abord que l’on pense infranchissable, mais si on creusait un peu, c’était faible. Le regard dans le vide, elle évoluait sur la banquise, sans voir ses trois « futurs » amis qui, eux, l’observaient…

*

Mais que faisait-elle ? Elle continuait d’avancer sur la glace, et puis d’un coup, elle se mit à danser dessus : comme si ses chaussures étaient des claquettes, puis elle dansait n’importe comment, même du classique. Apparemment ça la calmait. Et d’un coup elle s’arrêta et souffla : « tu es aussi coupable que lui… Je ne ferai pas la même erreur, moi… » et puis il y eut un craquement. Joy sembla s’en rendre compte, mais elle resta sur le verglas. Elle souriait. Et puis d’un coup, la glace se brisa, et un de ses pieds glissa dans l’eau glacée. Elle poussa un cri et jura. Mais elle se releva en tremblant. Dieu qu’elle avait froid ! Les trois autres étaient nerveux, et tiraillés entre l’envie d’aller l’aider, et l’obligation d’éviter Joy. Elle commença à faire le chemin inverse, mais il y eut une nouvelle craquelure. Et une partie de la glace se coupa de la partie principale. Le seul moyen de retourner sur la terre ferme, c’était de sauter de l’autre côté. Mais le froid allait l’en empêcher. Et Matthew arriva.

- JOY !
- Ah ! Matt ! Ça va bien ?
- Mais qu’est-ce que tu fais ?
- Je me les gèle, et je m’engueule avec ma mère !
- C’est dangereux ! Arrête, et reviens !
- Pourquoi faire ? Vivre la même chose que tous les autres jours ? Je voudrais être normale, Matt ! NORMALE ! C’est trop demandé de ne pas avoir une vie de dingue avec un père qui ne fait jamais attention à vous, et une mère assassinée par ta faute ?
- Ce n’est pas ta faute ! Je sais ce que tu ressens, je suis passé par là en même temps que toi, Joy. Et on s’était promis de ne pas craquer. Reviens s’il te plaît !

Elle scruta le regard de son ami, comme si elle voulait voir s’il était vraiment sincère, et finalement sauta sur l’autre partie. Puis elle retourna sur la rive, et continua tout droit, laissant son ami sur la paille. Il la suivit, et elle lui dit :

- Ce soir, changement de programme. On va faire un truc que j’ai envie de faire depuis un bon moment…
- C’est quoi ?
- Tu verras ce soir…

Kerensky, Largo et Simon n’en revenaient pas. Qu’avait-elle voulu dire par « et une mère assassinée par ta faute » ? Et qu’est-ce que c’était que cette histoire avec Nério qui lui aurait sauvé la vie ? Car Nério, c’est pas un nom très répandu, il y avait donc toutes les chances que ce soit lui. Et Joy avait dit que sa mère et lui avaient couché ensemble. Se pourrait-il que Mme Arden soit… sa mère ? Les autres avaient dû suivre le même cheminement que lui à voir leur regard. Kerensky n’en revenait pas. Ça ne pouvait pas être de sa faute ! C’était un accident ! Personne n’aurait pu l’aider ! Même Superman ! Et puis Nério ! Simon et Largo semblaient penser comme lui : si Mme Arden et Nério Winch –pour peu que ce soit Nério Winch– avaient eut une liaison… elle pouvait être la mère de Largo ? Euh… ça faisait un peu gros, mais pourquoi pas ? Et Joy l’aurait su ? Depuis le début, elle saurait qui est la mère de Largo et elle n’aurait rien dit ? Et elle serait la demi-sœur du mec dont elle est amoureuse ? Mais si elle connaissait Nério, elle devait aussi connaître Alan Smythe ! Alors elle jouait drôlement bien la comédie… Toutes ces questions ! Finalement, ils ne savaient même pas la moitié du tiers du quart de la moitié de la vie de Joy. Lui même n’avait pas bien compris quelle part cela faisait, mais à dire vrai, il n’avait pas non plus le temps d’y réfléchir…

- Elle connaissait Nério, énuméra Georgi. Sa mère est morte, soit-disant par sa faute, et son copain est passé par là lui aussi.
- Mais… pourquoi n’aurait-elle rien dit ? demanda Simon. Non. Ça ne colle pas. Je ne pense pas que Largo soit le frère de Joy. Physiquement, ils ne se ressemblent pas du tout ! Même pas UN truc en commun ! Et je ne vois pas ce que Joy avait à gagner à ne pas dire qui elle était, et…
- Elle ne peut pas être ma sœur ! Mon âme-sœur, ok ! Mais ma sœur ! Ah non, pas question ! P****n de m***e de Nério !
- Euh… Attendez les gars… reprit Kerensky. Peut-être qu’on se trompe sur un point : Joy est la plus jeune de nous quatre, alors c’est possible, qu’ELLE, soit la fille de Nério aussi. Mais la fille illégitime ou un truc comme ça !
- Ou alors on se trompe complet, continua Simon. On arrête de se torturer l’esprit et on attend de rencontrer Joy –dans le passé ou dans le futur, ça on s’en fout– pour lui poser toutes nos questions.
- Simon a raison Georgi. On verra tout cela plus tard. Pour le moment, on va attendre la nuit pour voir ce qu’ils vont faire…

Son père était encore là quand elle rentrait. Bon sang mais elle n’avait pas demander à naître, elle ! Pourquoi est-ce qu’on la jugeait à chaque fois comme ça ! Joy monta dans sa chambre, frigorifiée, et se changea. Puis elle mit de la musique Hard Rock à fond et lut.

Il était déjà 20 heures, et Joy n’était pas descendue dîner, tandis que le trio infernal « crevait la dalle ! » comme disait Simon devant leur amie qui s’énervait à mettre de la musique à fond juste pour le plaisir d’entendre son père lui faire des reproches. Elle agissait comme une vraie garce et le revendiquait à son père « adoré ». Il fallait qu’elle sorte, elle en avait assez, assez de cette vie de fou ! Marre qu’on la traite comme une gamine ou comme une adulte quand ça arrangeait, sans jamais savoir, sans jamais être sûre… Seul Matt arrivait à l’aider, à survivre dans son malheur. Ils se l’étaient promis.

Ce bar était le plus minable qu’il avait jamais côtoyé ! Non seulement les hommes –et les femmes– étaient ivres morts, mais en plus ils ne savaient rien d’une gamine brune d’environ 15-16 ans. Seul un homme de 50 ans à moitié conscient lui avait répondu. Enfin répondu… c’était un bien grand mot. Il lui avait plutôt balbutié un truc incompréhensible que Cherry avait mis trois verres de rhum à assimiler : « C’est p’têt’ la gamine vachement bien foutue qui chante le vendredi soir avec son copain ! ». Rien de concluant quoi ! Mais bon, ce trou était tellement ennuyeux qu’il pourrait quand même aller faire un tour, histoire de voir comment ça se passe… Et puis apparemment, d’après ce qu’il avait difficilement saisi des explications fort peu claires, elle était vraiment jolie, et avait une voix ! Il était 20 heures, et il n’avait rien pour régler… Bof, pas grave ! Il partit sans payer et rentra dans l’immeuble abandonné.

- Mais où étais-tu ? l’assaillit Bouter
- Je récoltais des infos. Et toi ?
- Je me suis baladé pour voir un peu comment c’était ici… Je peux te dire que les écolières… Eh ben elles sont bonnes ! Bon, ok, c’est pas des Jennifer Lopez, mais bon, le silicone, c’est pas encore très répandu à cette époque… Et toi, où t’es allé pour récolter des infos ?
- Dans un bar. C’est pire que dans le futur ! Enfin… je crois ! J’en sais rien, et je m’en fous. Y a une télé ici ?
- Ça marche pas bien, mais c’est déjà ça !
- Y a quoi ce soir ?
- Que du déjà vu…

*

22 heures. Enfin ! Elle allait pouvoir sortir ! Elle se leva de son lit, balança son bouquin à l’autre bout de la chambre. Les trois autres ayant compris qu’elle allait sortir, coururent jusqu’à l’orée du bois. Elle cherchait des fringues qui la grandiraient. Les talons, le haut assez décolleté, la jupe longue, un peu de maquillage, et n&
  Sujet: Voyage dans le passé
Kazy

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MessageForum: Fan- Fictions (Francais)   Posté le: 07 Juil 2003 06:22 pm   Sujet: Voyage dans le passé
Ils sont beaux et très connus.

" Un blond à la belle gueule qui commence par Win, un brun sexy qui commence par O, et un soviétique plutôt baraqué qui parle bien l’anglais ? "

Mais eux, sont si dangereux.

" Il la tuerait ce soir. "

Ils ont un plan, et nos héros sont obligés de les suivre…

" Ou ils changent le monde et tout espoir sera réduit à néant, ou on les suit grâce aux informations que nous avons, pour préserver notre monde suffisamment pourri comme ça… Vous m’accompagnez ? "

Mais vont-ils arriver à la sauver ?

" – Je n’ai pas fait tout ce chemin pour la voir se faire tuer sans rien faire ! "

Quel est son passé ?

" Finalement, ils ne savaient même pas la moitié du tiers du quart de la moitié de la vie de la jeune femme. "

Car un jour il la rattrape…

" Passé dont ils ne savaient rien. Que dalle ! "

Et les autres se posent des questions…

" - De quoi nous dérouter, et se poser pas mal de questions auxquelles tu as plus ou moins répondu lorsque tu avais 15 ans…"

Auxquelles elle ne veut pas répondre.

" Elle n’avait jamais voulu leur en parler, et les seules fois où elle leur avait répondu, c’était par un « ça ne vous regarde pas ! » suffisamment explicite pour ne pas leur donner envie de continuer. "

Car pour sauver la femme qu’il aime,

"- Ames sœur, ok…"

il ira jusqu’au bout…

" – Et ce n’est pas parce que dans le passé –et même dans le futur– elle ne veut pas de mon aide que je la laisserai tomber ! "

Même si elle ne le croit pas…

" Tu dis ça parce que je vais mourir…"

Il ira là où elle ne l’attendait pas.

"- Vous êtes allés dans mon passé ? "

De l’action…

" Mais dès qu’il la reposa, il se prit le genoux de l'adolescente dans des parties qui auraient pu servir pour plus tard, et qui avait déjà pas mal servies… "

De l’amour…

" Il la prit par les hanches, et la fit basculer dans ses bras, où il l’embrassa fougueusement. "

Des révélations…

" Ainsi, si elle était restée lorsque Largo lui avait clairement indiqué la porte, c’était pour ne pas faillir à sa promesse ? "

De l’humour…

" Et l'histoire de PFUIT le dinosaure ? "

Dans ce monde sans foi ni loi, où règne l’obligation de survie, nos amis devront faire, un

VOYAGE DANS LE PASSE


- Vite ! Vite ! Emmenez-là en bloc 3 ! ordonna le chirurgien
- Que se passe-t-il ? questionna l’infirmière
- Femme de 27 ans, balle logée dans le dos, évanouie depuis dix minutes…
- Elle a tenu aussi longtemps ?
- J’ai été étonné moi aussi, et c’est pour ça qu’il ne faudrait pas gâcher tous ces efforts !
- Messieurs, je vais vous demander de bien vouloir attendre ici, vous n’êtes pas autorisé à passer cette porte.
- Sauvez-la, je vous en supplie, j’ai les moyens, je veux les meilleurs soins… supplia un des trois garçons qui accompagnaient la jeune femme
- Ne vous inquiétez pas, mais laissez-nous faire notre travail, s’il vous plaît… Attendez dans la salle d’attente !
- Oui… Oui… J’y vais…
- Allez, viens Largo, on ne peut plus rien faire pour le moment…
- Tu es sûr ?
- Mais oui, ne t’inquiète pas…

Largo s’assit sur le premier siège qu’il aperçut, suivi de près par Simon et Kerensky. Joy était entre la vie et la mort, et ils n’avaient rien pu faire. Mais pour mieux comprendre ce qu’il se passe, nous allons revenir une semaine auparavant…

Largo avait appris que sa société de recherche avait trouvé un moyen d’aller dans le passé. Au début, il les avait pris pour des mythomanes sortis d’un hôpital psychiatrique, mais lorsque le technicien lui avait montré –non sans réticences– un disque vinyle introuvable à notre époque, il y avait cru, même si Joy et Kerensky le prenait pour un dingue de supposer que « ce genre d’idioties pour gamins de maternelle… » soit vraies. Il n’y avait qu’un seul plan de la machine conçue, qui elle, avait été créée en deux exemplaires. Et le technicien avait vendu les plans à une personne qui l’avait payée le triple que ce que Largo lui offrait. C’était à un certain Timothée Pitot, qui leur avait donné rendez-vous dans l’usine de Largo. Joy lui avait dit que c’était une mauvaise idée, et lui avait déconseillé de le faire, mais il avait préféré ignorer la remarque de son ex, et lui avait demandé de l’accompagner quand même. Finalement, elle avait accepté. Mais comme Joy l’avait prévu, c’était un piège, et le Timothée Pitot en question, était en fait mort depuis deux jours. Le type s’appelait réellement Fred Cherry, et était un tueur à gage très réputé, qui savait qu’il n’aurait pas la paix tant que Largo serait en vie. Il l’avait menacé, mais Largo n’avait pas cédé. Et Cherry avait tiré. Mais pas assez rapidement, puisque Joy avait eu le temps de le désarmer, et de l’assommer. Mais elle n’avait pas prévu que Cherry aurait pu avoir un complice…

- Mais non, Joy, tu deviens parano, ce type ne peut pas être un tueur ! dit Joy ironiquement
- Et là, elle n’avait pas tort, tu t’es trompé en beauté mon gars ! ajouta Simon par le biais de la radio
- C’est bon, c’est bon, j’ai compris, pas la peine d’en rajouter ! se plaignit le milliardaire

Il tenait Joy par la main, qui n’eut pas le temps de la retirer puisqu’il l’embrassa rapidement sans lui laisser le temps de faire quoi que ce soit. Et puis elle avait pris le parti d’en rire. Mais son rire s’arrêta lorsqu’ils entendirent un bruit sourd. Les yeux de Joy se figèrent, et elle serra brièvement, mais puissamment, la main de Largo, qui la regarda et lui demanda :

- C’était quoi ça ?
- Largo…
- Joy ?
- Largo…

Sa voix était faible, et semblait venir de loin. Elle posa sa main sur son ventre, et la regarda : du sang dégoulinait. Elle lâcha la main de Largo et tomba à genoux. Et soudain il le vit. L’homme qui lui avait tiré dessus, de dos en plus. Il fuyait. Mais Largo n’y fit pas plus attention, et regarda Joy. Elle était étendue par terre, et tremblait. Il n’entendait pas non plus les cris de Simon et de Kerensky qui lui demandaient ce qui se passait :

- Quoi ? Largo, qu’est-ce qui se passe ? Joy ? Largo ? Qu’est-ce qu’il y a ?
- Joy… ; suppliait Largo ; Joy, réponds ! Je t’en supplie !
- Lar… go…
- Mais qu’est-ce qui se passe ?
- Appelez une ambulance ! Vite ! Elle… On… On lui a tiré dessus ! Vite ! Joy, il faut que tu tiennes, tu entends ?
- Lar… go… Je… J’ai… mal…
- Je suis désolé ! C’est de ma faute, j’aurai dû t’écouter… Pardonne-moi…
- Je… Il faut… que… je te dise…
- Quoi ?
- Je… Je…
- Non, ne dis rien, tu auras le temps quand tu me hurleras dessus parce que je ne t’ai pas prévenu que je sortais…

Il n’aimait pas ça. Pas ça du tout. Cette scène lui rappelait Montréal, et il n’avait pas la moindre envie que ça finisse mal. Il fallait qu’elle s’en sorte.

- Je… Je ne… tiendrai pas…
- Mais si ! Ce n’est qu’une toute petite égratignure de rien du tout…
- Je…
- Chut ! Il ne faut pas que tu dormes, mais il ne faut pas non plus que tu parles…
- J’ai… froid…

Il retira sa veste et la mit sur Joy. Il avait peur. Peur que tout recommence comme avant. Peur des heures d’attentes dans des salles déprimantes, peur des diagnostiques des médecins plus pessimistes les uns que les autres… Il ne voulait pas que tout recommence, la douleur, la peine, la peur de la perdre, que sa vie n’ait plus aucun sens si elle mourait, de devoir aller la voir à l’hôpital où il avait déjà accompagné Simon lors de sa greffe. Peur de la perdre. Il ne voulait pas. Il fallait qu’elle tienne.
Les autres aussi étaient effrayés, et, après avoir appelé une ambulance et pris les micros, étaient montés dans la voiture.

- Joy, t’as pas le droit de m’abandonner…
- Largo…

Et ils entendirent une phrase qu’ils espéraient que Largo dise à Joy depuis longtemps :

- Non, t’as pas le droit de mourir, parce que je t’aime…
- Tu… dis ça… parce que je vais mourir…
- Non, je te dis ça parce que je le pense…

Les ambulances arrivaient, et Joy commençait à sombrer dans un état léthargique, signe qu’elle s’affaiblissait, et qu’elle approchait encore une fois de la mort. Chose qui fit encore plus peur à Largo, qui se pencha vers elle et déposa un baiser sur ses lèvres.

- Je t’en prie, ne m’abandonne pas… Qui remettra Simon à sa place sinon ?
- Kerensky…
- Et qui embêtera Kerensky ?
- Simon…
- Et qui m’empêchera de n’en faire qu’à ma tête ?
- Personne… n’a jamais… réussi…
- Joy !
- Monsieur, poussez vous s’il vous plaît ! lui demanda un infirmier
- Largo ! JOY ! criaient Simon et Kerensky en courant
- Bats-toi, Joy ! la supplia Largo

Mais elle ne répondit pas. Ses yeux étaient fermés, et les médecins lui demandaient s’il voulait monter avec eux.

Voilà comment tout s’était passé. Tout était de sa faute. Il aurait dû l’écouter. Mais comme d’habitude, il n’en avait fait qu’à sa tête… Et elle se retrouvait dans un bloc opératoire. Encore. Ils attendirent deux heures, entre soupirs, cafés et coups de pieds dans le pauvre percolateur qui n’avait pourtant rien fait pour mériter un tel acharnement. Si Kerensky soupirait toutes les deux minutes, et si Simon s'excitait sur la machine à café, Largo, lui, demeurait plongé dans ses pensées, plus noires les unes que les autres. Lorsque le chirurgien arriva. Il retira ses gants tâchés, ou plutôt recouverts de sang :

- Vous êtes de la famille ?
- Oui, mentirent-ils à l’unisson
- Alors ? demanda Largo anxieux de connaître la réponse
- Alors votre amie s’en tire sans grand dommage. Elle dort pour le moment, et je peux vous dire qu’elle a eu beaucoup de chance. Elle est sous analgésiques pour le moment, et elle dort.
- Mais… continua Kerensky qui pensait que c’était trop beau pour être vrai
- Mais elle a perdu beaucoup de sang…
- Et… poursuivit Simon
- Et il lui faut une transfusion sanguine.
- Attendez… Vous n’avez pas de sang en réserve ? s’enquit Kerensky, atterré
- Il y a eu un gigantesque accident il y a quelques jours. Nous sommes en « pénurie » entre guillemets. Et comme de moins en moins de gens font des dons de sang, c’est dur de remplir les réserves… L’un de vous est-il du groupe B- ?
- Je suis du groupe O-. Ca marche ? demanda Largo
- Il faut faire des examens, mais sinon ça devrait aller.
- Est-ce que ses jours sont en dangers ? demanda Simon
- Non, sauf si elle ne reçoit pas de sang dans les prochains jours…
- Faites moi les examens maintenant, s’il vous plaît…
- Etes vous malade ? Consommez vous de la drogue ? De l’alcool ? Une allergie particulière ?
- Non, non, non, et non.
- Alors nous pouvons commencer. Suivez moi.
- Euh… commença Largo. Est-ce qu’on peut la voir avant, s’il vous plaît ?
- Un seul à la fois. Et je pense que je vais vous faire vos examens avant… Qui veut y aller ?
- Largo, vas-y, elle a besoin de toi.
- Merci Simon. T’es vraiment un pote !

Après les examens, les prises de sang, et le branchement de la perfusion, il entra dans la chambre de son amie. Amie ? Ce n’était pas exactement le mot qui convenait, mais il n’avait pas le temps d’y penser. Il s’assit sur la chaise la plus proche, et remit la mèche « rebelle » derrière son oreille. Elle était pâle, et semblait paisible, comme à chaque fois qu’elle dormait. Oui, elle dormait. Il était rassuré. Elle n’allait pas mourir, grâce à son sang. Quoi ?! Il fallait déjà qu’il sorte !? Largo se leva à contre cœur et, avant de sortir, déposa un baiser sur les lèvres de sa garde du corps et quitta la pièce. Il se dirigea vers Simon et Kerensky :

- Il faut faire des recherches sur ce type. Sur ces types.
- Oh m***e, Largo ! s’exclama Simon
- QUOI ?
- Ils étaient deux ?
- Oui.
- Et le deuxième, il était assommé ?
- Oui.
- Et qu’est il est advenu de lui ?
- Oh m***e ! On l’a complètement oublié ! Tu crois qu’il… ?
- Il s’appelait Fred Cherry… dit Kerensky
- Et le type qui a tiré sur Joy s’appelait Tom Bouter, continua Simon
- Comment le sais-tu ? interrogeât Largo
- C’est un employé du groupe depuis deux semaines…
- Deux semaines ? Seulement ?
- Oh non ! Qui était le recruteur ? s’inquiéta le russe
- Aucune idée !
- Tu pourras me faire des recherches sur lui, s’il te plaît Kerensky ?
- Oui.
- Attends… reprit Largo
- Quoi ?
- Ils ont les plans des machines à remonter dans le temps ?
- Oui. Alors ils savent comment la faire fonctionner ?!
- Tu crois qu’ils vont aller dans le passé ? Mais pour quoi faire ?
- Je sais pas… Faire tourner le futur à leur avantage…
- Alors le temps nous est compté ! Direction l’usine !

Les deux autres hommes avaient réussi à se retrouver dans l’immeuble abandonné qui leur servait de repaire. Ils discutaient :

- Nous n’arriverons à rien si Winch est en vie, déclara Bouter
- Oui mais Arden est bien trop forte pour qu’on puisse atteindre Winch, répondit Cherry
- Mais elle est à l’hosto en ce moment, grâce à mon coup de maître !
- Il ne faut pas la sous-estimer. Et la sécurité de Winch sera encore plus renforcée. Non, ce qu’il faut, c’est tuer sa garde du corps…
- Mais elle sera protégée à l’hôpital.
- Il faut l’abattre lorsqu’elle ne peut pas se battre contre nous…
- Dans son passé ? Ses parents ? Tu veux qu’on tue ses parents pour ne pas qu’elle vienne au monde ?
- Non. C’est bien trop compliqué, et nous ne savons pas en quelle année ses parents se sont rencontrés. Non. J’ai une bien meilleure idée…
- Développe…
- Puisque nous connaissons sa date de naissance… Nous allons dans le passé, et nous la tuons pendant qu’elle a… disons… 15 ans. Ça devrait être suffisant…
- Mais pour ça il faut aller à l’usine…
- Voyons Tom, elle ne doit pas être trop surveillée, et Winch et ses amis doivent être au chevet de leur miss CIA préférée…
- Donc pas de problème… On y va ?
- Tout de suite. Tu as les plans ?
- Oui. Ils n’auront même pas le temps de comprendre ce qui leur arrive…

*

Ils étaient arrivés à l’usine le plus vite qu’ils avaient pu, puisqu’il fallait préparer la machine. Les plans en main, ils avaient pris leurs armes et étaient descendus à la voiture. L’usine était bien gardée, et après avoir assommé quelques hommes en faction, ils purent accéder à la salle de la Machine X1, avec celle juste à côté X2. Elles n’étaient pas très grandes. Juste la place pour trois personnes. C’était une sorte de grande bulle avec un tableau de commande à cinq boutons : jour, mois, année, lieu et lancement. Trois sièges uniquement.

- Laquelle on prend ? demanda Cherry
- X1, elle est plus confortable, et en plus, le technicien qui m’a filé les plans avait installé des super sièges de haute technologie… Si tu veux, on peux aussi prendre des canettes de coca, parce que là bas…
- La ferme Tom ! Bon, le temps que je prépare la date de notre arrivée dans le passé, et on part. T’as qu’à charger X1 de nos armes.

La préparation fut assez rapide, grâce aux plans ; mais ils n’avaient pas prévu que le milliardaire et ses amis auraient compris les idées des tueurs.

- Ils sont là ! cria Largo
- Empêche les de partir ! rajouta Kerensky
- Tom ! Monte, vite ! ordonna Cherry
- Ouais, ouais ! Attends ! Les plans !
- J’ai tout dans ma tête ! Allez, monte !

Bouter monta dans la machine lorsque Cherry appuya sur le bouton de lancement. Il y eut un éclair aveuglant, et puis plus rien. Il n’y avait pas eu un seul bruit. Et de toutes manières, s’il y en avait eu ne serait-ce qu’un seul, il aurait été couvert par le cri de désespoir des trois autres :

- NOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!!!!!!!!!!!!!
- C’est pas possible !? s’exclama Simon
- Notre monde… déjà pas terrible, va devenir pire qu’il ne l’est maintenant… resta interdit Kerensky
- Il faut qu’on aille les rejoindre ! déclara le milliardaire
- Et comment ?
- J’ai vu la date à laquelle ils allaient, et ils ont oublié les plans…
- Mais… Largo, il n’y a que deux places… remarqua Kerensky
- On se serrera. Ecoutez, on a pas vraiment le choix. Ou ils changent le monde et tout espoir sera réduit à néant, ou on les suit grâce aux informations que nous avons pour préserver notre monde suffisamment pourri comme ça… Et de toutes façons, que vous soyez d’accord ou pas, j’irai quand même. Vous m’accompagnez ?

Le russe et l’ex-voleur se regardèrent un moment, puis se tournèrent vers Largo. Il y avait tant de détermination dans ses yeux qu’ils savaient que rien ne le ferait changer d’avis. Simon prit en premier la parole :

- Eh, tu vas pas aller t’amuser sans moi ?!
- Et qui va veiller sur toi pendant que Joy est à l’hosto ?
- Merci les gars, je me voyais mal aller me battre tout seul contre des « michants ! »… Attendez…
- Quoi encore ? s’inquiéta le suisse
- J’ai pu voir l’année et le lieu où ils se rendaient : Washington, enfin tout près… en janvier 1991…
- Et alors ?
- Qui habitait près de Washington en 1991 ?
- Joy… comprit le russe
- Mais qu’est-ce qu’ils auraient à gagner à aller voir Joy ? demanda Simon
- Aucune idée…, lui répondit son meilleur ami
- Moi je sais…, commença Kerensky. Largo, ils voulaient te tuer, non ?
- Ben, ouais…
- Mais qui les en a empêché ?
- Ben… Joy, répondit l’intéressé.

Il attendit quelques secondes, puis une sorte d’éclair de frayeur passa dans ses yeux. Ça y est, il a compris, se dit Kerensky.

- Tu crois qu’ils veulent la tuer dans le passé pour ne pas qu’elle me sauve dans le présent ?
- C’est une solution, et la plus plausible… Surtout qu’en 91, elle n’a que… 15 ans, donc elle n’est pas dangereuse !
- Euh… Je sais pas trop moi… reprit Simon
- Quoi ?
- Ben… Si son père l’entraîne, je suis pas sûr qu’elle soit moins forte… Et puis, vous imaginez si on l’aide, les répercussions que cela peut avoir sur le présent ? continua-t-il
- Sauf si…
- Sauf si quoi, Kerenksy ?
- Sauf si Joy nous connaissait avant de nous rencontrer, si ça devait se passer…

Il regarda ses amis. Vu leur regard, ils n’avaient pas compris… Il allait encore falloir jouer les profs… Surtout que le temps leur était compté si ce qu’ils redoutaient était vrai !

- Imaginez que ce qui se passe maintenant, devait se passer…
- Oui…
- Ça voudrait dire que c’était prévu qu’ils aillent dans le passé ; donc nous par la même occasion…
- Oui…
- Or, si nous allons dans le passé sauver Joy, ça veut dire que nous allons la rencontrer. Et si nous la rencontrons alors qu’elle a 15 ans, elle se souviendra de nous. Mais comme lorsqu’elle nous rencontrera lorsque Nério sera mort, elle saura qui nous sommes…
- C’est compliqué mais je comprends… Tu veux dire qu’elle savait qui on était dès le début ?
- Peut-être. Sauf si on l’a forcée à oublier, ou si elle l’a oublié tout court…
- Eh ben… soupira Simon. Elle l’a bien caché, alors…
- Bon, les gars, les deux autres ont déjà de l’avance, on n'a pas le temps de tergiverser sur des détails ! On verra tout sur le tas… Georgi, tu connais les plans ?
- Je sais les lire, oui. Laissez moi cinq minutes…

Il se dirigea vers le rouleau et se pencha dessus. Pendant ce temps, Largo réfléchissait. Ils allaient aller dans le passé de Joy. Passé dont ils ne savaient rien. Que dalle ! Elle n’avait jamais voulu leur en parler, et les seules fois où elle leur avait répondu, c’était par un « ça ne vous regarde pas ! » suffisamment explicite pour ne pas leur donner envie de continuer. Pas brillant, quoi. Elle leur en voudrait sûrement. Et qu’est-ce qu’ils allaient bien pouvoir lui raconter dans le passé ? La vérité ? Non, elle les prendrait pour des tarés sortis tout droit d’un asile. Lui mentir ? Oui, mais lui dire quoi ? Elle n’était pas si naïve que ça tout de même… Apparemment, Simon suivait le même raisonnement que lui, car, lorsqu’il croisa son regard, il y vit ce qu’il devait sûrement y avoir dans le sien : de l’excitation mêlée à une nervosité intense. Mais le russe coupa leurs pensées… :

- On peut y aller les gars… J’ai tout compris.
- Euh… On devrait peut-être prévenir l’hôpital si Joy se réveille, non ? demanda Simon
- Ne t’inquiète pas Simon. Avec les changements d’espace temps, nous ne partirons qu’une dizaine de minutes… si ce n’est des secondes.
- Quoi ?
- T’as jamais vu de films de science-fiction à la télé, où les héros remontent dans le temps, et où quand ils reviennent, c’est à peine quelques secondes après ? demanda Kerensky, ironique
- Ben… Si ! répondit Simon
- Eh ben c’est exactement la même chose, d’après ce que m’avait raconté le technicien. Donc, pas la peine d’appeler l’hôpital, et de toutes manières, ils nous prendraient pour des fous, puisque personne d’autre n’est au courant…
- Ah !!

Kerensky prit un ordinateur portable et un chargeur, puis rejoignit les deux autres. Ils montèrent dans X2.

- Bon, on y va ? s’impatienta Largo
- Oui. Retour vers le passé !!!!!!!! s’enthousiasma Simon
- Euh… désolé de te casser ton… enthousiasme, mais non seulement ce sera pas facile, mais en plus, c’est « retour vers le futur qu’on dit », d’habitude… ; répliqua son meilleur ami
- Mais non ! On va vers le passé, là, mon cher Largo… Donc c’est « Retour vers le passé » qu’il faut dire !
- Ben oui, mais ça fait un peu pitié comme expression…

La réplique cinglante qui traversa à ce moment là les lèvres de Simon disparut en même temps que la Machine dans laquelle ils étaient montés, et que Kerensky avait réussi à mettre en marche, malgré les imbécillités de ses amis, qui n’avaient pas trouvé un autre moyen de décompresser. Et si ses doutes et ses renseignements sur le passé de Joy étaient fondés, ils en auraient bien besoin…

*

DRIIIIIIIIIIIIIIIIING BOUM !!!! Maudit réveil ! Un de ces jours, il serait irrécupérable si elle continuait à s’énerver dessus comme ça. Mais il était cinq heures du mat’, et elle s’était couché tard la veille. Et il y avait cet entraînement de… -mot que la décence ne lui permettait pas de prononcer- qu’elle allait devoir faire. Elle se ménagea un peu, et émergea de son lit douillet. Elle sortit de sa chambre bleue, longea le long couloir, glissa un œil dans l’entrebâillement d’une porte, et descendit les escaliers dans un soupir à fendre l’âme. Il était encore absent, et elle avait été bien naïve de penser qu’il soit rentré pendant la nuit… Arrivée dans l’entrée, elle alla dans la cuisine, et alluma la radio. Un dur choix se présentait à elle : faire son entraînement et se préparer pour aller faire un contrôle de maths qu’elle n’avait pas révisé du tout et donc, par la même occasion, avoir une sale note ; ou faire son entraînement et s’éclater toute la journée avec son meilleur ami ? La deuxième solution, puisque lui non plus n’avait pas révisé son interro de maths. Il fallait qu’elle aille le voir quand même pour lui poser la question. Ils allaient se faire tuer, mais au point où ils en étaient tous les deux, ça valait la peine… Surtout pour son avenir. Il était déjà tout tracé, donc pas la peine de se prendre la tête à étudier des idioties sorties d’un bouquin qu’un pauvre type qui s’emmerdait avait pu écrire lors d’une nuit blanche… Soudain, elle se rendit compte qu’il ne fallait pas qu’elle déjeune avant l’entraînement, parce que sinon, elle risquait de terminer la matinée dans les toilettes. Elle éteignit la radio, remonta dans sa chambre, ouvrit la fenêtre, monta sur la grosse branche qui s’offrait à elle, et rampa jusqu’à la fenêtre d’à côté, puis elle y toqua. Elle attendit un bon moment qu’un garçon châtain aux cheveux ébouriffés et en pyjama vert vienne lui ouvrir la fenêtre.

- Qu’est-ce que tu veux ? lui demanda-t-il en baillant
- Bonjour Joy, ça va ? Oh oui, Matthew, c’est gentil de t’en inquiéter et toi, ça va ? monologua-t-elle. Bien sûr ! Dès que tu es là tout va bien ! Mais que viens-tu faire ici à une heure si tôt ?
- Désolé Joy. Je ne te demande plus si ça va, je le sais. Bon, qu’est-ce que tu viens faire ici ?
- On va en cours aujourd’hui ?
- Ben… Pourquoi on irait pas ?
- Parce qu’il y a un contrôle de maths prévu depuis une semaine qu’on n'a pas révisé.
- Ah… Ben alors on n'y va pas. Ta tante est malade ?
- Oh, non. Elle l’était déjà le mois dernier. Ils vont la prendre pour une hypocondriaque. Euh… Tu vas voir ta grand-mère à la maison de retraite, et moi je vais rendre visite à mon oncle en prison… ?

Ils pouffèrent.

- Ouais, pas con comme idée… ! reprit le garçon
- Alors on fait comme ça ?
- Ouais ! Tu veux entrer ?
- Non, j’ai entraînement là.
- A cinq heures et demi du mat’ ?
- Je tiens à te signaler que tu es censé en avoir un tous les matins, toi aussi !
- Oui, mais mon père croit que je le fais avec toi… Et de toutes façons, avec toutes les attaques qu’on subit par mois, on est suffisamment entraînés !
- Ouais, mais je veux quand même garder la forme. Et puis, mon père peut rentrer à tout moment. Au fait, ça marche toujours pour ce soir ?
- Ben… Oui. On se retrouve dans la forêt ?
- Pas de problème ! Tu m’attends devant chez moi dans… disons deux heures, ça te va ?
- Ouais ! Euh… Non ! Joy !
- Quoi ?
- Tu es sûre que tu ne peux pas réviser vite fait, parce que…
- Jen ?
- Oui. Je dois l’emmener à la maternelle, et si on me voit…
- Bon, ok. Je comprends. T’inquiète pas, j’ai déjà fait pire. Et puis une sale note de plus ou une de moins…
- Tu m’en veux ?
- Bien sûr que non ! C’est pas grave, on se vengera sur la prof ! Tu passes me chercher à huit heures ?
- Ok. A tout’ !

Elle sourit, se retourna sur la branche, et fit le chemin inverse, tandis que Matthew refermait la fenêtre dans un bâillement sonore. Elle rentra dans sa chambre, s’habilla en tenue de sport, coiffa ses cheveux mi-longs en queue de cheval, et descendit à la cave. Elle repoussa une étagère, qui laissa découvrir une porte, attrapa une clé cachée sous un vieux bureau poussiéreux et abîmé, et la glissa dans la serrure. Joy ouvrit la porte et traversa le salon, puis sortit jusqu’au jardin de devant. Personne ne la verrait, puisque personne ne passait par là. La forêt était juste à côté de chez elle. Elle pouvait s’enfuir de sa maison comme elle le voulait, et rejoindre son ami d’enfance Matthew qui la connaissait mieux que personne. L’adolescente se dirigea vers la forêt en courant et alla jusqu’au fin fond du bois, où il y avait ce grand lac où personne n’allait, mais qui restait le lieu préféré de Joy, malgré le fait qu’elle y ait de mauvais souvenirs… Arrivée là-bas, elle courut le plus vite qu’elle put, esquivant les arbres, les ronces, les racines, et feuilles encore glissantes par la rosée du matin. Le soleil commençait à peine à se lever, et Joy courait toujours avec autant de rapidité et d’endurance.

Une demi-heure qu’elle cavalait dans les chemins plus ou moins sinueux sans faiblir. Elle arrivait en vue de chez elle, accéléra et entra dans sa maison. La jeune fille descendit les escaliers jusqu’à la cave, et, sans allumer la lumière s’approcha d’une espèce de table, attrapa une arme, et sans mettre de casque, tira tout droit. Puis elle posa le revolver sur la même table, et alla allumer la lumière. Une gigantesque salle s’offrait à elle. Une table avec une dizaines d’armes plus ou moins puissantes, une espèce de baie vitrée protégeait une cible placée loin d’elle, mais personne n’aurait pu dire à quelle distance. A l’autre bout de la salle, un punching-ball et un sac de combat, ainsi que plusieurs mannequins placés à différents endroits stratégiques, des barres fixes, asymétriques, et parallèles, et enfin une poutre haute. Tout un programme qui coûtait cher. Mais ça ne l’impressionnait plus. Elle n’était plus la petite fille naïve qui rêvait du prince charmant, et qui pensait que la vie était une sorte de paradis. Dès l’âge de huit ans, elle avait arrêté de rêver : elle avait perdu ce stupide concours de beauté qu’elle n’avait fait que pour faire plaisir à sa mère, et son père avait commencé à l’entraîner. Mais maintenant tout avait changé, plus rien n’était pareil, et plus rien ne serait jamais comme avant. Elle se « battit » contre le sac de combat pendant une petite demi-heure. Puis, au bord de l’épuisement, elle ferma la porte et remonta dans la cuisine, alluma la radio comme elle l’avait fait avant, et se prépara un petit déjeuner bien rempli. Ensuite, elle monta dans la salle de bain, prit une douche, se r-habilla et sortit ses notes –peu nombreuses– de maths, pour réviser un peu. Il lui restait une heure et demi pour apprendre son cours.

*

Dans un immeuble abandonné à l’autre bout de la ville, une lumière aveuglante s’éteignit au bout de quelques secondes, laissant place à l’ombre d’une sorte de grande bulle de verre qui fumait un peu, et d’où sortirent deux hommes : un blond assez grand et baraqué, et un homme encore jeune aux cheveux blancs avec le visage ravagé par des cicatrices. Le deuxième homme toussa :

- Keuf ! Keuf ! Ah ! Fichue machine de… !
- Pas de gros mot ! Bon, on est où, et quelle heure est-il ? lui répondit son ami
- On est… dans un immeuble abandonné apparemment… et il est six heures du mat’ ! Eh ben…
- On peut dormir alors, ça va, on n'est pas pressés ! proposa Bouter
- Si justement, nous sommes pressés ! Winch et les deux autres doivent être sur notre piste.
- Mais ils ne savent pas ce que l’on compte faire, et encore moins où nous allons. Nous avons tout notre temps !
- Oui, mais Arden ne sera pas facile à atteindre ! A quelle heure commencent les cours à ton avis ?
- Ben… A neuf heures, je crois ! Et ils se terminent à… Cinq heures s’ils n’ont pas de colles !
- Ok. On les cueillera à la sortie.
- Devant tout le monde ? Non. Trop dangereux ! Ce soir, c’est plus sûr !
- Mais… On ne sait pas où elle habite !
- On demandera à des gens !
- Et se faire griller ? Tu fais chier Tom ! Réfléchis trente secondes ! s’énerva Cherry. Non. On ira à la mairie faire nos recherches. Ça prendra le temps qu’il faudra, mais nous la tuerons !
- Et pour le moment, on fait quoi ?
- J’suis crevé à force de réfléchir. On va dormir…

La lumière s’évanouit comme elle s’était allumée. Plus rien qu’une forêt. Des arbres à perte de vue. Rien que des arbres et un petit lac que tout le monde semblait ignorer. Il était sept heures et demi du matin, alors qu’ils avaient quittés 2003 à sept heures du soir. Etrange, mais ils n’avaient pas le temps d’y réfléchir. Kerensky observa les alentours pour voir si Cherry et Bouter étaient dans le coin. Mais rien. Que dalle ! Nada ! Simon fut le premier à réagir :

- Euh… On est où ?
- Dans une forêt, répondit son meilleur ami
- Merci Largo, ton sens inouï de l’observation va nous être très utile ! répliqua le suisse
- C’est près de chez Joy, et personne ne semble connaître –ou aller– à cet endroit… remarqua le russe
- A sept heures du mat’, je comprends…
- On fait quoi ? demanda Largo
- Aucune idée, répliqua l’ex-voleur
- On fait confiance à Joy, répondit le génie de l’informatique. On l’observe toute la journée, et si jamais à un moment elle a besoin d’aide, on y va. Il faut qu’on agisse le moins possible dans le passé. Je crois qu’il y a des caméras de surveillance chez elle, on pourra l’observer…
- Et comment ? interrogea Largo
- J’ai pris mon ordinateur portable, et des micros avant de partir, raconta Kerensky
- Mais il n’y a pas encore Internet à cette époque…
- C’est pour ça que je vais le faire grâce à un logiciel que j’ai piqué avant de partir. Et arrête de m’embêter. Vous n’avez qu’à aller voir les environs, et là où est Joy. Après tout, peut-être qu’elle n’aura pas besoin de nous, si elle est aussi forte dans le passé que dans le futur… Tenez, un micro chacun. Et vous vous débrouillerez pour en mettre un sur Joy.
- Ouais. J’y vais ! proposa Largo
- Et faire du voyeurisme ? Non mais t’es malade ? Je viens avec toi ! A tout’ Kerensky !

Ils partirent tous les deux se promener dans les bois, redoutant quelque peu ce qu’ils allaient voir… Ils se perdirent un bon moment, et se retrouvèrent devant la maison blanche une vingtaine de minutes plus tard. Une jeune fille brune sortait de chez elle en pantalon et doudoune, les cheveux lâchés. Quelques minutes plus tard, un garçon châtain arriva et ils se firent la bise. Une petite fille aux cheveux blonds bouclés les accompagnait. L’adolescente se pencha vers la petite et lui dit :

- Salut Jen, ça va ?
- Oui Joy ! Tu nous accompagnes à la maternelle ? lui répondit la petite fille
- Ben ouais parce que ton frère est tellement nul qu’il pourrait se perdre !
- L’écoute pas, Jen, elle dit ça pour m’embêter ! se vexa Matthew
- Bon, allez, je t’accompagne à la maternelle, nous on a un contrôle de maths que j’ai réussi à réviser en une demi-heure !
- Ah bon ? Moi j’ai mis deux heures et j’ai pas encore tout saisi… expliqua-t-il
- Oui, mais toi tu ne comprends jamais rien. Je suis habituée maintenant ! se moqua sa meilleure amie
- Moi, je vais faire des bôôôôô dessins avec la maîtresse aujourd’hui ! raconta Jennifer
- Jen, c’est Chloé qui viendra te chercher ce soir. Moi je termine trop tard, expliqua l’adolescent à sa soeur
- Ah bon ? s’étonna-t-elle. Et qui me gardera ce soir ?
- Chloé. Tu seras sage, hein ?
- Promis. Mais je préfère quand c’est Joy qui me garde.
- Ecoute… lui confia la jeune fille. Je ne peux pas te garder pour le moment, parce que j’ai cours, et beaucoup de travail…
- Et elle doit trouver des moyens plus rigolos de rembarrer les mecs qui viennent la draguer ! intervint Matt
- Oh oui ! J’aime bien quand tu rembarres les garçons, Joy ! C’est marrant !
- Je t’apprendrais, si tu veux quand tu seras plus grande ! proposa-t-elle
- Euh… C’est pas que c’est une mauvaise idée, mais j’ai pas envie que ma sœur devienne la destructrice des cœurs de pauvres garçons…
- …Qui ne pensent qu’à la mettre dans leur lit ! coupa son amie. Matt, tu es mieux placé que n’importe qui pour dire ça !
- Bon, ok, ok, on parle d’autre chose !

Ils se dirigèrent dans les rues de la ville, et accompagnèrent la petite Jen à la maternelle, puis ensuite allèrent au lycée ; toujours suivis par Simon et Largo, qui l’avait bousculée discrètement et avait mis le micro en place, en liaison avec Kerensky qui avait réussi à se connecter aux caméras de surveillances de chez Joy. Après être certains qu’elle ne craignait plus rien pour le moment, ils rebroussèrent chemin et retournèrent au bois. Mais leur estomac leur rappela qu’ils n’avaient pas mangé depuis un bon moment…

- J’ai faim ! se plaignit Simon
- Je dois avoir de l’argent sur moi… mais j’ai laissé ma carte bleue à l’hôpital… ; répondit Largo
- Vous réfléchissez des fois ? Regardez vos dollars : ils sont datés d’après 1991 ! Si on les utilise, on peut se faire arrêter pour faux monnayage ! intervint Kerensky
- Donc on est fauchés !?
- Tu as un sens de la déduction très présent, Simon !
- Comment on va faire ?
- Comme quand on était à la rue : voler ou travailler…
- Mais nous n’avons pas les papiers. Donc on va devoir voler. Chez Joy ? Il n’y a personne, et je brouillerai les caméras. Quand elle saura qui nous sommes, elle comprendra.
- Alors on fait comme ça ? Tu as le matos, Simon ?
- Toujours !

*

Ils se mirent tous les deux en route, et s’approchèrent de la maison de leur amie. Simon crocheta la serrure, et entra dans la maison. Tout était plus ou moins rangé. Rangé, mais poussiéreux. Ils se promenèrent un peu, et trouvèrent la cuisine qu’ils dévalisèrent à moitié. Ou plutôt Simon dévalisait la cuisine, tandis que Largo ; qui n’avait jamais vu la maison de Joy en entier ; montait les escaliers et allait dans la chambre de son amie. Elle était plutôt grande. Juste à droite, un lit deux places, et de l’autre, un vieux secrétaire encore bien conservé. Un dressing était à côté du lit, et un pouf trônait au milieu de la chambre. Quelques fringues traînaient ici et là, son bureau était plein de petits papiers, et les seules photos qu’il y avaient étaient celles d’une femme brune aux longs cheveux bouclés –probablement sa mère–, et le garçon brun qui l’avait accompagné avec sa petite sœur. De toute évidence, la photo était récente. Celle de la jeune femme semblait plus « vieille » de deux ans, mais Largo n’aurait su dire comment il le savait. Rien de son père. Quelques posters de différents groupes de rock et de rap recouvraient les murs bleus, mais rien de choquant, rien qui montrait que Joy était fan de quelque chose. Toujours simple. Exactement comme Largo l’avait imaginé. Au niveau des goût, elle n’avait pas tant changé que ça. Surtout lorsqu’il regarda les CD qui étaient éparpillés sur son bureau. Plusieurs livres étaient rangés sur une étagère. Le milliardaire observa les couvertures : que des livres policiers, ou à l’eau de rose dont elle devait sûrement se moquer avec son ami. Ami dont elle semblait proche. Il avait senti son cœur se serrer lorsqu’il l’avait vue lui faire la bise avec tellement d’amour. Non. Ce n’était pas de l’amour… Amour quoi ! Elle ne semblait pas amoureuse de ce garçon, elle devait plutôt le considérer comme un frère, mais pas plus… Un ami d’enfance, quoi. Mais elle ne semblait pas amoureuse de lui. Il fut sorti de ses pensées par son meilleur ami :

- C’est sa chambre ?
- Oui, je crois…
- Tout à fait comme je l’avais imaginé ! En un peu moins rangé peut-être…
- Ouais. T’as fait des provisions ? demanda le milliardaire
- Ouais. Et je peux te dire que le frigo est bien plein… Enfin, était plein ! Je l’ai presque vidé !
- Simon, le strict nécessaire, on a dit !
- T’as vu la chambre de Charles ?
- Non. Et à dire vrai, je m’en fous un peu ! On y va ?
- Après toi…

Le milliardaire attrapa un paquet de gâteau dans les nombreuses choses que son ami avait volées. Empruntées. De toutes façons, Joy ne s’en rendrait pas compte. Ou plutôt elle n’aurait pas de preuves, et elle ne les connaissait pas. Parce que si elle n’avait pas changé durant tout ce temps, ils allaient se faire sérieusement enguirlander. Et encore ce n’était que de la nourriture. Simon n’imaginait pas trop l’idée qu’une ado de 15 ans lui fasse la morale. Quand elle en a 12 de plus, ok, mais avant non. Et pourtant, il sentait que, si elle l’enguirlandait pour une raison ou pour une autre, il aurait peur de son regard noir. S’il était déjà noir à cette époque. Et pour tout dire, il n’avait pas non plus envie de le vérifier.

Kerensky se demandait ce qu’ils faisaient à regarder la chambre de la garde du corps, le regard vide. Mais qu’est-ce qu’ils foutaient ? Charles Arden pouvait revenir à tout moment, et eux demeuraient dans la chambre, sans aucune raison apparente à fixer désespérément les murs. En fait, le Russe savait qu’ils avaient une raison, parce qu’il pensait la même chose. Quel était son passé ? Durant toutes ses recherches, pourtant poussées, il n’avait pas pu apprendre beaucoup de chose. Quelques anecdotes inintéressantes d’adolescent comme quoi elle séchait les cours presque tous les mois, mais il avait quand même appris un détail important, dont Joy n’avait jamais parlé. Peut-être se sentait-elle coupable. Mais coupable de quoi ? De n’avoir rien pu faire devant un accident idiot ? Après ce genre de chose, on se sent toujours coupable. Il faudrait qu’il lui parle maintenant, pour être fixé.
Mais il ne savait pas un tiers d’une vérité dont la Joy du futur –et même du passé– n’osait parler, de peur d’être jugée. Une seule personne était au courant de la vérité vraie. Mais cette personne, ils ne la connaissaient pas dans le futur…

Ils avaient dormi toute la journée. Trop de tension, d’ennuis, de violence –quoi que ça ne les avait pas empêchés de dormir !– et de changement de programme en si peu de temps. Ils avaient réfléchi à la façon de tuer la future garde du corps du milliardaire. Ils allaient sûrement la suivre. Juste cette soirée. Après tout, ils étaient des professionnels. Ils avaient le choix. Ou la tuer ce soir, et c’était fini. Ou la tuer plus tard, et tout serait plus compliqué. Fred était réveillé depuis assez longtemps, et réfléchissait. Pas besoin de faire tout un tralala, puisqu’elle ne saurait même pas pourquoi ils voulaient la tuer. Donc ce soir. Il se souvint tout à coup de l’adresse d’Arden. Enfin, pas de l’adresse, mais d’un lieu tout proche. Une forêt. Oui. Lorsqu’il avait interrogé un garçon dans le futur, il lui avait dit qu’elle habitait près d’une forêt. Il n’y avait pas pensé tout de suite, parce qu’il l’avait pris pour un imbécile. D’ailleurs il avait tué ce type. Pas de témoin. Tom ronflait à côté. Cherry soupira et se prit à envier l’innocence… non, pas l’innocence, puisque lui aussi avait tué. Mais la détente. Jamais nerveux, toujours le moyen de détendre. Mais quels imbéciles ! Ils auraient dû faire des recherches ! Juste pour être sûrs ! Ça pourrait leur être fatal ! Non. Elle n’avait que 15 ans, et même si on est la fille d’un dirigeant de la CIA, on ne sait pas se battre, et on n’est pas agent soi-même à 15 ans. Ça allait être quand même dur de tuer une adolescente. Pour un adulte, il ne faisait aucun état d’âme, mais là… Elle ne saurait même pas pourquoi elle mourrait. Après tout, elle ne lui avait encore rien fait. Et voilà ! Il commençait à faire du sentimentalisme. Mauvais pour son métier. Il la tuerait ce soir. Lorsqu’elle sortirait dans la forêt. Mais à la réflexion, il n’était même pas sûr qu’elle sorte dans la forêt. Il faudrait plutôt qu’il aille voir où elle habitait. Et pour savoir, il n’y a qu’un lieu : les bars. Là-bas, il n’y a que des malheureux qui se saoulent et qui, par conséquent, balancent des informations qu’il était facile de récolter. Il n’aurait qu’à y aller. Que ce soit dans le présent ou dans le passé, c’était et ce serait toujours pareil : pathétique.

*

Les garçons étaient retournés dans la forêt et avaient mangé à leur faim, puis avaient écouté comment se passaient les cours de Joy. Un bordel monstre. Et encore, le mot était faible. Elle semblait dormir en classe, et lorsqu’on la réveillait, elle envoyait les profs bouler à l’autre bout de la planète. Jamais ils n’auraient imaginé que la Joy légèrement coincée, ou en tout cas fort discrète, pouvait être aussi… chiante. Oui. Chiante était le mot juste. Grossier, mais juste. Cependant, Kerensky sentait qu’elle le faisait exprès. Il en fit part aux autres qui comprirent eux aussi : elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour qu’on lui fiche une paix royale. Et la plupart du temps ça marchait. Mais ils n’avaient pas non plus imaginé que Joy se fasse autant draguer. Ils avaient surpris une conversation entre Joy et Matthew qui lui reprochait d’être trop brutale avec les pauvres garçons. Alors qu’elle se défendait en lui disant que ce n’était pas violent, il lui rappela sa façon de les envoyer paître : elle les laissait faire un bon moment, et lorsque le prétendant lui demandait de sortir avec elle, elle refusait, lui sortant quelle avait rendez-vous avec quelqu’un de très important. En général, ils lui demandaient qui c’était, et elle lui répondait « ma glace au chocolat, et un bon vieux navet à la télé… Ce sera pour une autre fois ! ». Autre fois qui n’arrivait jamais la plupart du temps… Et puis elle les plantait là. Et finalement les trois hommes avaient coupé, et avaient discuté de la manière dont ils allaient apprendre à leur amie la raison de leur présence… Dans tous les cas, ou elle les prenait pour des dingues et appelait l’asile le plus proche, ou elle les tuait… En gros, rien de concluant. Et puis les cours s’étaient achevés, et Kerensky avait rebranché le micro :

- J’en ai marre, marre, marre ! vociférait Joy ; Il est hors de question que je fasse ça !
- Tu n’as pas vraiment le choix ! rétorqua Matthew ; Et puis je ne vois pas de quoi tu te plains ! Le rôle de Juliette, toutes les filles en rêvent… Surtout quand Roméo est le mec le plus désiré du lycée !
- Le type le plus désiré du lycée c’est toi ! Et sûrement pas cet imbécile heureux de Drew, qui ne pense qu’à faire de faux espoirs aux pauvres filles désespérément seules, pour les oublier juste après et leur faire de la peine ! Et en plus, je sais pas comment on peut être beau avec un nom pareil !
- Moi j’aime bien Drew comme nom !
- Ça fait bourge !
- Et alors ? Allez, arrête de faire la tête !
- Non mais tu te rends compte que je vais devoir embrasser ce bouseux !? Beurk ! Rien que cette idée me donne la nausée ! Et puis il n’est pas capable d’aligner trois mots ! C’est un de ces enfants de riches pourris gâtés complètement à la masse !
- Ça y est, t’es calmée ?
- NON ! J’en ai marre que ça tombe toujours sur moi ! J’aurais préféré le rôle de la nourrice ! Même de… de… de rien du tout ! La prochaine fois que tu voudras emmener ta sœur à la maternelle alors qu’on a un contrôle de maths –qu’en plus j’ai raté– promets moi de m’oublier dans ton programme ! Laisse-moi faire des conneries ou aller me balader… c’est plus instructif et plus marrant que de devoir apprendre plein de lignes du genre : « O Roméo pourquoi t’appelles-tu Roméo ? Renie ton père et rejette ton nom… » je sais plus la suite ! Si elle avait un minimum de matière grise dans son cerveau cette conne qui doit sûrement être blonde, elle saurait que c’est pas lui qu’a choisi son nom !
- Ce n’est même pas ça, les paroles !
- M’en fous, ça revient au même : c’est une blonde !
- Joy, tu connais l’histoire de PAF le chien ? demanda Matt avec un calme olympien
- Quoi ? Mais de quoi tu parles ?
- Tu connais l’histoire de PAF le chien ? réitéra son ami
- Ben… Non… Mais je vois pas le rapport entre « l’histoire de PAF le chien » et Roméo et Juliette à apprendre pour le mois prochain…
- C’est l’histoire d’un chien qui se balade dans la rue. Il traverse la route, et là y a un camion qui passe, et ça fait PAF le chien !

Joy s’arrêta de marcher, regarda son ami, le prenant pour un illuminé, et soudain éclata de rire :

- Mais c’est nul !
- Ben tu t’attendais à quoi ? demanda Matt qui riait lui aussi aux éclats, ravi d’avoir calmé sa meilleure amie
- Je sais pas… A un truc un peu plus… philosophique ! Plus intellectuel quoi !
- Et tu connais l’histoire de FLOP FLOP la girafe ?
- Vas-y…
- C’est une girafe qui se balade dans la savane, y a un hélicoptère qui passe, et ça fait FLOP FLOP la girafe !

Elle rit de nouveau.

- Mais c’est débile ! Qui t’a appris ça ?
- C’est Jen. Elle m’a dit qu’elle avait appris ça à la maternelle ! Et tu peux en inventer d’autres !
- Attends, j’essaie… Et SWIP le chat, tu connais ?
- Non…
- C’est l’histoire d’un chat qui va dans la cuisine. Il voit pas la flaque d’eau, marche dessus, glisse, et ça fait SWIP le chat !
- Tu vois !? Sinon, y a aussi PAN l’oiseau : c’est un oiseau qui vole dans le ciel, y a un chasseur qui le voit, il vise, et ça fait PAN l’oiseau !

Ils riaient tous les deux de la stupidité de leurs propos. Kerensky, Simon et Largo n’en revenaient pas. C’était aussi intelligent que les blagues carambars !! Joy avait vraiment changé ! Au moins ça la détendait ! Et les deux autres continuaient :

- Et PFUIT le dinosaure ? poursuivait Joy. C’est un dinosaure qui se balade dans la jungle et il se dispute avec un magicien qui lui lance un sort, et ça fait PFUIT le dinosaure !
- Et SCHPROUIT la fourmi ? C’est une fourmi qui se promène dans la forêt. Y a un randonneur qui passe et qui lui marche dessus, et ça fait SCHPROUIT la fourmi !

Le rire de Joy se stoppa net.

- Ben quoi, elle est pas drôle ma blague ?
- Matt… souffla-t-elle

Il suivit son regard : elle fixait la maison, et plus particulièrement une voiture qui venait de se garer dans l’allée. Elle jura et se tourna vers son ami :

- Je viens quand même ce soir…
- Mais… ton père ne voudra jamais !
- Mon père repartira sûrement dans quelques heures. Et puis je m’en fous. Il a qu’à dégager de ma vie. Il n’est jamais là quand j’ai besoin de lui, mais dès que je veux prendre l’air, il s’accroche. Il m’énerve, et je ne l’aime pas. Il pourrait mourir que ça ne me ferait rien.
- Tu ne le penses pas !
- Non… C’est vrai, mais par contre, je préfèrerais ne plus le voir !
- Un jour tu seras heureuse de l’avoir…
- Ton père n’est pas le même que le mien je te signale ! Toi tu peux lui mentir comme tu veux. Moi j’ai beau m’entraîner à lui raconter n’importe quoi, il sait quand je lui mens. Et je n’ai pas envie de rentrer chez moi si c’est pour me disputer avec lui.
- Fais-le enrager si tu veux…
- Ouais ! Je vais jouer du piano. Quand je joue fort, et qu’il revient de mission, il déteste que je fasse ça. Je suis peut-être une fille ingrate, mais je m’en fous, c’est sa faute…
- Quoi ? La mort de ta mère ?
- Non… Le… truc, tu sais…
- Mais quoi ? Dis-le, bon sang !
- Je dois y aller !

Elle commença à partir, mais les trois garçons entendirent clairement la phrase que Matthew prononça :

- Tant que tu ne le diras pas, tu ne seras pas guérie, et ta reconnaissance infinie ne fera pas tout…

La porte claqua, et laissa apparaître l’adolescente. Kerensky, Simon et Largo suivirent tout le cheminement : Joy montait dans sa chambre sans répondre aux questions de son père, qui le lui reprochait. Lorsqu’il lui demanda si elle avait commencé à étudier le violon, la jeune fille lui répondit non et il lui dit qu’elle devait en faire tous les jours. Elle se redescendit les escaliers et alla dans le salon, attrapa le violon et commença à jouer n’importe quoi avec énervement : les notes étaient fausses et le son insupportable. Elle y mettait vraiment de la mauvaise foi, la garce ! Son père lui ordonna d’arrêter, et la miss reposa l’instrument, un sourire faussement angélique aux lèvres, pour remonter dans sa chambre où son père alla la rejoindre. Et tout s’envenima à cause de cette remarque :

- Quand vas-tu cesser de me faire la tête ? demanda Charles
- Euh… Jamais, ça te va ou tu veux que j’allonge encore un peu ?
- Joy… Je t’ai sauvé la vie !
- Nério m’a sauvé la vie ! Pas toi !

Nério ? A son nom, Largo pâlit. Elle le connaissait ? Mais… Pourquoi n’avait-elle rien dit ?

- Ce type n’a fait que me donner un flingue, et a tiré sur le bocal ! continua son père
- Tu n’accepteras jamais ça ! Jamais qu’un autre que toi me sauve. Et encore moins Nério, et je sais pourquoi !
- Ah oui ?
- Tu crois que je ne vous entendais pas vous engueuler tous les soirs ? Elle couchait avec lui, alors tu le détestes ! Mais moi je l’aime bien, et de toutes façons, j’irai le voir à New York !
- Tu ne sortiras pas !
- J’aimerai bien voir ça ! Maintenant sors de MA chambre et fous-moi la paix, comme tu le fais d’habitude ! C’est beaucoup mieux comme ça ! Je comprends pourquoi les agents de KGB t’appellent « le fantôme » ! Je suis bien placée pour le savoir !

Charles Arden se calma, puis reprit :

- As-tu subi une attaque, aujourd’hui ?
- Tu veux savoir si tes efforts pour me garder en vie ont été vains ou non ?

Il la gifla.

- Tu vois, tu ne te contrôles pas. Je comprends que maman soit allée voir ailleurs… Et non, on ne m’a pas attaquée ! Mais ne t’inquiète pas, la journée n’est pas terminée !

Elle sortit de sa chambre en courant et claqua la porte, puis s’en alla à toutes jambes. Elle le haïssait à cet instant présent. Elle cavalait toujours sans s’arrêter. Elle courait. Sans se rendre compte de là où elle allait. Et puis d’un coup, elle se retrouva en face du lac. Elle ne pleurait pas. Elle était en colère, mais ne pleurait pas. Joy Arden ne pleure pas. Joy Arden ne doit pas montrer ses sentiments. Et puis m***e elle était humaine ! Pleurer était normal ! Les larmes ne venaient pas, mais la colère restait.

- Et m***e ! J’en ai marre ! Tout ça c’est de sa faute ! Jamais tu n’aurais dû tomber enceinte de moi, maman, tu m’entends ? Je sais que j’étais un accident, et ça je ne te le pardonnerai jamais ! Tu n’as pas agi comme une mère ! Protection de m***e ! Et tes soit-disant dons de voyance ! Non mais j’étais vraiment trop naïve !

Elle shootait dans les branches d’arbres mortes, tout en regardant le ciel.

- De toutes façons, je les attends ces s******s ! Qu’ils viennent, et je leur ferai leur fête !

Elle se calma et regarda le lac. L’eau du lac était gelée, mais la glace pourrait sûrement tenir si elle montait dessus. Elle avait froid. Elle était en pull, mais sans doudoune, et il devait faire au moins –10°C. Pas de gants, pas d’écharpe, rien. Elle avançait sans s’en rendre compte sur la glace. Elle adorait ça. La glace et elle se ressemblaient beaucoup : une carapace d’abord que l’on pense infranchissable, mais si on creusait un peu, c’était faible. Le regard dans le vide, elle évoluait sur la banquise, sans voir ses trois « futurs » amis qui, eux, l’observaient…

*

Mais que faisait-elle ? Elle continuait d’avancer sur la glace, et puis d’un coup, elle se mit à danser dessus : comme si ses chaussures étaient des claquettes, puis elle dansait n’importe comment, même du classique. Apparemment ça la calmait. Et d’un coup elle s’arrêta et souffla : « tu es aussi coupable que lui… Je ne ferai pas la même erreur, moi… » et puis il y eut un craquement. Joy sembla s’en rendre compte, mais elle resta sur le verglas. Elle souriait. Et puis d’un coup, la glace se brisa, et un de ses pieds glissa dans l’eau glacée. Elle poussa un cri et jura. Mais elle se releva en tremblant. Dieu qu’elle avait froid ! Les trois autres étaient nerveux, et tiraillés entre l’envie d’aller l’aider, et l’obligation d’éviter Joy. Elle commença à faire le chemin inverse, mais il y eut une nouvelle craquelure. Et une partie de la glace se coupa de la partie principale. Le seul moyen de retourner sur la terre ferme, c’était de sauter de l’autre côté. Mais le froid allait l’en empêcher. Et Matthew arriva.

- JOY !
- Ah ! Matt ! Ça va bien ?
- Mais qu’est-ce que tu fais ?
- Je me les gèle, et je m’engueule avec ma mère !
- C’est dangereux ! Arrête, et reviens !
- Pourquoi faire ? Vivre la même chose que tous les autres jours ? Je voudrais être normale, Matt ! NORMALE ! C’est trop demandé de ne pas avoir une vie de dingue avec un père qui ne fait jamais attention à vous, et une mère assassinée par ta faute ?
- Ce n’est pas ta faute ! Je sais ce que tu ressens, je suis passé par là en même temps que toi, Joy. Et on s’était promis de ne pas craquer. Reviens s’il te plaît !

Elle scruta le regard de son ami, comme si elle voulait voir s’il était vraiment sincère, et finalement sauta sur l’autre partie. Puis elle retourna sur la rive, et continua tout droit, laissant son ami sur la paille. Il la suivit, et elle lui dit :

- Ce soir, changement de programme. On va faire un truc que j’ai envie de faire depuis un bon moment…
- C’est quoi ?
- Tu verras ce soir…

Kerensky, Largo et Simon n’en revenaient pas. Qu’avait-elle voulu dire par « et une mère assassinée par ta faute » ? Et qu’est-ce que c’était que cette histoire avec Nério qui lui aurait sauvé la vie ? Car Nério, c’est pas un nom très répandu, il y avait donc toutes les chances que ce soit lui. Et Joy avait dit que sa mère et lui avaient couché ensemble. Se pourrait-il que Mme Arden soit… sa mère ? Les autres avaient dû suivre le même cheminement que lui à voir leur regard. Kerensky n’en revenait pas. Ça ne pouvait pas être de sa faute ! C’était un accident ! Personne n’aurait pu l’aider ! Même Superman ! Et puis Nério ! Simon et Largo semblaient penser comme lui : si Mme Arden et Nério Winch –pour peu que ce soit Nério Winch– avaient eut une liaison… elle pouvait être la mère de Largo ? Euh… ça faisait un peu gros, mais pourquoi pas ? Et Joy l’aurait su ? Depuis le début, elle saurait qui est la mère de Largo et elle n’aurait rien dit ? Et elle serait la demi-sœur du mec dont elle est amoureuse ? Mais si elle connaissait Nério, elle devait aussi connaître Alan Smythe ! Alors elle jouait drôlement bien la comédie… Toutes ces questions ! Finalement, ils ne savaient même pas la moitié du tiers du quart de la moitié de la vie de Joy. Lui même n’avait pas bien compris quelle part cela faisait, mais à dire vrai, il n’avait pas non plus le temps d’y réfléchir…

- Elle connaissait Nério, énuméra Georgi. Sa mère est morte, soit-disant par sa faute, et son copain est passé par là lui aussi.
- Mais… pourquoi n’aurait-elle rien dit ? demanda Simon. Non. Ça ne colle pas. Je ne pense pas que Largo soit le frère de Joy. Physiquement, ils ne se ressemblent pas du tout ! Même pas UN truc en commun ! Et je ne vois pas ce que Joy avait à gagner à ne pas dire qui elle était, et…
- Elle ne peut pas être ma sœur ! Mon âme-sœur, ok ! Mais ma sœur ! Ah non, pas question ! P****n de m***e de Nério !
- Euh… Attendez les gars… reprit Kerensky. Peut-être qu’on se trompe sur un point : Joy est la plus jeune de nous quatre, alors c’est possible, qu’ELLE, soit la fille de Nério aussi. Mais la fille illégitime ou un truc comme ça !
- Ou alors on se trompe complet, continua Simon. On arrête de se torturer l’esprit et on attend de rencontrer Joy –dans le passé ou dans le futur, ça on s’en fout– pour lui poser toutes nos questions.
- Simon a raison Georgi. On verra tout cela plus tard. Pour le moment, on va attendre la nuit pour voir ce qu’ils vont faire…

Son père était encore là quand elle rentrait. Bon sang mais elle n’avait pas demander à naître, elle ! Pourquoi est-ce qu’on la jugeait à chaque fois comme ça ! Joy monta dans sa chambre, frigorifiée, et se changea. Puis elle mit de la musique Hard Rock à fond et lut.

Il était déjà 20 heures, et Joy n’était pas descendue dîner, tandis que le trio infernal « crevait la dalle ! » comme disait Simon devant leur amie qui s’énervait à mettre de la musique à fond juste pour le plaisir d’entendre son père lui faire des reproches. Elle agissait comme une vraie garce et le revendiquait à son père « adoré ». Il fallait qu’elle sorte, elle en avait assez, assez de cette vie de fou ! Marre qu’on la traite comme une gamine ou comme une adulte quand ça arrangeait, sans jamais savoir, sans jamais être sûre… Seul Matt arrivait à l’aider, à survivre dans son malheur. Ils se l’étaient promis.

Ce bar était le plus minable qu’il avait jamais côtoyé ! Non seulement les hommes –et les femmes– étaient ivres morts, mais en plus ils ne savaient rien d’une gamine brune d’environ 15-16 ans. Seul un homme de 50 ans à moitié conscient lui avait répondu. Enfin répondu… c’était un bien grand mot. Il lui avait plutôt balbutié un truc incompréhensible que Cherry avait mis trois verres de rhum à assimiler : « C’est p’têt’ la gamine vachement bien foutue qui chante le vendredi soir avec son copain ! ». Rien de concluant quoi ! Mais bon, ce trou était tellement ennuyeux qu’il pourrait quand même aller faire un tour, histoire de voir comment ça se passe… Et puis apparemment, d’après ce qu’il avait difficilement saisi des explications fort peu claires, elle était vraiment jolie, et avait une voix ! Il était 20 heures, et il n’avait rien pour régler… Bof, pas grave ! Il partit sans payer et rentra dans l’immeuble abandonné.

- Mais où étais-tu ? l’assaillit Bouter
- Je récoltais des infos. Et toi ?
- Je me suis baladé pour voir un peu comment c’était ici… Je peux te dire que les écolières… Eh ben elles sont bonnes ! Bon, ok, c’est pas des Jennifer Lopez, mais bon, le silicone, c’est pas encore très répandu à cette époque… Et toi, où t’es allé pour récolter des infos ?
- Dans un bar. C’est pire que dans le futur ! Enfin… je crois ! J’en sais rien, et je m’en fous. Y a une télé ici ?
- Ça marche pas bien, mais c’est déjà ça !
- Y a quoi ce soir ?
- Que du déjà vu…

*

22 heures. Enfin ! Elle allait pouvoir sortir ! Elle se leva de son lit, balança son bouquin à l’autre bout de la chambre. Les trois autres ayant compris qu’elle allait sortir, coururent jusqu’à l’orée du bois. Elle cherchait des fringues qui la grandiraient. Les talons, le haut assez décolleté, la jupe longue, un peu de maquillage, et n&
  Sujet: Seuls au monde
Kazy

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MessageForum: Fan- Fictions (Francais)   Posté le: 07 Juil 2003 06:19 pm   Sujet: Seuls au monde
Seuls au monde


On a appelé à la maison il y a une demi-heure. L'hôpital. Ça ne pouvait être que ce que je redoutais. Le temps de récupérer ma sœur à l'école, et j'ai filé en bus jusqu'à la clinique, avec elle. Elle m'a demandé pourquoi maman n'était pas venue, et elle a remarqué qu'on arrivait à l'hôpital. Elle m'a regardé ,mais je ne savais pas si elle avait compris.

Et depuis cinq minutes, j'attends. Que le temps passe. Que je sois prêt. Ou d'être convaincu que ce n'est pas pour ce que je redoute que je suis là. Elle, elle n'aime pas les hôpitaux. Surtout depuis que papa… Depuis, je suis l'homme de la famille. Et je veille sur ma sœur parce qu'elle a besoin de moi. Entrer. Il faut que j'entre pour avoir les réponses à mes questions. Je prends la main de ma sœur, et je pousse la porte. Mon dernier souvenir de l'hôpital, c'était le calme. Le trop-plein de calme, d'ailleurs. Mais là, plusieurs infirmiers nous ont poussés, un brancard derrière eux. Dessus, un homme, la trentaine, allongé, pâle comme un linge. La main de ma sœur broie la mienne de peur et de désespoir. De toute façon, je ne le sens pas, je me sens comme anesthésié. Je m'en veux de lui infliger ça, mais je n'ai pas le choix.

Tout se passe au ralenti. Je n'entends pas les cris des ambulanciers, qui tentent de ranimer l'homme allongé sur la civière. Tout ce que je vois, c'est cet horrible souvenir qui me hante. Celui de la mort de papa.

- Hé ho ? Qu'est-ce que tu fais là ? Tu es malade ? C'est ta sœur ?

Je sursaute, et ma sœur se cache un peu derrière moi. Le temps de me reconnecter à la réalité, d'assimiler ce que vient de me dire la dame d'accueil, et je lui réponds le plus sereinement possible, après avoir ordonné à ma sœur d'aller patienter quelques minutes dans la salle d'attente, de peur qu'elle n'entende ce que nous ne voulions pas savoir.

- Non, ma sœur va bien. En fait, c'est ma mère. On m'a appelé il y a une demi-heure pour me demander de venir. Et comme je ne pouvais pas laisser ma sœur toute seule à la sortie des cours, j'ai dû l'emmener avec moi.
- Et comment s'appelle ta mère ?

Je lui donne son nom, et la dame appelle le médecin, qui arrive quelques minutes après, pas très fier. Il dévie le regard à chaque fois qu'il croise le mien. Et je comprends. Je comprends que notre vie va radicalement changer, que je vais devoir survivre au lieu de vivre ma vie de jeune. Je comprends que ma sœur aurait encore plus besoin de moi, je comprends ce que ma mère a fait, je comprends pourquoi elle l'a fait, je comprends qu'elle a fait la plus grosse bêtise de sa vie, je comprends qu'elle nous a abandonnés. Alors pour simplifier la tâche à ce pauvre médecin de pacotille, qui continue de chercher ses mots, je le devance :

- Comment ?

Il semble perturbé par ma question. On dirait qu'il me prend pour un imbécile… Je déteste ça et je ne suis vraiment pas d'humeur à supporter ça…

- Suicide, me répond-il finalement.
- Qu… Quoi ?
- Des somnifères.

Il me laisse assimiler l'information, et finalement me demande qui est l'adolescente avec moi.

- C'est ma sœur.
- Vous voulez que… je m'en occupe ?
- Non. Je… Notre père est mort il y a quelques mois. Alors j'ai peur qu'elle ne réagisse mal. C'est à moi de m'en " occuper ". Laissez-moi faire, je lui dois au moins ça…

Je m'approche de la salle d'attente où elle reste assise, tremblante, se demandant sûrement pourquoi nous sommes là, ou plutôt si la raison qu'elle soupçonne est juste. Elle tourne les yeux vers moi, alors que je m'assois à côté d'elle. Mais j'entends ce que dit le médecin :

- Les pauvres. Il y a quelqu'un à appeler au cas où ?
- Je ne sais pas. Il faudra leur demander… Le garçon a l'air sérieux…

Et puis je n'entends plus rien. Je fais le vide dans ma tête. Comment lui dire ? Comment lui faire comprendre que nous ne sommes plus que tous les deux dans cette vie ?

Une petite voix me tire de mes pensées :

- Simon… Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu pleures ?

Je pleure ? Je ne m'en étais même pas rendu compte ! Je lui souris faiblement.

- Simon, pourquoi on est ici ?
- Vanessa…

Comment lui dire sans lui faire de peine ? Il n'y a aucun moyen. Qu'est-ce que je lui en veux d'un coup, à Rachel ! Mais qu'est-ce qui lui a pris de nous abandonner comme ça, hein ?! N'étions-nous pas gentils et attentionnés ? Je sèche mes larmes d'un geste rageur de la main, et j'explique tout à Vi. Enfin… Tout ce qu'une fille de son âge peut entendre, et peut comprendre. Elle aussi se met à pleurer, et elle me dit, en se levant, et toujours avec sa petite voix :

- Tu mens. C'est pas vrai ! Tu mens !
- Vi…
- NON ! Elle ne nous aurait pas abandonnés, tu entends ? Elle nous aimait !!
- Vi…
- Elle ne peut pas être morte ! Tu mens ! Tu mens ! Tu mens !

Elle se met à courir dans les couloirs, tandis que je l'appelle :

- VANESSA !!!!

Un médecin la rattrape, et la prend dans ses bras. Elle se débat, mais finalement se calme, le docteur la tenant trop fermement dans ses bras. Et elle pleure, contre le médecin. Elle laisse sa tristesse prendre le dessus.

Je la protègerai. J'en fais le serment. Moi, Simon Ovronnaz je jure solennellement de protéger et de prendre soin de ma sœur, quoi qu'il arrive, qui qu'elle devienne, quoi qu'elle fasse.

Je m'approche d'elle. Du haut de mes dix-huit ans, je me sens minuscule en face de sa douleur et de sa souffrance. Elle me repousse, alors que je tente de la prendre dans mes bras, le médecin l'ayant lâchée petit à petit. Elle dit qu'elle me déteste, qu'elle me hait, et que je ne suis qu'un menteur. Tout le personnel de l'hôpital nous regarde.

J'ai beau souffler des mots doux à Vanessa, elle continue à dire que je mens et qu'elle me hait. Moi, la personne que je hais, c'est ma mère. Et rien ne changera ça. Si c'est une mise à l'épreuve, nous gagnerons la médaille d'or. On lui prouvera qu'on n'a pas besoin d'elle pour vivre, et pour être heureux.

Je ne sais pas ce qu'on deviendra, mais ce qui est sûr, c'est qu'on vaudra mieux qu'elle. Vi se calme dans mes bras. Nous sommes en plein milieu du couloir, et ses pleurs se répercutent dans le silence inhabituel de ce bâtiment maudit. Mais un groupe d'ambulanciers arrive, et vient briser cette quiétude. Plus personne ne prête attention à nous pour le moment.

Je resserre mes bras contre Vanessa, et je lui souffle :

- Je t'aime…



FIN
  Sujet: Récit d'une soirée chez un ado chanceux
Kazy

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MessageForum: Fan- Fictions (Francais)   Posté le: 07 Juil 2003 06:16 pm   Sujet: Récit d'une soirée chez un ado chanceux
Récit d'une soirée chez un ado chanceux…



Argf ! J'en ai marre ! Je me suis encore tapé une sale note à mon contrôle de maths. Ouais, vous allez dire : si j'avais révisé un minimum mon cours, j'aurais pu avoir au moins la moyenne. Oui, mais je me suis engueulé avec Mary, ma petite amie, et j'ai passé tout mon week-end à tenter de recoller les morceaux. Et en plus, ça n'a même pas marché… Les filles… J'vous jure… Alors non seulement, tout mon week-end n'a servi à rien, mais en plus je vais me faire tuer par mon père… Surtout depuis que Vi, ma sœur a de bonnes notes. C'est toujours : " Ta sœur, elle, a au moins la moyenne ! ". Ce qu'ils ne savent pas, par contre, c'est que si elle l'a, c'est parce que son voisin est le premier de la classe, et qu'une antisèche savamment dissimulée dans une manche longue ne se voit pas quand on est au dernier rang… Enfin je ne vais pas vous raconter ma vie. De toute façon elle est aussi ennuyeuse que doit l'être celle d'un adolescent normal. Il est tard, en plus.

Papa vient de rentrer. Il pue l'alcool, alors maman l'engueule. Ça va dégénérer, comme d'habitude. Je ne pense pas que ce soit le bon soir pour leur annoncer mon 4,5/20 à mon contrôle de maths. Mais comment veulent-ils que je révise avec tout ce bordel, aussi ?!

Je file dans ma chambre, mais à peine deux minutes après, quelqu'un frappe deux petits coups secs. C'est Vi. Elle passe la tête par l'entrebâillement de la porte, et entre finalement, en larmes. C'est parce qu'elle a peur quand papa crie trop fort sur maman. Depuis qu'elle a vu ce reportage à la télé sur les problèmes conjugaux qui dérapent et dégénèrent, et sur les maris violents envers leur femme, elle s'est mis dans la tête que ça pourrait arriver à maman…

Elle me demande si le couple est là. Tiens ! C'est vrai ça ! Le couple ! J'avais totalement zappé ! Elle file chercher ses jumelles dans sa chambre, et revient immédiatement. Moi j'attrape les miennes, posées sur mon bureau, et tous les deux nous postons à la fenêtre de ma chambre. Oh zut ! Il n'y a que la fille qui est présente ! Elle a l'air songeuse… C'est bizarre… D'habitude, elle est énervée, triste ou tout simplement rêveuse. Nous l'avons même vue heureuse ! Très heureuse, même… Parce qu'elle est sortie avec le garçon. Et puis du jour au lendemain : PAF !! Plus rien ! Le néant. Le garçon a ramené d'autres filles, mais jamais sur la terrasse. Il s'arrangeait toujours pour rentrer avec sa nouvelle copine à l'appartement. Comme si la terrasse était exclusivement réservée à l'Autre. Ouais, je sais, c'est une explication à deux balles, mais c'est Vi qui m'a sorti ça, une fois. Moi, je pensais que c'était parce qu'il pensait faire d'autres choses moins élégantes avec ces filles. Quand je le lui ai dit, elle m'a lancé un regard noir, m'a demandé où était mon romantisme et a lancé un " les mecs sont tous les mêmes " pathétique avant de retourner à sa contemplation.

En fait, notre vue donne sur la terrasse de Largo Winch. Je le sais, parce que lorsqu'on a emménagé ici il y a six mois, pour le travail de veilleur de papa – ouais, là où on vit, c'est un appartement de fonction, il faut les pass, papa est veilleur dans le building en face de celui du groupe W – , Vi l'a hurlé dans toute la maison, et m'a fait la tronche pendant une semaine parce que j'avais hérité de la chambre avec la vue sur ladite terrasse. Puéril, n'est-ce pas ? Tout à fait ma sœur. Enfin bon, ensuite, elle m'a fait son regard de biche auquel je résiste rarement, et je lui ai finalement accordé le droit d'aller faire du voyeurisme de temps en temps. Et je me suis pris au jeu. On peut même voir une partie du bureau si on regarde bien. Enfin euh… Si on zoome bien.

Toujours d'après Vi, la fille – super canon d'ailleurs – s'appelle Joy Arden. Je lui fais confiance, ma sœur connaît par cœur le curriculum vitae du milliardaire d'en face. Et même le nom de ses plus proches collaborateurs. Malade, je vous dis…

Un matin – où ma sadique de prof de Latin était miraculeusement malade – j'ai observé à tout hasard le bureau de Winch. J'ai bien fait ! Il devait pas être fier, à en voir la manière dont semblait crier la garde du corps. Mais elle parlait trop vite, j'ai pas pu lire sur ses lèvres…

Tiens, voilà Winch qui rejoint sa garde du corps. Il en est raide dingue. D'un côté, quand on voit le physique qu'elle se tape, cette nana là, n'importe quel mec normalement constitué le comprendrait… Il s'accoude à la rambarde. D'un coup Arden sursaute, et tente de lui mettre un coup de poing dans la figure. Mais après un sourire charmeur – faudra qu'il m'apprenne d'ailleurs – elle se détend et revient à sa position initiale. Mais elle a l'air un peu tendue quand même.

Un soir, – j'avoue, j'avais bu trop de coca, j'arrivais pas à m'endormir – trois types ont tiré sur la vitre de la terrasse, et sont rentrés dans l'appartement. Sincèrement, c'était fort peu discret, et ça aurait pu réveiller un sourd, puisque même le bruit des voitures n'a pas couvert le boucan des balles. Ben je sais pas ce qu'il avait fait le Winch, mais il est pas sorti de sa chambre… Enfin, s'il avait quitté sa chambre, il serait sûrement mort… A peine une minute après, la sécurité est entrée dans la chambre. Et il s'en est sorti, évidemment… D'après ce qu'on dit, ce type a une chance insolente. Il se fourre dans des merdes monstres au moins une fois par mois, d'après ma sœur… On devrait en faire une série. Je sais pas si les gens la regarderaient, mais moi, je serais super fan !!!

Hé hé hé !!! Il retente son coup, le bougre ! J'espère que ça se passera mieux que la dernière fois… D'après Vi, c'est mal barré pour lui. On parie 20 $ qu'il l'a fait céder. Ouais, parce que la semaine dernière, il a discuté avec elle. La conversation a eu l'air de mal tourner et elle a commencé à tourner les talons. Mais le " beau " milliardaire – de l'avis de ma sœur – l'a retenue par le bras et l'a embrassée. Vi a dit que son fantasme, c'était que l'homme de ses rêves le lui fasse – comme il y a au moins cinq mecs par rêve, elle était mal barrée, mais bon – j'ai pensé à faire ça à Mary pour qu'on se réconcilie, puisque Joy Arden n'avait pas l'air de détester non plus. Enfin… je l'ai pensé jusqu'à ce que Winch décolle ses lèvres des siennes, et qu'elle en profite pour lui coller une baffe. Là, j'ai décidé de ne rien faire d'autre que de présenter des excuses à Mary, même si je n'ai rien fait… Vi a fait une grimace et la garde du corps est partie, tandis que Winch s'est accoudé à la rambarde – Arden ayant filé trop vite – et semblait prêt à pleurer. Mon imbécile de frangine s'est gentiment proposée pour aller lui donner du réconfort… Je l'ai toisée, et j'ai fortement pensé qu'il fallait qu'elle arrête de fréquenter mes copains. Et puis de toute façon, je doute que Winch soit désespéré au point de faire du détournement de mineure de moins de quinze ans. Quoique vu la tête qu'avait sa dernière copine…

Il lui parle. C'est dommage qu'on n'ait pas le son. Avec Vi, on s'amuse à inventer leurs dialogues à la " Feux de l'Amour " quand on déprime. Je sais, c'est débile, mais bon… Quand on n'a que ça à faire pour éviter d'entendre des bruits de portes qui claquent ou de vaisselle cassée, ça paraît déjà plus amusant. Et puis ça redonne le sourire à Victoria. Alors je veux bien passer pour un gamin si ça peut lui rendre le sourire.

Elle dit qu'elle aimerait perdre son pari. 20 $ quand même, faut les lâcher. Elle ajoute que leur amour vaut bien plus que 20 $. La garde du corps et son milliardaire… L'amour impossible. Elle dit que ça la fait rêver… Complètement allumée, je vous dis ! Ma sœur est totalement givrée ! Moi, à sa place, je prierais pour que ça se fasse un autre jour. Elle rit en disant que je devrais prendre des cours de rattrapage en romantisme. Le problème, c'est que le seul prof de romantisme que je connaisse, à part ma tarée de sœur, c'est Shakespeare. Et les cours de romantisme via le spiritisme, ça doit coûter la peau des fesses… Surtout quand on ne sait pas en faire…

Winch discute toujours avec sa garde du corps. Elle recule à chaque pas qu'il fait vers elle. Ouais, ben à ce train là, ils sont pas arrivés… Il la prend dans ses bras, mais elle tente de le repousser. Elle a vachement moins de force tout d'un coup… Il se penche vers elle, mais au lieu de l'embrasser, il lui glisse quelques mots à l'oreille. Elle sourit, il la lâche, se dirige vers son appartement, mais rebrousse chemin soudainement, l'embrasse, et repart aussi vite qu'il est venu, empêchant Arden de faire le même geste que la fois d'avant.

Vi sourit, et renifle. Oh nan… Elle pleure ? Mais qui m'a collé une frangine pareille ? Elle me bafouille un " comme c'est émouvant… " qui me fait hurler de rire. La garde du corps sourit toujours. Winch revient finalement sur la terrasse, l'appelle, et au bout de quelques phrases réussi à attraper la main de Arden pour la tirer tendrement à l'intérieur. Finalement, je crois que je vais essayer avec Mary. Je suis content pour le couple, et aussi pour moi : j'ai gagné 20 $. Et puis, franchement, même si j'ai eu une mauvaise note – ouais, c'est le moins qu'on puisse dire – et que je le dis à papa : au pire, je serais tué sur le champ, au mieux, je serais privé de sortie pendant deux mois. Mais au moins, je pourrais les observer… Vi me dit que c'est parti pour durer. Je la regarde, mon sourire espiègle qui l'agace comme c'est pas permis, aux lèvres :

- 20 $ que dans moins d'un an ils sont mariés.
- J'tiens l'pari tête de…



FIN
  Sujet: La vie sans lui... et après
Kazy

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MessageForum: Fan- Fictions (Francais)   Posté le: 07 Juil 2003 06:13 pm   Sujet: Suite
- Waldo, que se passe-t-il ?
- Il semblerait que l’ascenseur subisse des dysfonctionnements.
- Encore ? Mais je croyais que les réparateurs avaient tout arrangé cette nuit ! Il va donc falloir se résoudre à utiliser les escaliers.

Alors que l’homme d’affaires allait tourner les talons, il s’aperçut qu’Alicia, contrairement à son habitude, n’avait pas soufflé un seul mot. Il la regarda et vit qu’elle se mordillait nerveusement la lèvre inférieure. Mais devant s'occuper de Caroline, Sullivan retourna dans son bureau, où la police l'attendait ; après avoir donné l'ordre qu'on appelle une équipe de maintenance, bien qu'on soit un dimanche, et que le problème n'était pas de si grande taille…


- Respire lentement, reste calme, oublie la douleur…
- J’aimerais bien t’y voir ! répliqua Joy, le visage déformé par la souffrance. Mais qu’est-ce qu’ils foutent !?
- Tout se passera bien, continua le Suisse d’une voix qui se voulait apaisante. Les secours vont arriver et on va te conduire à l’hôpital pour que tu puisses accoucher. Tout se passera bien…
- Mon œil… marmonna-t-elle avant de se cambrer et d’étouffer héroïquement un autre cri.
- Joy, Joy, regarde-moi, dit Kerensky.

Elle obéit.

- Tu es aussi, sinon plus, consciente que moi que nous ne pouvons pas attendre.
- Je suis très patiente ! démentit-elle. C’est lui (elle pointa son ventre) qui est pressé. Je ne vois pas pourquoi d’ailleurs. Vu le monde dans lequel nous vivons…
- Écoute, reprit-il, nous ne pouvons pas attendre les médecins… Il va falloir que…
- Non ! le coupa-t-elle. Il est hors de question que tu me fasses accoucher ! Je refuse catégoriquement, d'accord !?
- Nous n’avons pas le choix, tenta-t-il, pourtant aussi peu enthousiaste qu’elle.
- Georgi, souffla-t-elle d’une voix plaintive, je t’en supplie…
- Tu as de l’expérience, au moins ? demanda Simon au Russe.
- J’ai déjà aidé une chèvre à mettre bas, lorsque j’étais adolescent. C’est comme le vélo, ça s’oublie pas… enfin, je crois…
- C’est censé me rassurer, ça ?! lança la future mère, déjà en nage.
- Tu le prends comme tu veux, répondit-il. Bon, écoute, tu vas écarter les jambes et je vais…
- Ne dis rien, agis !
- Attendez ! dit le Suisse.

Auparavant agenouillé comme son collègue, il se leva et, plongeant sa main dans sa poche, fit apparaître sa petite caméra numérique.

- Qu’est-ce que…
- Souvenirs, fit-il simplement en la mettant en marche. Allez-y, ça tourne.
- Éteins ce truc ! hurla-t-elle de plus belle en tentant vainement de le frapper.

Mais une autre contraction se fit sentir et elle se crispa. Heureusement, elle portait ce jour-là une jupe assez ample, ce qui facilita le travail de Kerensky. Celui-ci inspira profondément puis plongea la tête sous le vêtement. Il l’en sortit assez rapidement, légèrement pâle.

- Oh oh, ne put retenir Kerensky .
- Quoi ? questionna Simon.
- Elle est assez dilatée.
- Donc ? poursuivit-t-il. Combien de temps ?
- Une heure minimum.
- Pardon !? cria la jeune femme. Non non non, retourne là dessous, je ne veux pas te revoir avant que tu ne me donnes un nombre en secondes.
- Joy, sois raisonnable…

Mais plus les minutes passaient et plus les deux amis sentaient surgir la plus grosse migraine du siècle. Kerensky jetait fréquemment des regards sous la jupe de Joy et le Suisse, malgré la gravité du moment, éclata de rire mentalement en s'apercevant la loufoquerie de la chose : un ex-agent du KGB accouchant une ex-agent de la CIA…

- Respire par la bouche… lança-t-il finalement en voyant celle-ci devenir aussi rouge qu'une tomate.
- Qu’est-ce que tu penses que je fais !? Du tricot ? D'la planche à voile ?
- Tu sais, on voit souvent ça à la télé… Ah oui, fais le p’ tit chien. C’est très facile, regarde.

Et il fit une imitation assez saugrenue de ce pauvre animal, ce qui aurait pu les faire sourire si le moment n’avait pas été si critique. Néanmoins, cette blague improvisée détendit quelque peu l’atmosphère.

- Tu veux peut-être prendre ma place !?

Elle grimaça, Simon aussi, mais pas pour la même raison. Ce dernier bénit le ciel d’être un garçon.

- Joy, lorsque je te le dirai, tu pousseras, d’accord ? dit Kerensky.

Le visage encore plus rouge, celle-ci acquiesça.

- Go ! Pousse !

Elle s’exécuta, retenant par la même occasion un hurlement déchirant. Le chef de la sécurité s’agenouilla à ses côtés et lui prit la main, s’adressant doucement à elle.


Ouf… La jeune fille était rentrée chez elle, il avait tout arrangé avec la police. Ça avait duré une bonne heure, mais tout semblait rentrer dans l'ordre. Il se dirigea vers son bureau, pour terminer un dossier, en contresigner un autre, et préparer un discours. Mais il s'arrêta en plein milieu du couloir, se demandant si Joy n'avait besoin de rien, et si elle allait bien. Il voulu descendre la voir, juste pour s'en assurer. Même si Kerensky et Simon devaient avoir fait très attention à ce qu'elle aille bien se coucher. Il décida d'aller au Bunker, afin de ne pas réveiller Joy, si jamais elle dormait dans son appartement, mais l'ascenseur était toujours en panne, et c'est en pestant qu'il en prit un autre. Il fut encore plus énervé lorsqu'il remarqua que le Bunker était vide. Chose très inhabituelle. Il remonta dans l'ascenseur, et alors qu'il allait demander à Gabriella s'il savait où étaient Simon et Kerensky, il croisa Alicia Del Ferril, se dirigeant vers son bureau.

- Ah, Alicia ! Auriez-vous vu Mr. Kerensky par hasard?

Comme tout à l'heure, elle se mordilla la lèvre.

- Non, pas depuis tout à l'heure...

Sullivan haussa un sourcil.

- Où l'avez-vous rencontré ?
- Il montait dans l'ascenseur avec M. Ovronnaz et Mlle Arden.

John perdit ses couleurs, comprenant soudainement ce qui pouvait se passer…

- Quand ? demanda-t-il.
- Juste avant la panne.

La laissant en plan, il courut jusqu'à l'appareil endommagé. Se pouvait-il que… Non, il se faisait des idées. Ils avaient sans doute eu le temps de sortir avant que… Il sourit, comme pour se moquer de lui-même, et tourna les talons. Et soudain, un cri sourd lui monta aux oreilles…

- Oh mon Dieu, cria-t-il. Appelez la maintenance d'urgence, et une ambulance !


- Tout se passera bien, t’as pas à t’en faire.
- T’es sûr ?
- …Mais oui, Kerensky a la situation bien en mains. C'est le moins qu'on puisse dire, murmura-t-il pour lui-même.

L'intéressé se tourna vers eux, lui lança un regard terrifiant et dit :

- Donne-moi ta chemise.
- Hein ?
- J’ai besoin de linges, maintenant. Le bébé va bientôt arriver.
- Déjà ?! s’étonna-t-il en s’exécutant.
- Ça se voit que ce n'est pas toi qui le met au monde, grinça Joy.

La tête du Russe disparut à nouveau. L’ancien voleur se tourna vers la jeune femme.

- Ça va ?
- J’ai l’air d'aller bien ?

Il tenta de sourire, mais n’arriva qu’à afficher un léger rictus.

- C’est bientôt terminé, promit-il en lui caressant le front.

Les larmes brillaient dans les yeux de Joy mais elle les retenait courageusement. Il sut qu’elle avait besoin de l’entendre.

- Largo serait fier de toi, Joy.

Elle frémit et lui prit la main.

- Tu filmes toujours ? demanda-t-elle après une autre contraction.

Il hocha la tête. Georgi abandonna un instant sa tâche ardue pour les regarder.

- Bien, chuchota-t-elle. Alors comme ça, s’il revient…

Elle ne finit pas sa phrase, fermant les yeux pour contrer la douleur. Les deux hommes échangèrent un regard puis retournèrent chacun à leurs occupations respectives.

- J'ai besoin d'eau, avisa alors Kerensky.
- Pourquoi ? s'étonna Simon.
- Tu crois qu'on a le temps de te donner un cours !? Donne-moi de l'eau et ferme-la !
- Mais où tu veux que je prenne de l'eau !? J'ai l'air d'un distributeur ?!
- Dans mon sac, articula Joy.
- Hein ?
- Dans mon sac...

Le Suisse le prit donc et plongea la main dedans. L'instant d'après, il l'en ressortait, brandissant un bouteille d'eau minérale.

- Je peux savoir pourquoi tu te trimballes ce truc ?
- Pour pouvoir t'assommer avec…

Kerensky, à bout de nerfs, arracha à Simon l'eau tant convoitée et se remit à la tâche.

- Je vois la tête, annonça-t-il.

Puis, quelques minutes plus tard…

- Les épaules maintenant. Le plus dur est passé, pousse une dernière fois Petrouchka.

Elle retint un dernier cri, broyant au passage la main droite de Simon, tandis que Kerensky prenait précipitamment la chemise du suisse, posée à ses côtés. Quelques minutes plus tard, il tendit la chemise – qui était à l'origine vert fluo – devenue rouge sang dans leur direction. Les larmes glissaient maintenant librement sur les joues de la nouvelle maman. Tremblante, elle prit son fils dans ses bras et le serra contre elle.

- Bonjour, Matthew, chuchota-t-elle finalement.
- Matthew Arden, Matthew Winch… Parfait !
- Il va faire des ravages parmi la gente féminine, y’a pas à dire ! Regardez ses jolies petites mains… renchérit Simon, devenu gaga.
- C’est pas tout ça, fit le Russe, attendri lui aussi devant le portrait qu’offraient la mère et son enfant réunis, mais il faudrait penser à sortir d’ici.
- C’est sûr, et pour ça, il suffit de dire : " Sésame, ouvre-toi ! " ironisa le Suisse.

Comme par magie, la cabine subit une secousse et se mit à descendre. Tous regardèrent Simon, tout aussi ébahi qu’eux. Les portes s’ouvrirent sur les visages soulagés de dizaines de personnes, et celui, en particulier, de John. Une myriade d’expressions déferlèrent chez lui, de la surprise au ravissement total.

- Mon Dieu Joy… Comment allez-vous… C'est… bafouilla-t-il. Oh Seigneur… Je… Félicitations… Enfin… Mon Dieu… répéta-t-il.
- John, coupa Kerensky, si vous pouviez avoir l'obligeance d'appeler une ambulance, s'il vous plaît…
- Elle… c'est déjà fait elle… elle arrivera dans quelques minutes…


A des milliers de kilomètres de là, Largo Winch était loin de se douter qu'il était devenu le papa d'un magnifique bébé. Mais il ne pouvait s'en soucier : en effet, Michel était en bien mauvaise posture. Il avait voulu se détendre un peu, et surtout passer le temps en allant nager. Mais il s'était éloigné de la plage. Un peu trop, d'ailleurs. Si bien qu'un requin vint à passer par là… Largo tentait de le prévenir, mais Cardignac lui répondait par de grands " coucou ", ne comprenant pas où Largo voulait en venir.

C'est lorsqu'il vit un aileron de requin à deux mètres de lui qu'il comprit la signification des gestes que son nouvel ami lui faisait. Il se mit à crier, et à nager plus vite qu'un champion olympique dopé… Largo se rua sur les harpons que Michel et lui avaient conçus, et commença à les lancer sur l'animal lorsqu'il put l'atteindre. Si bien que le requin lâcha prise, et partit dans l'autre sens, laissant Cardignac se calmer un peu, et remonter tranquillement sur le rivage. Il arriva hors d'haleine sur le sable blanc, et s'étala de tout son long sur la plage.

- Ça va ? lui demanda Largo.

Un grognement répondit à sa question.

- Oh la !! Tu redeviens le Michel que j'ai connu à mes débuts au Groupe !!
- Largo… Sauf ton respect : tais-toi. Au fait, fais-moi plaisir, la prochaine fois que je voudrais me détendre en allant me baigner, promets-moi de m'assommer et de m'empêcher de le faire…
- Arrête, je pourrais te prendre au mot…
- Dormir…
- Ton vœu le plus cher du moment, je me trompe ?
- Non.
- Et tu comptes dormir ici ?
- Oui.
- Et si un crabe arrive, tu fais quoi ?

L'ancien président de la Winch Air se releva d'un coup et regarda partout autour de lui, affolé, sous les rires de Largo.

- Ce n'est pas drôle, Largo.
- Moi je trouve que si !
- Ouais…

Et la vie sur l'île reprit son cours…

*

5 jours plus tard

Joy, son enfant dans les bras, pénétra dans son appartement au Groupe. Elle se dirigea directement vers la petite chambre préparée pour son fils et, délicatement, le déposa dans son berceau. Elle lui chanta une berceuse, puis, lorsqu'il ferma les yeux, lui déposa un tendre baiser sur le front. Elle le regarda dormir pendant un temps indéfini. Il était si beau. Les yeux bleus de son père. Bleus profond. Comme cela, elle pourrait se noyer dans les yeux de son fils, comme elle le faisait autrefois avec le père. Une larme solitaire roula sur sa joue.

Elle rejoignit ensuite le salon, et se laissa tomber sur un sofa, ressentant encore les effets de son accouchement. Après qu'elle et ses deux amis avaient été délivré de leur cage, elle avait été conduite à l'hôpital le plus proche où on lui avait passé plusieurs tests, tous inutiles car elle allait parfaitement bien, étant seulement épuisée. Le nouveau-né avait été placé dans une espèce d'incubateur, puisqu'il était prématuré, mais se portait à présent à merveille. Même si elle avait amplement eu l'occasion de se reposer ces derniers jours, elle sentait le sommeil engourdir son corps. Elle alla jeter un dernier coup d'œil au petit puis regagna sa chambre.

Dans le bunker

- Quand même, lui dire que t'avais déjà pratiqué un accouchement sur une chèvre, c'était risqué ! C'est vrai, cette histoire ?
- Oui, et je ne répèterai jamais l'expérience !
- Au moins, tu t'en es bien sorti.
- Je suis assez fier du résultat, avoua le Russe, une moue satisfaite sur le visage.
- D'après toi, qui sera le parrain ?
- J'sais pas.

Un silence pesa. Tous les deux, sans le savoir, pensaient à la même chose: la phrase prononcée par Joy lors de l'accouchement et concernant Largo. Simon pensa à voix haute :

- C'est fou qu'elle y croit encore après tout ce temps, hein ?

Et c'est sans le savoir aussi, presque inconsciemment, que son camarade répondit :

- On y croit tous encore, seulement, on n'ose pas le dire tout haut. Elle garde espoir...
- Ouais… tu sais, je… il m'arrive de penser qu'il est peut-être encore en vie, quelque part, et qu'il attend qu'on vienne le chercher… Et puis, je me dis que c'est bête, que je me fais des idées.
- Je comprends, ça m'arrive aussi, parfois.
- Il a fait tant pour nous, et nous…
- On a fait ce qu'on pouvait, dit Kerensky, sans y croire lui-même.
- On aurait pu faire plus.
- Peut-être. Peut-être pas.

Un ange passa.

- Est-ce que M. Blizz t'a rejoint pour te faire part des dernières modifications pour le voyage ? demanda Kerensky.
- Oui, finalement la réception aura lieu dans trois mois.
- Je vois. Sullivan a-t-il été informé ?
- Ouais, il s'y prépare déjà.
- Faut dire que c'est un gros contrat. Très important pour le Groupe. Il est normal qu'il soit enthousiaste.
- Paniqué serait le mot juste, rigola Simon. Je suis passé le voir, ce matin, et il révisait déjà son discours !

Ils rirent tous les deux.

- Et où aura lieu la soirée ? s'enquit encore Georgi.
- Dans sa propriété, quelque part dans le Pacifique. Nous aurons plus de renseignements bientôt.
- Bien, je m'occuperai des questions de sécurité. Nous y allons toujours avec John ?
- Oui.
- Bien, répéta le Russe.

***

Trois semaines après la naissance surprise de Matthew, nos trois protagonistes préférés étaient réunis dans l'appartement de Joy. Celle-ci les avait invités à déjeuner. Mais alors qu'ils allaient entamer le dessert, le bébé, qui était jusqu'alors en train de babiller à tout bout de champs dans son berceau, se mit à crier, et à hurler aussi fort que ses petits poumons le lui permettaient. Tous sursautèrent. La mère se précipita vers son enfant, le prit dans ses bras et, sous le regard attendri de ses amis, se mit à lui fredonner une douce ballade. Mais rien n'y fit. Le nouveau-né ne voulait rien entendre et continuait de brailler énergiquement.

Le Suisse, dont les tympans menaçaient d'exploser pour la deuxième fois en moins d'un mois, se boucha les oreilles et lança :

- Mais qu'est-ce qui lui prend ?
- Je ne sais pas… balbutia la maman en tentant toujours de le calmer.
- Sa couche ne serait pas sale ? proposa Kerensky.
- Pas d'après mon nez.
- Il a peut-être faim, tenta à son tour Simon.
- Il a mangé avant que vous n'arriviez…
- Il veut peut-être son…

Simon se tut. Il avait faillit prononcé de mot " papa ". Mais tous avaient deviné. Joy évita leur regard mais Kerensky, au contraire, envoya un regard effrayant au pauvre Suisse, qui se recroquevilla sur sa chaise.

- Il veut peut-être un jouet… ?
- Il est beaucoup trop jeune pour être à ce point matérialiste, voyons.

Mais les deux hommes ne tinrent pas compte de sa dernière remarque.

- Tu sais, Kerensky, je crois qu'est venu le temps de dévaliser les boutiques.
- Tout à fait d'accord.

Ils se tournèrent enfin vers leur hôte.

- On revient, dirent-ils en cœur avant de se diriger vers la porte.
- Mais… ! cria-t-elle pour se faire entendre par-dessus les cris de son fils.

La porte se referma. Elle soupira et regarda Matthew qui, en plus de hurler, commençait à baver généreusement.

- T'as de la chance d'être si mignon. Beurk…

Arrivés au Centre Commercial, les deux hommes se dirigèrent vers les jeux pour enfants : peluches, poupées, playmobiles, petites voitures… Tout pour faire le plaisir du pitchoune.

- Tiens, regarde Kerensky ! Un super Télétubbie !!
- Tu te fous de moi ?! C'est nul comme truc !!
- Un Furby ! Il est tout petit, tout bleu… C'est mignon…
- Tu veux vraiment le rendre plus débile que toi ? Je pensais que tu voudrais qu'il ait une meilleure vie que la tienne.
- Ben voyons monsieur " j'ai pas de vie sociale " !! Ça te va bien de critiquer !! Et puis t'as qu'à donner des idées au moins…
- Je persiste à dire qu'on pourrait lui acheter un super ordinateur portable…
- Kerensky… Matthew n'a que trois semaines… Tu vas quand même pas lui bousiller les yeux avec un écran… ?
- Cette peluche est moche. Pas un Furby. C'est écrit que ça apprend ce que les personnes lui disent. Or, à trois semaines, tout ce qu'on sait faire, c'est brailler… Il va pas avoir beaucoup de conversation…
- Propose…
- Ben… On n'a qu'à lui acheter… Un biper…
- Un biper ? Oui… Bien sûr… Et un téléphone portable… Même un fax, si on trouve ! se moqua le Suisse. Tu sais quoi ?
- Nan… Vas-y, explique-moi tout…
- On fait nos achats chacun de notre côté, et on s'attend à la sortie. On verra bien ce que Matt aura préféré… !
- Alors c'est la guerre !!!

Ils se dévisagèrent méchamment, et coururent chacun à l'opposé.

Kerensky était dans les peluches. Bon… Quel était son animal préféré au pitchoune, déjà ? Ah oui… C'est vrai qu'à trois semaines, on ne sait pas encore ce que c'est qu'un animal, et la seule chose qu'on préfère c'est le sein de sa maman ou alors son lit… Ben… Qu'est-ce qui avait une belle gueule comme animal… ? Quand même… Il préfèrerait lui acheter un petit gadget… Ben oui, mais quoi ? Un biper ? Non, il ne se souviendrait même pas du numéro… Alors… Une veilleuse ! Mais oui ! Joy lui avait dit que Matt n'avait pas l'air d'apprécier le noir… Ennuyeux s'il devenait comme son père, à s'attirer les emmerdes comme un aimant… M'enfin ils n'en étaient pas encore là… Le Russe se rendit au rayon veilleuses, et chercha la plus belle. Quand il la trouva, fier de lui, il se rendit vers la caisse la plus proche. Mais son regard tomba sur un parc. Un magnifique grand parc avec plein de gadgets parfait pour l'éveil d'un bébé. Craquant, le génie de l'informatique se dirigea vers le vendeur, et demanda à acheter l'objet.

Simon parcourait les rayons. Rien. Rien pour son petit neveu… D'accord, y'avait plein de peluches, mais bon… Il n'allait pas acheter toutes les peluches tout de même… Comment faire pour foutre la pâtée à son Russe préféré… Quelqu'un vint le déranger :

- Je peux vous aider, monsieur ?
- Non merci je…

Mais il s'arrêta net lorsqu'il vit le magnifique bout de femme qui ne voulait qu'une chose : l'aider. Hop là ! Tout de suite : position DRAGUE !!!

- En fait, si ! Je cherche un cadeau pour mon neveu, il n'arrête pas de pleurer… Alors je cherche un truc qui pourrait le calmer.
- Oh. Je vois… Vous êtes très attentionné…
- Vous trouvez aussi ? se vanta le Suisse.
- Vous avez des tétines ?
- On lui en a acheté 6.

La jeune femme le regarda, le prenant pour un illuminé. Qu'est-ce qu'un bébé allait faire de 6 tétines ?

- Son père est porté disparu… Alors on essaie de combler le vide… expliqua le chef de la sécurité
- Oh… Je suis désolée… s'excusa la jeune femme.
- Donc on le gâte un peu trop. Sa mère essaie de nous faire décrocher, mais on est complètement gâteux quand on le voit ! C'est plus fort que nous !
- Nous ?
- Avec un copain… D'ailleurs il a de l'avance, ce con… Donc, à votre avis, qu'est-ce qui lui ferait plaisir ?
- Quel âge a-t-il ?
- Trois semaines.
- Mais à cet âge, l'enfant y est indifférent monsieur !
- Ah bon ? Oui, mais pour nous c'est important ! Et Simon. Je m'appelle Simon.
- Un hochet… bien qu'il soit un peu jeune pour ce genre de jouets. Peut-être une veilleuse musicale. Ou bien un interphone…
- Un parc ? Un ordinateur éducatif ? Des marionnettes ? Des playmobiles ?
- Un ordinateur éducatif ? répéta la jeune femme, incrédule.
- Voui !!! J'ai trouvé !! Merci beaucoup… Sophie ! termina-t-il après avoir lu l'étiquette. Je peux vous inviter à dîner, au fait ?
- Euh… Ben… Oui…
- Tenez ! Vous n'aurez qu'à m'appeler !

Il sortit une de ses cartes de sa poche intérieure, et la donna à la vendeuse, qui ne comprenait pas qui était cet hurluberlu…

- D'accord…

Mais Simon était déjà loin : le rayon des ordinateurs éducatifs…

Néanmoins, si Simon avait acheté le net plus ultra des ordinateurs éducatifs pour bébés, il avait aussi pris une gameboy advance, et une play station 2.

Au bout d'une demi-heure, le Suisse retrouva le Russe au Parking. Il finissait de remplir le coffre. Normalement, tout devait rentrer : le parc n'était pas spécialement grand, et une veilleuse, c'est pas aussi grand qu'un frigo ! Sauf que Georgi avait aussi craqué pour un petit train électrique, et un trotteur, ainsi qu'un canard en plastique pour le bain. De toute évidence, le Russe avait beaucoup plus dépensé que Simon, qui eut une forte envie de retourner dans le magasin, et de ne revenir que lorsqu'il aurait plus de jeux !! Mais il regarda ses cadeaux, pour finalement avancer vers Kerensky, la tête haute, et déposer tout son fatras sur la plage arrière. Puis il alla s'asseoir, et attendit son ami, qui arriva un quart d'heure après. Ils se défièrent du regard, et finalement, prirent le chemin du Groupe W. Le plus dur à présent, serait de tout charger à l'étage de la maman…

Quelqu'un frappa à la porte. Joy coucha son fils, et alla ouvrir. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle vit les gars de la sécurité entrer les bras chargés, suivis de Simon et Georgi, se défiant toujours du regard. Une fois tout le petit monde parti, la jeune mère se tourna vers " Guerre Froide 2 " version Suisse vs Russie. Elle se racla la gorge, pour les ramener à la réalité, et les deux interpellés se rendirent soudainement compte qu'ils étaient arrivés à destination.

- Quoi ? demanda Simon, voyant le regard noir de Joy, et ses mains sur ses hanches.
- Tu oses me demander " QUOI "' ?
- Ben… Voui pourquoi ?
- Non mais c'est quoi ce bazar ? Qu'est-ce qui vous a pris ? Hein ?
- Ben… Matthew n'arrêtait pas de pleurer, se justifia le Russe.
- Au fait, il est où le pitchoune ?
- En train de dormir…
- Dormir ?
- Oui, tu sais, ce que tu fais 14 h sur 24… !!!
- Tu l'as calmé ?
- Je lui ai donné son doudou, et oui, il s'est calmé !

Puis Joy tourna la tête, et observa les cadeaux offerts par ses amis, se rendant peu à peu compte de leur folie…

- Qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse d'une play station ?
- C'est pas moi, ça, c'est Simon ! protesta le Russe.
- Oh ça te va bien de dire ça, Georgi !! lança Joy.
- Pourquoi ?
- Parce que tu crois qu'un train électrique va lui servir à trois semaines, toi ?
- Ben… Pour plus tard…
- Kerensky, c'est déconseillé aux moins de 3 ans !!!!!
- C'était juste pour aider, hein !
- Mais je ne vous ai pas demander d'aide, moi !
- Au fait, c'est quoi son doudou ? éluda Simon, qui n'aimait toujours pas quand Joy criait.
- Une serviette rouge qui appartenait à Largo… C'est Sullivan qui me l'a donnée l'autre jour, parce qu'il bavait un peu trop…
- C'est parce qu'il était en face d'une belle femme, plaisanta Simon, qui s'imaginait déjà draguer les minettes avec le pitchounet.
- Il ne la lâche plus depuis…

Puis au bout de quelques secondes, Simon reprit :

- Kerensky, on est à égalité, c'est Sullivan qui a gagné…
- Ouais…

***

Le chaud soleil d'avril illuminait le parc. La chaleur, agréable et réconfortante, était telle qu'aucun de nos protagonistes n'avait eu besoin d'enfiler un sur-vêtement avant de sortir. Seul Matthew avait dû, en raison de son jeune âge et de l'attitude sur-protectrice de sa mère, porter un léger veston blanc. Installé dans les bras de sa maman, il babillait gentiment, s'émerveillant devant tout ce qu'il voyait. Il s'agissait en effet de sa première sortie officielle, et il en profitait pleinement. Pendant ce temps-là, les trois autres, lunettes fumées sur le bout du nez, discutaient tranquillement, toujours attendris par la conduite tendre de leur amie envers son fils, amie à qui la maternité réussissait merveilleusement bien.

Et puis soudain, un bruit, comme un souffle de vent, suivi de près par un cri, vint briser la quiétude. Sur une impulsion née de l'habitude, ils se couchèrent par terre.

Alertes, Kerensky et Simon scrutèrent du regard les environs et parvinrent en un instant à voir d'où venait le danger.

Une camionnette noire était garée à l'entrée du parc. Ils n'y avaient jusque là pas porté attention, mais en plissant les yeux, le Russe put distinguer plusieurs hommes cachés derrière, qui plus est : lourdement armés.

Ils continuaient de déverser leurs balles par salves, qui semblaient inépuisables. Les deux hommes reportèrent leur attention sur leur amie, et la virent, étendue aussi par terre, recouvrant de son corps son enfant, pour le protéger. Celui-ci hurlait, apeuré, sourd aux douces paroles de sa mère, tout aussi effrayée que lui. Jamais elle ne leur avait parue si démunie face au danger : car cette fois-ci, la vie de son bébé était en jeu. Elle se tourna vers eux et souffla d'une voix brisée :

- Est-ce que ce sont leurs hommes ?

Ils comprirent immédiatement. La Commission avait-elle découvert cette vérité qu'ils tentaient de cacher ? Les réponses viendraient plus tard. Pour l'instant, il fallait sortir de ce pétrin, là était la priorité.

Sur un signe de Kerensky, ils se mirent à ramper tant bien que mal pour se mettre plus à l'abri. Mais comme ils atteignait un buisson de taille moyenne pouvant les dissimuler à l'ennemi, la fusillade redoubla d'intensité.

- Ils attaquent par l'autre côté ! cria Simon.

En effet, d'autres hommes semblaient postés de l'autre côté du parc. Ils étaient encerclés, pris au piège.

*

Joy serrait Matthew tout contre elle, ne luttant plus contre les larmes qui se déversaient sur ses joues. Le petit avait enfoui sa tête contre la poitrine, recherchant un réconfort qu'elle ne pouvait lui offrir. Elle priait intérieurement pour qu'il ne lui arrive rien, et maudissait en même temps cette organisation qui avait le don de lui briser la vie.

L'évidence qu'elle avait jusqu'alors rejetée la frappa de plein fouet. Matthew n'aurait jamais une vie normale, quoi qu'elle puisse faire.

Alors qu'ils commençaient à se croire perdus, n'ayant plus de munitions, à la merci de leur ennemi qui les avaient encerclés, des sirènes retentirent au loin, se rapprochant. Voyant le danger, leurs assaillants durent plier bagages et déguerpir le plus vite possible. En quelques minutes, le silence revint dans le parc. Seuls les cris de l'enfant résonnaient encore.

Les voitures de police arrivèrent, cette fois encore trop tard, et les officiers, armes au point, inutilement – bien entendu –, débarquèrent et scrutèrent les alentours. Heureusement, la place était pratiquement vide. Aucun blessé grave, ou de morts à déplorer, juste quelques égratignures légères.

Lentement, ce qui restait de l'Intel Unit sortit de sa cachette improvisée. Après avoir répondu aux questions des autorités, ils eurent enfin la permission de quitter les lieux. Alors qu'ils s'éloignaient, encore sous le choc des récents événements, les paroles d'un sergent discutant avec l'un des siens vinrent à leurs oreilles. Celui-ci disait qu'ils avaient eu de la chance qu'il n'y ait eu aucun mort à déplorer. Puis, il enchaîna en disant qu'il leur faudrait avoir une petite discussion avec leurs taupes. Ce règlement de compte, prévu depuis une semaine par un certain gang, ne devait avoir lieu que le lendemain.

En entendant cela, les trois amis se figèrent. Ils échangèrent un regard lourd de sens, et Joy expira longuement, soulagée. La Commission n'avait donc rien à voir dans tout cela. Mais malgré ça, ils avaient été en danger. Et l'adrénaline n'était pas ce qu'elle avait le plus ressenti durant l'attaque. Et si jamais Matthew avait été blessé, ou pire… Elle secoua la tête et ils reprirent leur route.

La vie reprit son cours, Matthew grandissait très vite, découvrant ou réussissant à faire quelque chose de nouveau chaque jour… Joy tentant de calmer Kerensky et Simon qui voulaient toujours lui acheter des tonnes de trucs plus inutiles les uns que les autres à un gamin de bientôt trois mois…

Les affaires du Groupe W continuaient tranquillement, si bien que Sullivan devait aller dans les environs des îles Fidji pour aller à une réception qui clôturerait un gros contrat. Pour plus de sécurité, suite à un attentat survenu dernièrement, Simon et Kerensky devaient l'accompagner, préférant laisser Joy avec son fils. Mais si le Russe n'était guère enchanté à l'idée de devoir quitter ses petits ordinateurs chéris, et que Simon, lui n'attendait que ça, Joy haïssait cette idée. En effet, c'était là que l'accident mortel de Largo s'était passé presque un an auparavant. Et elle était folle d'angoisse à l'idée que le drame ne se reproduise. Elle en avait parlé à Kerensky, qui l'avait rassurée tant bien que mal. Mais ses peurs n'étaient que dissimulées. Car l'effroi demeurait toujours dans la tête de la jeune maman.

C'était le matin du départ. Joy faisait tout ce qu'elle pouvait pour les retenir, et les empêcher de partir. Mais ils ne pouvaient pas. Ce n'était pas possible, et elle le savait très bien.

- Ne t'inquiète pas, Joy, tenta de la rassurer pour l’énième fois Simon. On reviendra entiers, et tu nous maudiras parce qu'on aura acheté trois tonnes de cadeaux à ton fils. D'ailleurs, si j'en trouve qui sont intéressées, je te ramène quelques sirènes pour lui…
- Arrête, tu vas me le dévergonder… répondit Joy, un peu plus rassurée par la décontraction affichée par son ami.
- Écoute, je te promets qu'on t'appelle dès qu'on est arrivés. D'accord ?
- Je ne peux pas vous accompagner ?
- Et Matthew ? Non. Tu restes ici, et tu profites de ton fils. Il a besoin de toi. Alors tu restes près de lui, et tu nous le bichonnes ! Je te préviens que si à mon retour, il me dit que tu ne l'as pas assez câliné, j'appelle l'assistante sociale pour le prendre sous mon aile ! plaisanta-t-il.
- Le pauvre ! railla Kerensky. Il ne mérite pas ça ! Joy, bichonne-le ton bébé !

La jeune femme sourit. Matthew, voyant ses tontons entrer dans le grand engin, se mit à pleurer. Simon, Georgi, et même Sullivan durent le serrer dans leurs bras et lui faire un gros papous pour qu'il se calme enfin. Les yeux humides, il fit, aidé par sa maman, de grands " au revoir " de sa petite main. Le cœur gros d’inquiétudes, la jeune maman les laissa enfin, entrer dans l’avion. Tout en caressant le dos de son fils, elle regarda l’appareil décoller, puis disparaître dans le ciel sans nuages.

***

Le voyage se passa très bien. Pas de turbulence, et un accueil très accueillant, selon les dires de Simon, qui prenait plaisir à voir plein de jolies femmes en tenues légères. Il faisait en effet très chaud, dans les 30°. Le contrat fut signé, et tous furent très heureux. La construction du bâtiment commencerait très bientôt et dans quelques mois, un an tout au plus, un hôpital psychiatrique verrait le jour. Sullivan prenait ce projet très à cœur et ils fêtèrent joyeusement l'évènement.

***

Une semaine après leur départ, ils étaient de nouveau en train de préparer leurs bagages, prêts à retourner à New York. Il leur tardait de retrouver Joy et le petit. Comme promis, ils lui avaient acheté de nouveaux jouets, si bien que des sacs traînaient un peu partout dans le jet. Mais avant de repartir, M. Blizz, finalement très sympathique, les avait conviés à une balade dans son hélicoptère privé. Il leur avait promis des paysages sensationnels, et c'est ce qu'ils trouvèrent en effet. Ils firent le tour des îles d'un archipel éloigné, regardant de haut les plages de sable blanc, la forêt verdoyante et généreuse, les bancs de corail visibles dans l'eau claire, une habitation de bois entres les arbres, deux hommes se baladant, puis leur faisant de grands signes…

***

La chaleur était accablante. Aussi, nos deux Robinson quasi-déshydratés avaient-ils entamé une longue marche jusqu'à leur source principale d'eau potable. Ils se croyaient en plein désert tellement la température était étouffante.

- Ce que je ne donnerais pas pour un verre de lait, se plaignit Largo.
- Et moi pour un scotch avec de la glace ! répliqua sur le même ton son ami.

Gémissements. Ils firent encore quelques pas difficiles.

- Je savais bien que nous aurions dû faire des réserves, dit Cardignac en s'essuyant le front du revers de la main.
- On en a fait, lui rappela son compagnon. Mais les gourdes que tu as fabriquées n'étaient pas étanches.
- Oh...

Encore quelques pas.

- Je deviens fou, s'écria le jeune homme.
- Hein ? Encore ?
- Idiot… J'entends un bruit… comme… comme un hélicoptère, c'est fou !

Michel s'arrêta soudain, tendant l'oreille. Il haussa les sourcils, surpris. Largo, qui avait continué sa marche, se tourna vers lui.

- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je… je crois que c'est un mirage collectif, je l'entends aussi.
- Les crevettes, tu crois ? Elles avaient un drôle de goût…
- J'en ai pas l'impression…

Ils levèrent les yeux au ciel. Une espèce de grosse mouche se dirigeait vers eux, survolant leur île.

- C'est… c'est !!!
- YAHOU ! hurlèrent-ils en cœur, sautant littéralement dans les airs et faisant de grands signes.
- Ils se posent Michel, cria Largo. On est sauvés !

Et ils coururent, oubliant la fatigue et leurs membres endoloris, vers leurs sauveteurs.

Non… C'était impossible… Ses yeux le trahissaient, il était fatigué… Et pourtant… Les deux hommes qui leur faisaient de grands signes en courant ressemblaient comme deux gouttes d'eau à Largo et Cardignac… Simon regarda son ami russe, et comprit à son regard qu'il voyait la même chose que lui. Et Sullivan semblait penser pareil… Quant à Blizz, il ne semblait pas comprendre ce qui se passait, mais était content de sauver des naufragés.

Nan… Je nage en plein délire… pensait Largo, ce n'est pas possible…

Parvenu à trois mètres de ses sauveurs, Largo s'arrêta, suivi par Cardignac, qui, comme avant se mit à grogner… Non… Il ne rêvait pas… Largo ferma les yeux, et les rouvrit. Simon, Kerensky, Sullivan et un autre type qu'il n'avait jamais vu étaient là. Tout près de lui. Ce n'était pas possible… Après une longue année, douze mois qui avaient semblé éternels, ils étaient saufs, Michel et lui…

Simon n'en croyait pas ses yeux. Largo. Son Largo, son meilleur ami, et accessoirement patron, son pote, était là devant lui. Souriant, en forme, même après un an aux côtés de Cardignac… Finalement, il se décida… :

*

- Largo ? demanda-t-il tout doucement, comme pour se prouver qu'il ne rêvait pas.
- Simon vieux frère, comment tu vas ?
- Largo ! Kerensky, il est en vie !! Tu vois ? J'avais raison !! Il est en vie !! Il est en vie !! Wouah !!

Et finalement n'y tenant plus, il lui sauta dans les bras, en l'embrassant sur la joue, et en pleurant comme une madeleine. Son rêve le plus cher se réalisait. Son meilleur ami était là devant lui, bien vivant, et ce n'était pas un rêve…

- Putain de merde Largo t'es en vie ! lâcha finalement Simon, en laissant Kerensky et Sullivan le serrer dans leurs bras. T'es là ! J'en r'viens pas ! J'en connais une qui va être contente… Largo… Si tu voulais nous faire pleurer, ça a marché !!!
- Hum ! se racla la gorge Michel. Je voudrais pas vous déranger, mais moi aussi je suis en vie…

Simon, Kerensky et Sullivan semblèrent s'en rendre soudainement compte, tandis que Blizz restait en retrait, ayant compris ce qui se passait, et ne voulant pas déranger les retrouvailles… Finalement, après une heure d'accolades, de sourires, et de " Oh ben ça alors… " , " Largo… ", " Et sinon ça va ? ", les deux naufragés retrouvés les invitèrent dans leur petit " chez eux ", pour discuter. Bien entendu, le sujet de conversation fut rapidement lancé par Largo :

- Et Joy ?

Simon et Kerensky se regardèrent. Ils lui disaient ? Ou ils ne lui disaient pas ? Le dira ? Le dira pas ? Ils regardèrent Sullivan, qui leur fit comprendre d'un regard que cette histoire se passait entre Joy et Largo, et qu'ils n'avaient rien à dire. Et ça, même s'il avait envie de le lui crier, Simon ne le dirait pas à Largo…

- Elle va très bien… Super bien même. Enfin… Tu vois ce que je veux dire… expliqua plus ou moins bien Simon. Tu lui manques. C'est dingue !
- Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c'est réciproque, M. Ovronnaz, intervint Cardignac. Largo n'a pas arrêté de me rabattre les oreilles avec ça…
- Hey ! protesta Largo. C'était censé rester entre toi et moi, ça !?
- Bah ! De toutes façons, tu m'as dit que tu ne la laisserais pas partir, cette fois-ci…
- Sauf si elle a refait sa vie… lâcha le milliardaire. Et si elle m'a remplacé…
- Y'a bien quelqu'un de nouveau dans sa vie, mais t'inquiète pas ! le rassura Simon. Elle est encore folle de toi !
- Elle a quelqu'un dans sa vie ?
- Quelqu'un ? Oui. Mais rassure-toi, tu as toutes tes chances, et je suis sûr que tu adoreras ce quelqu'un.
- Euh… Je sais pas… Qu'est-ce qui te fais croire ça ?
- Un petit quelque chose… Tu verras. Bon, et toi, alors, comment vous avez fait pour survivre ? Et puis " tu " ? interrogea Simon. Vous vous tutoyez, maintenant ?
- Ben, je te signale qu'on a vécu un an ensemble, Simon…
- Alors, vous avez fait comment ? Et les pilotes ? Que sont-ils devenus ?
- Et vous, cette année, comment s'est-elle passée ?

Ils se racontèrent tout ce qui s'était passé pendant cette année, Simon, Kerensky et Sullivan prenant soin d'omettre dans leurs discussion, l'existence de Matthew… Quant à Largo et Cardignac, ils racontèrent les évènements importants s'étant déroulés durant cette année passée sur cette île, leur expliquant qu'ils n'avaient finalement pas retrouvé le corps des deux pilotes. Largo conclut que Jerry devait être finalement heureux d'avoir eu une gastro entérite la semaine du crash.

- Largo… commença Sullivan. Il est tard, alors nous allons rentrer. Il va de soit que vous rentrez avec nous ! Enfin, à moins que vous n'y voyez une objection…
- Aucune ! Je n'ai qu'une envie : rentrer à New York ! Cela vous étonnera sûrement, mais même les requins du Groupe W m'ont manqué !!
- Oui, il me réveillait en pleine nuit parce qu'il râlait.

Les deux naufragés maintenant sauvés rassemblèrent le peu d'affaires qu'ils avaient, et, aidés par les autres, ils le mirent dans l'hélicoptère, qui décolla quelques minutes plus tard.

- Les retrouvailles entre les deux idiots vont pas être tristes… murmura Simon pour lui-même.

Arrivés à l'hôtel où logeaient les sauveurs des deux naufragés, Sullivan loua deux chambres. Après que tout le petit groupe ait fait la bringue, il convint de garder la surprise à Joy qui, si on l'appelait, risquait de ne pas s'endormir, ou de ne pas les croire et d'avoir mal. Et ça, ils ne le voulaient pas. Alors ils décidèrent de ne rien lui dire avant le lendemain, jour du retour à New York.
Vers 3 heures du matin, toute la petite bande décida d'aller se coucher, même si Simon n'en avait pas très envie, n'en revenant toujours pas que son meilleur ami soit réellement en vie.

Un lit. Un vrai lit, moelleux. Avec des draps. Des draps frais. Et la clim' dans la chambre. Un lit. Largo n'en revenait pas non plus. Même s'il râlait, il commençait quand même à se faire à l'idée de rester sur cette île. Bon, avec Cardignac, c'était pas trop ça, mais il commençait à l'accepter.

Et Joy. Elle était en vie. Il lui manquait, et apparemment, elle n'était pas partie, et elle n'avait pas refait sa vie. Il avait envie d'entendre sa voix. Juste sa voix pour savoir comment elle allait. Pour voir si sa voix était comme dans ses souvenirs. Pour se rassurer. Mais lui ne dirait rien, il l'avait promis à Simon et Kerensky. Ce serait la plus belle surprise de sa vie… Lentement, il décrocha son téléphone, et tapa le numéro de portable de Joy. Curieusement, il ne l'avait pas oublié. Rien. Tout sur elle était intact dans sa mémoire. Après deux sonneries, elle répondit.

- Joy Arden.

Sa voix était toujours aussi douce. Légèrement grave, mais tellement sensuelle. Comme il l'aimait.

- Allô ? Allô ? Il y a quelqu'un ?

Largo fut tenté de répondre, de lui dire qu'il était là, en vie, qu'il l'aimait et qu'il n'attendait que d'être à New York pour la prendre dans ses bras. Mais il avait promis. Alors il ne fit rien, et il la laissa raccrocher. Il la laissa l'abandonner…

Le lendemain, Largo s'était levé aux aurores. Incapable de s'endormir, comme Simon et Kerensky, d'ailleurs. Il avait retourné tout ce qu'il avait appris ces dernières 24 heures. Et finalement, 7 heures avaient sonné. Il s'habilla rapidement, et descendit à la réception. Puis il alla prendre un petit déjeuner. Heureusement pour lui, personne ne le reconnut… Et heureusement que Joy n'était pas là… Qu'est-ce qu'il se serait pris !! Il sourit. En fait, il aimerait bien que Joy lui crie dessus. Juste pour se rappeler comment ça faisait… Quelques heures plus tard, Simon le rejoignit, souriant comme jamais, suivi de près par Kerensky.

- Tu te réveilles à 9h30 toi, maintenant ? se moqua Largo.
- En fait j'ai pas dormi !
- Moi non plus. Trop nerveux, trop excité à l'idée de la revoir…
- Si on lui avait dit que t'étais en vie, elle aurait été dans le même état que toi…
- Et toi Georgi… ? Comment tu vas ?
- Pas dormi non plus. Mais ça va.
- Et Sullivan ? demanda Largo.
- Il a discuté avec Michel toute la nuit.
- A propos du Groupe ?
- Oui.
- Eh ben… Il perd pas de temps, lui au moins…
- Et toi ?
- Quoi ? demanda Largo.
- Tu reprendras le Groupe ?
- Ben… oui.

L'avion avait décollé depuis deux heures. Largo redécouvrait le Jet et Jerry, qui crut être devenu fou lorsqu'il reconnut Largo. Mais au bout de quelques minutes, il se rendit compte qu'il n'était pas fou, et que c'était bien son ancien patron en face de lui. Voler. Ça faisait presque un an qu'il avait disparu. Une année de perdue avec Joy. Ç'aurait pu être pire, d'accord, mais un an, c'était beaucoup. Et il savait que cette fois-ci, il ne la laisserait pas partir, bien que Simon et Kerensky lui avaient certifié qu'il n'avait pas à s'en faire pour ça.

***

Largo réfléchissait. Qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir lui dire ? Et comment allait-elle réagir, elle ? Le jeune homme puisait dans son imagination tout ce qu'il pouvait trouver pour séduire Joy. Même s'il savait aussi que ce n'était pas nécessaire. Mais il voulait faire les choses en grand pour celle qu'il aimait.

Une heure avant d'atterrir, John appela Joy, mettant le haut parleur :

- Joy Arden.
- Joy ? Bonjour c'est John, comment allez-vous ?
- Très bien et vous ? Le voyage s'est bien passé ?
- Oui, nous sommes dans l'avion pour le retour. Nous serons là dans une heure. Nous avons d'ailleurs une surprise pour vous.
- Une surprise ? Si c'est une sirène pour Matthew, Simon peut aller se faire…
- Non, c'est pas ça ! la coupa Simon. C'est mieux !
- D'ailleurs en parlant de Matthew, tu peux le confier à Gabriella ? intervint Kerensky. Viens seule à JFK, s'il te plaît…
- Vous savez que vous me faites peur, là ? s'inquiéta Joy.
- Tu nous fais confiance, Joy ? demanda Simon, qui n'avait pas quitté son meilleur ami des yeux depuis le début de l'entretien.
- Ben… Oui. Mais je vous connais vous et vos idées saugrenues…
- Bon… On va te laisser, tu dois être occupée…
- Tu parles ! Y'a rien a faire !!
- Ben alors… Je sais pas moi, regarde… Euh… La télé. Ou va aider Gabriella. Mais nous, on te veux dans une heure à JFK, ok ?
- Ben… Ok…
- Alors à tout à l'heure !

Et il raccrocha.

- Matthew ? demanda Largo, qui n'avait pas bougé jusqu'alors.
- Son chien, mentit Kerensky comme il y arrivait si bien.
- Elle a un chien ?
- On ne te l'avait pas dit ? aida Simon.
- Non.
- Ah. Ben maintenant tu le sais.

Simon se retourna vers Kerensky et répéta, presque imperceptiblement :

- Un chien ? Si Joy le sait, tu es mort mon gars !
- De toutes façons, avec tout ce qu'il bave, ce bébé…
- Ça, faut pas le dire à la mère…
- Heureusement qu'il est beau…

Il lui restait un quart d'heure pour arriver à JFK. Elle prit son fils endormi dans ses bras, le changea, et, après avoir mis quelques affaires dans un sac, alla le confier à Gabriella qui, bien que ce ne fut pas son travail, fut ravie de pouvoir s'occuper du petit. Après un dernier baiser au minipouce, elle partit avec sa voiture en direction de JFK.

***

Qu'est-ce que pouvait bien être cette surprise ? Elle devait vraiment être de taille si Sullivan soutenait Simon et Kerensky.

Sans s'en rendre compte, elle était arrivée à destination en 10 min. Mais le Jet était déjà arrivé. La première personne à descendre fut Sullivan, suivi de près par Kerensky et Simon, qui n'arrivait pas à dissimuler un large sourire. Elle s'avança vers eux en souriant, mais s'arrêta net : Cardignac venait de descendre du Jet. Le sourire de la jeune femme se figea. Elle rêvait ? Non ! C'était bien Michel Cardignac – en beaucoup plus bronzé – qui s'avançait. Mais alors s'il y avait Cardignac, il y avait…

- Largo… murmura-t-elle, le voyant sortir lui aussi.

*

Dieu qu'elle était belle ! Elle n'avait pas changé durant toute cette année. Radieuse était le mot qui la caractérisait. Il avait vu son sourire d'ange à travers le hublot, toujours le même, mais avec plus de mélancolie quand même. Et puis lorsque Michel était sorti, elle s'était arrêtée. Elle n'avait plus bougé. Son sourire s'était éteint. Elle avait compris. Il était temps qu'il sorte. Il était temps qu'il l'affronte. Il était temps de revenir dans sa vie. Il l'avait abandonnée trop longtemps.

" Largo… " Son nom prononcé de cette manière, cette scène, il se les était imaginés des centaines de fois, tout le long de cette année écoulée. Elle, était statufiée. Simon, Kerensky, Sullivan et Cardignac observaient la scène.

Visiblement, elle n'était pas dans la capacité d'esquisser le moindre mouvement. Alors Largo décida de prendre les devants, pour une fois. Il descendit les marches, et s'approcha d'elle tout doucement, pour ne pas la brusquer. Elle ne bougeait pas, se contentant de le fixer, et de se perdre dans ses yeux bleus. Ces yeux qui lui avaient tant manqué. Il était là. En face d'elle. Alors sans comprendre, les larmes coulèrent le long de ses joues.

Il s'approcha encore. Il était juste devant elle. Il remit une mèche derrière son oreille, effaçant ses larmes, et elle ferma les yeux. Ce geste. Lui seul le faisait. Ça recommençait, elle rêvait. Et pourtant… Tout semblait si réel ! Tout semblait si vrai.

- Dis-moi que ce n'est pas un rêve… murmura-t-elle.
- Ce n'est pas un rêve, Joy, dit-il encore plus doucement.
- Alors je vais ouvrir les yeux, et si tu es là, ça voudra dire que c'est vrai.

Largo sourit, alors que Joy s'exécutait. Il était toujours là. Devant elle. En train de lui parler. En train de la poser ses bras autour de ses hanches, alors que elle, elle ne faisait rien. Il fallait qu'elle fasse quelque chose. Mais quoi ? Les larmes ne s'arrêtaient pas.

Sans chercher à comprendre, sous le coup d'une pulsion trop longtemps retenue, elle s'approcha de lui, attrapa sa nuque, et l'embrassa fougueusement, sous les regards attendris et heureux des autres.

***

Elle émergea des couvertures. Elle avait fait un merveilleux rêve. Largo revenait. Il lui disait que ça n'en était pas un, mais ça ne pouvait pas être vrai. Il fallait qu'elle se convainque une bonne fois pour toutes qu'il était mort. Mais son rêve avait l'air si réel ! Cette nuit d'amour qu'ils avaient passé…

Mais où était-elle ? Au Penthouse ? Mais que diable faisait-elle ici ? Et elle se sentait si bien… L'odeur de Largo régnait partout. Et il y avait ce poids sur son ventre. Elle se sentait planer. Bien. Mieux que jamais. Et pourtant, après les rêves qu'elle faisaient fréquemment de Largo, elle ne se sentait pas aussi sereine. Soudain, elle se rendit compte que le poids en question sur son ventre, était un bras. Un bras ? Mais qu'est-ce qu'un bras venait faire sur son ventre ? Elle se retourna, et se trouva en face du sourire angélique de Largo.

- C'est si embêtant que ça ? demanda-t-il.
- En général, on commence par dire bonjour…
- Bonjour…

Il l'embrassa, et continua.

- Qu'est-ce qui te tracassait comme ça ?
- Je pensais avoir rêvé…
- Je t'ai dit hier que ce n'était pas un rêve. Je te quitterai plus.

Joy se rallongea, et se blottit contre son amant.

- T'as intérêt. Parce que cette fois-ci je n'y survivrai pas.
- Je sais. Et après la nuit qu'on vient de passer, je me demande si j'aurais jamais envie de quitter ce lit…

Elle rit. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas ri comme ça. Franchement. Sans mélancolie, sans tristesse, sans vouloir cacher sa peine.

- J'ai eu mal. Très mal.
- Je sais. Georgi et Simon me l'ont dit. Je suis désolé…
- Ce n'est pas ta faute. Ce n'est pas toi qui l'as voulu…
- Evidemment que non !
- Bon. Alors on oublie ça.

Une seconde passa, puis Joy reprit.

- Largo je suis désolée. On aurait dû continuer les recherches, on aurait dû retourner chaque parcelle de ce monde pourri pour te retrouver, on aurait dû…

Mais un baiser de Largo la fit taire.

- Vous avez fait ce que vous avez pu. Vous ne pouviez pas faire plus.
- On avait tous perdu l'espoir que…
- Je sais. Ils m'ont tout raconté.
- Alors tu sais pourquoi je suis restée au Groupe, et pourquoi j'y ai un appartement ?
- Tu as un appartement au Groupe ? Tu y vis ? Non. Je ne le savais pas. Ils ont dû oublier…
- Non. Ils l'ont fait exprès. Ils n'ont pas pu oublier la raison de ma venue ici. C'est d'ailleurs Kerensky qui a insisté pour que je vienne vivre ici.
- Alors pourquoi ?
- Parce que c'est à moi de te l'annoncer…
- Mais m'annoncer quoi ?
- Trente secondes s'il te plaît.

Elle se retourna, et attrapa le téléphone. Elle appuya sur une touche, et attendit.

- Gabriella ? Bonjour, c'est Joy. Très bien et vous ? Dites-moi, où est Matthew ? C'est Simon qui l'a ? Oui. Il pourrait me l'amener au Penthouse ? Ah. Il dort. Eh ben réveillez-le alors ! Oui. Merci. Bonne journée Gabriella.

Elle raccrocha.

- Tu veux me présenter ton chien ? C'est pour ça que tu es venue au Groupe ?
- Mon chien ? demanda Joy, abasourdie. Mais je n'ai pas de chien ! Attends… Qui t'a dit ça ?
- Kerensky.
- Ah… Je comprends… Il va m'entendre celui-là… C'est lui qui se bat contre Sullivan et Simon !
- De quoi tu parles, Joy ?
- Attends.

Elle sortit du lit, revêtit une chemise de Largo, puis se dirigea vers le salon.

- Tu ne bouges pas, lui ordonna-t-elle après un baiser.

Largo, ne protesta pas, mais ne comprenait rien non plus de ce qui se passait. Ce fut seulement lorsque Joy revint quelques minutes plus tard qu'il saisit la situation. Joy tenait un bébé dans ses bras. Bébé qui babillait à tout bout de champs.

- D’où vient ce bébé ? demanda finalement Largo. Puis semblant comprendre : C’est ton bébé ? C’est merveilleux pour toi… Je comprends, tu pensais que j’étais mort… Et tu vis toujours avec le père ?

Joy réfléchit un instant. Comment lui faire comprendre sans trop le brusquer : " Ben en fait, non, c'est ton fils ! Et comme tu n'étais pas là… ". Hum. Non. Pas terrible… Finalement elle inspira profondément, tentant de lui faire comprendre la vérité en douceur… :

- Non jusqu’à présent je ne vivais pas avec le père de Matthew car il n’était pas à New York, mais maintenant qu’il est revenu j’espère que les choses vont changer. Il aura trois mois dans quatre jours. Il est né au bout de huit mois.
- Trois mois ? Huit mois ?

Elle s'assit sur le lit, et laissa son amant calculer. Si le bébé avait trois mois dans 4 jours, ça voulait dire qu'il était né le 12 mars. Si on comptait huit mois de moins… Ça faisait donc… juin dernier. Et il y a un an pile poil…

Largo regarda Joy, béatement. Elle, elle souriait.

- Tu veux dire que… ? commença Largo.
- Ecoute, je ne te demande rien, d'accord, si tu ne veux pas le reconnaître, et que c'est trop soudain, je ne t'en voudrais pas…
- C'est mon fils ? Tu es sûre ?

Joy sourit.

- je n’ai pas une vie aussi dissolue que tu sembles le penser ! Tu es le seul avec qui j'ai… et, pour plus de sûreté, j'ai fait des tests de paternité. Tu es bien le père, Largo. Matthew est ton fils.


*

Le jeune père écarquilla les yeux.

- Je te répète que je ne te demande rien. Matthew est le plus beau cadeau que j'ai jamais reçu, mais je ne veux pas te l’imposer. Je comprendrais que tu t’éloignes, après tout, je ne t'ai pas demandé ton avis…
- Ça ne va pas ? Joy… Je pensais avoir été suffisamment clair : je t'aime, et il est hors de question que je te laisse partir comme les autres fois. Cette fois-ci, je te retiendrai et je ne te lâcherai pas. Quant à Matthew… Wouah ! C'est… C'est… Génial ! Tu n'imagines même pas ce que je peux être heureux ! Il… Il va bien ? Comment s'est passé la grossesse ? Et l'accouchement ? Je peux le prendre ? Il a tout ce qu'il faut ? Des vêtements, des jouets ? Tu es sûre qu'il ne manque de rien ? Oh qu'est-ce qu'il est mignon ! Il a tes cheveux ! Mes yeux, ton nez… Des toutes petites mains ! T'es sûre que c'est mon fils, hein ?

Joy éclata de rire. On aurait dit qu'il voyait un bébé pour la première fois ! Mais elle lui tendit Matthew, qui se réveilla doucement, sans pleurer…

- Tiens.

Le nouveau papa le cala dans ses bras musclés, et admira son fils. Ce qu'il pouvait être beau ! tout le portrait de sa mère. A ce moment-là, il fut plus fier qu'il ne le fut jamais. La femme qu'il aimait près de lui, et son fils. Non, LEUR fils. C'était leur fils, qu'il tenait dans ses bras. Le fruit de leur amour qui avait mis tant de temps à être avoué. Joy avait longtemps pensé que ce bébé était un accident. Mais lorsqu'elle vit son fils dans les bras de son père, elle ne put que se dire que c'était un signe.

Joy lui raconta tout, de sa grossesse à son accouchement mouvementé dans l’ascenseur, en passant par la fièvre acheteuse de Simon, Kerenski et Sullivan, sans oublier leur tendance prodigieusement agaçante à la sur-protection. A la fin de son récit, Largo ne put retenir un :

- Oh… J'aurais plus rien à lui acheter alors… T'es sûre qu'il n'a pas besoin d'un truc spécial ? Même des petits pots, hein !

Joy inspira un bon coup.

- Ton fils n'a besoin que d'une chose…
- Laquelle ?
- Son père. Alors tu vas arrêter de le gâter, parce que sinon il deviendra aussi pourri que tous les membres du Conseil réunis !
- Un père, hein ?

Il l’embrassa tendrement.

- Je crois pouvoir lui donner ça.


Largo s’averra, malgré ses promesses, un véritable papa gâteau. Le petit Matthew, loin de sembler s’en plaindre, accumulait papou sur papou. Le « revenant » insista même pour que Joy lui apprenne à changer une couche, ce qu’elle fit en riant. Il raconta à son fils des histoires diverses, que la jeune mère écoutait elle aussi, émue de l’amour qu’elles laissaient transparaître. Elle vivait un rêve éveillé. Jamais elle n’avait été si heureuse, et Simon, Kerensky et Sullivan le voyaient bien. C'est aussi pour cela qu'ils étaient heureux du retour de Largo. Mais Cardignac revenu rendait certaines choses plus difficiles. En effet, il ne désirait qu'une chose : reprendre le travail au Groupe W… Personne n'avait encore remarqué le retour de Largo Winch. il restait au Penthouse, ou s'arrangeait pour sortir quand personne n'était là. Ce qui était très difficile. Et les rares personnes qui étaient au courant s'arrangeaient pour démentir cette vérité lorsqu'une personne venait à reconnaître le milliardaire.

Le couple accumula aussi les promenades. Largo pouvait sortir sans crainte d’être reconnu, ayant été déclaré comme mort. Et pourtant, il n’y avait pas plus vivant que lui. Parfois, bien sûr, quelques personnes le regardaient fixement, se demandant où ils avaient bien pu voir sa tête, mais bien vite, sous les regards noirs de la jeune maman, ils détournaient le regard.

Mais après un mois, il fallut revenir sur terre, à leur plus grand regret. Il avait été bon de vivre ainsi dans l'anonymat et de profiter de sa petite famille, mais s'il le faisait encore longtemps, on finirait par découvrir leur secret et la réaction du public, encouragée par une presse internationale mécontente de n'avoir pas été mise au courant plus tôt, serait explosive. C'est donc en soupirant profondément que Largo accepta d'organiser une conférence de presse.

Les préparatifs durèrent plus d'une semaine. Il fallait lancer des invitations, s'assurer de la présence en grand nombre des médias, de la sécurité des lieux (que Joy présida), ainsi que de l'écriture du discours que prononcerait Largo devant la foule rassemblée.

Lorsque arriva le grand jour, Joy dut longuement calmer son amant. En effet, celui-ci avait quelques craintes qui, heureusement, s'avérèrent toutes infondées.

Quand il monta sur l'estrade, un long silence s'installa. Puis, des murmures parcoururent l'assemblée.

- Et dire que je croyais que vous ne me reconnaîtriez pas, blagua-t-il pour se détendre un peu.

Des petits rires se firent entendre, mais la plupart des occupants de la salle était encore trop stupéfaits. Rassemblant tout son courage, le jeune homme commença par relater l'accident, puis son long séjour sur une petite île déserte du Pacifique et enfin, son miraculeux sauvetage alors qu'il se croyait perdu. Tous étaient suspendus à ses lèvres. Il invita ensuite Cardignac à monter le rejoindre, le présenta, puis déclara qu'il reprenait les rêne du Groupe W à partir d'aujourd'hui.

Les questions, comme il s'y était attendu, fusèrent de partout. Il répondit de bon gré à quelques unes d'entre-elles, mais au bout d'une quinzaine de minutes, il partit, laissant derrière lui son public bruyant et toujours aussi surpris.

2 semaines plus tard.

Après avoir assisté à un long et très ennuyeux Conseil d'administration, Largo monta directement au Penthouse et se laissa choir sur un divan. Joy vint le rejoindre, portant Matthew dans ses bras. Il entoura les épaules de la jeune femme d'un bras alors que son autre main caressait tendrement la joue du bébé qui, il l'aurait juré, souriait tout en émettant d'agréables gazouillements.

- Alors ? demanda-t-elle.
- Ça ne m'a pas manqué, avoua-t-il en riant. Mais je n'ai pas le choix, alors je fais avec.

Elle le regarda tendrement.

- Je suis tellement heureuse que tu sois revenu…

Il se pencha vers elle et l'embrassa amoureusement.

- Moi aussi, mon amour.

Il l'embrassa encore une fois puis se décala un peu.

- Tu sais, fit-il, il paraît qu'on veut faire un film sur notre histoire, à Michel et à moi.
- Ah bon.
- Oui, et si tout fonctionne bien, ils comptent en faire une série télé. Surprenant, non ?
- Et comment ! Je vois ça d'ici, ça va faire fureur, rigola-t-elle. Et comment nommerait-il cela ?
- Largo Winch.
- Pas très imaginatifs, ces producteurs, remarqua-t-elle.
- Je trouve aussi.
- Tu compte accepter ? s'enquit-elle.
- Je ne sais pas, peut-être. Ça pourrait être marrant. Il y a juste un petit problème, ajouta-t-il, soudain sérieux.
- Lequel ? s'inquiéta-t-elle.

Il sourit pour la rassurer.

- Comme dans tout bon film, il faut qu'il y ait une Happy end.
- Et alors ?
- Et bien, presque tout est parfait.
- Presque ?
- Oui, nous avons un fils, et nous nous aimons, mais…
- Mais… ? répéta-t-elle encore une fois, commençant à s'inquiéter.
- Il manque le mariage. S'il n'y a pas de mariage, ce n'est pas une vraie Happy end.

Elle comprit.

- Tu es sérieux ?
- Je crois que je ne l'ai jamais été autant, fit-il en sortant de la poche de son veston un petit écrin de velours gris.

Il l'ouvrit, lui dévoilant la bague qu'elle contenait.

- Largo ! s'écria-t-elle, émerveillée. Tu es fou, elle est splendide !
- Ça veut dire oui ?
- Bien sûr, idiot.

Il sourit de nouveau. Ils échangèrent un long baiser passionné puis se séparèrent lorsque Matthew commença à s'agiter.

- Jaloux, va !



FIN
  Sujet: La vie sans lui... et après
Kazy

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MessageForum: Fan- Fictions (Francais)   Posté le: 07 Juil 2003 06:10 pm   Sujet: La vie sans lui... et après
Ceci est une fic co-écrite avec Genevieve, bonne lecture,

Biz,
Kazy


La vie sans lui… et après !



Joy Arden sortit de son lit, lentement, le visage pâle, des cernes plus lourds que des valises, le regard vide, et une fatigue insoutenable. Elle prit une douche, déjeuna à peine, et s’habilla, dans une morne routine. Elle arriva au Groupe sans même s’en rendre compte. Elle n’était plus que le fantôme d’elle-même. Simon aussi, d’ailleurs. Il avait perdu toute sa joie de vivre, malgré l’espoir inouï qu’un – beau – jour, tout redevienne comme avant. Kerensky, lui tenait mieux le coup. Enfin… En apparence. Elle savait bien qu’il le vivait mal. Presque trois mois. Presque trois longs mois que leur vie avait été transformée. Et Joy ne pouvait que s’en rendre coupable. Elle n’avait pas pleuré, elle n’avait pas réagi, elle n’avait fait que se renfermer sur elle-même. Elle avait songé à démissionner, mais l’image de Simon et de Kerensky revenait sans cesse. Il était dix heures, mais de toutes façons, elle n’avait rien à faire. Puisque Sullivan ne collectionnait pas les petites copines, ou ne sortait pas le soir à minuit. Le seul truc qui pouvait occuper ses journées, c’était vérifier les entreprises avec lesquelles Sullivan allait signer.

Elle poussa la porte du Bunker, et ce fut sans surprise qu’elle vit Kerensky, Simon à côté. L’ambiance n’était pas la même. L’ambiance n’était plus la même. Elle n’était plus la même depuis l’accident de l’avion qui emmenait Largo et Cardignac près des îles Fidji, afin de signer un contrat. Les recherches avaient duré cinq semaines. Cinq semaines où l’on espérait que Largo reviendrait. Même Cardignac. Ils espéraient. Et puis ils avaient dû arrêter les recherches. Sullivan les avaient convoqués dans son bureau pour leur annoncer la nouvelle.

2 mois et quelques semaines auparavant

- Asseyez-vous s’il vous plaît, les invita Sullivan.
- Je préfère rester debout, prononça Kerensky, alors que les deux autres faisaient de même.
- Ecoutez… Cela fera cinq semaines que nous faisons des recherches sur les possibilités de survie de Largo et Michel ainsi que les deux pilotes… Mais il faut se rendre à l’évidence… Ils n’auraient pas pu survivre…
- Qu’est-ce que vous voulez dire ? demanda Simon, connaissant ou redoutant déjà la réponse.
- Que Largo Winch, Michel Cardignac, Nash Garrett, et Denis Harris seront déclarés morts demain matin et…
- NON !!! coupa Simon. NON !! IL EST HORS DE QUESTION QU’ON ENTERRE LARGO !! CARDIGNAC, OK !! MAIS PAS LARGO !! IL N’EST PAS MORT, OK ? IL N’EST PAS MORT ! JE LE SAIS !!!

Et il partit en claquant la porte, les larmes au bord des yeux. Kerensky était triste. Triste et déçu. Triste d’avoir perdu un ami cher, et déçu de n’avoir pas réussi à le retrouver, malgré tous les efforts qu’il avait fournis, toutes les nuits blanches qu’il avait passées, toutes les heures d’attentes, tout ça pour rien. Ou pour une réponse qu’aucun d’eux ne voulait entendre. Il avait tourné le regard vers Joy. Elle semblait accuser le coup, mais incapable de prononcer un mot.

Il était mort. MORT. MORT. Ce mot résonnait dans sa tête. Largo. Mort. Non. Son esprit refusait d’assimiler l’information.

- Joy ? l’appela Sullivan
- Oui John, répondit-elle avec le plus de détachement possible – ce qui n’avait pas donné grand chose.
- Ça ira ?
- Quand aura lieu l’enterrement de Largo et de Cardignac ? demanda Kerensky.

Largo. Mort. Enterrement. Ces mots résonnaient encore et toujours.

- Jeudi. Je suis désolé Kerensky. Nous avons tout fait pour les retrouver… Mais nous ne pouvons plus rien faire.
- Je sais John. Merci.

Il se dirigea vers la porte, mais s’arrêta, et attendit. Joy ne bougeait pas. Il l’appela. Une deuxième fois, et elle leva la tête. La garde du corps avait regardé John une dernière fois, et était partie au Penthouse, sur la terrasse. Une terrasse qui resterait désespérément vide à présent. Pourquoi tous ceux qu’elle aimait mouraient ? Qu’est-ce qu’elle avait fait ? Elle se laissa glisser contre le mur, et attendit, les yeux dans le vide. Qu’attendait-elle ? Elle-même était incapable de le dire. Peut-être que le temps passe, ou peut-être attendait-elle de se réveiller en sursaut en se rassurant que tout n’était qu’un cauchemar… Combien de temps avait passé ? Personne n’aurait su le dire. Lorsqu’une main se posa sur son épaule…

- Largo ? demanda-t-elle, pleine d’espoir.

Mais ce fut le sourire triste de Simon qui lui répondit.

- Oh ! Excuse-moi Simon…
- Non. C’est pas grave. Tu n’y es pour rien. Moi aussi j’aurais réagi comme ça.
- Ça va ?
- A part le fait que je viens d’apprendre que mon meilleur ami sera déclaré mort demain, ça va. Mais toi ?
- Je n’en sais rien Simon. Je suis incapable de penser, incapable de ressentir, je… Je suis totalement anesthésiée. Il est mort, Simon. Tu te rends compte ? On ne le reverra plus jamais, on ne l’embêtera plus jamais, je ne lui crierai plus dessus parce qu’il sort sans me prévenir, je ne sourirai plus comme quand il me taquinait, je n’aurai plus personne à protéger, je… Je…
- Je sais… Et moi, je n’aurai plus personne avec qui sortir, me souvenir, délirer, faire des plans foireux, m’aider à me sortir d’une merde noire…

Il attendit un moment, retenant les larmes qui menaçaient de couler, puis il reprit :

- Joy…
- Oui ?
- Je peux te demander une faveur ?
- Oui…
- S’il te plaît, ne te renferme pas sur toi-même. Si tu as mal, dis-le nous… Il faut qu’on se serre les coudes. Et je ne veux pas que tu souffres.
- C’est trop tard Simon.
- Tu sais quoi ? Je suis sûr qu’il est encore en vie.
- De toutes façons, même s’il avait survécu… Il serait déjà mort… Parce que Cardignac comme compagnon d’infortune, on fait mieux ! Même si les pilotes lui tiennent compagnie…

Ils auraient bien ri de la plaisanterie, mais ils ne s’en sentaient pas capables.

***

Il tourna sur lui-même. Une plage de sable blanc, une mer turquoise, une forêt tropicale... Mais où diable se trouvait-il ? Ou plutôt, la question était : que s'était-il passé ?

Il se souvenait du voyage d'affaire qu'il avait dû, à son plus grand dam, faire avec Michel. Ils étaient dans le jet quand tout à coup, alors que pour une énième fois, lui et son employé se chamaillaient pour un rien, il y avait eu de fortes turbulences. Tandis que Cardignac pestait, lui s'était inquiété. Et à juste titre, s'il en jugeait par sa position présente. Le pilote les avait prévenus qu'une des ailes de l'appareil avait un problème. Mais en regardant par un hublot, Largo avait bien vu que le problème était de taille. L'aile était en feu. Le co-pilote avait alors pris la parole pour les avertir qu'ils devaient s'asseoir et boucler leurs ceintures de sécurité. Ils allaient tenter d'amerrir. Ensuite… ensuite tout était flou dans sa mémoire. Un choc. Violent, extrêmement violent. Puis, ça avait été le trou noir. Il s'était réveillé dans l'eau, à une centaine de mètres de cette île. Il avait rapidement nagé jusqu'au rivage, par crainte des requins dont grouillaient certainement les alentours.

Où étaient les autres ? Il scruta encore la plage, inquiet de leur sort. Ne voyant rien, il émit l'hypothèse qu'ils auraient pu être rejeté autre part sur l'île. Il se mit en marche, et rencontra par endroit des débris métalliques. L'un d'entre eux portait le sigle du Groupe W. Il resta un instant à le regarder. Ses amis… le cherchaient-ils ? Sûrement. Le trouveraient-ils ? Il déglutit difficilement. Il fallait qu'ils le fassent. Il avait besoin d'eux. Il soupira et continua sa route, plus inquiet qu'avant. Au bout d'une dizaine de minutes, il distingua à l'horizon une forme foncée. Il courut vers elle. C'était Michel. Il prit son pouls et fut soulagé en constatant qu'il en avait bien un. Le président de la Winch Air était simplement évanoui. Il le traîna un peu plus haut sur la plage et se pencha sur lui. Un sourire un tantinet mesquin apparut sur son visage. Il gifla le pauvre homme inconscient qui finit par ouvrir les yeux.

- Mais qu'est-ce que… maugréa-t-il.
- Je n'aurais jamais cru vous dire ça un jour, Michel, mais je suis content d'entendre votre voix, fit en souriant l'héritier Winch.

Il se leva et tendit la main à l'autre pour qu'il en fasse de même. Celui-ci, dont la fierté ne permettait pas une quelconque aide extérieure, se redressa difficilement. Sous le regard amusé de son patron, il entreprit de débarrasser son costume des grains de sable qui constellaient le tissu séché au soleil. Lorsqu'il fut satisfait, il eut une moue agacée et regarda autour de lui.

- Où sommes-nous ?
- Je dirais… quelque part au beau milieu du pacifique.
- Vous vous croyez drôle, peut-être ? s'écria-t-il. Où est le jet ?
- Ça, je me le demande… Mais entre nous, le sort des pilotes m'intéresse un peu plus. Venez.

Il commença à partir.

- Eh ! Où allez-vous ? demanda Cardignac en le rejoignant rapidement.
- La nuit va bientôt tomber. Il faut se construire un abri et trouver de quoi manger.
- Vous comptez rester ici !? s'exclama-t-il, ébahi.

Largo se tourna vers lui, de la colère dans les yeux.

- À moins que vous ne sachiez comment construire un avion avec du bambou et du sable, je crains que nous ne devions en effet séjourner ici.
- Mais j'ai rendez-vous avec d'importants promoteurs, demain. Je dois y être !

Le PDG secoua lentement la tête et se remit en marche vers la forêt.

- Largo ! Largo ! Attendez-moi !

Ils construirent un semblant de cabane en quelques heures, Michel pestant constamment après les matériaux et l'absence de clous et de marteaux. Malgré ses efforts pour garder son sang froid, le jeune homme craqua au bout d'une bonne demie-heure.

- Michel, taisez-vous ou je vous jette au requins ! hurla-t-il, à bout de nerfs.

Cardignac se tut immédiatement, sachant que le milliardaire était parfaitement capable de mettre sa menace à exécution. Le soir venu, ils s'étendirent sur les nattes en feuilles de bambou et regardèrent le plafond de leur petit abri de fortune.

- Vous croyez qu'on va nous retrouver ? demanda doucement Cardignac en tournant la tête vers son compagnon d'infortune.
- Simon, Kerensky et Joy vont tout faire pour, assura-t-il. J'ai confiance en eux.
- Ils ne savent pas où nous sommes…
- Ils chercheront et nous trouveront. Il ne faut pas perdre espoir, Michel.

Ce dernier acquiesça lentement et s'endormit. Mais incapable de fermer l’œil, Largo sortit de la petite cabane et alla s'asseoir sur la plage, baignée par la lueur de la pleine lune. Il leva la tête vers les étoiles, nombreuses par milliers. Ses amis étaient-ils déjà au courant de l'accident ? Sans doute, oui. Le croyaient-ils mort ? Et s'ils ne les trouvaient pas ? Qu'adviendrait-il d'eux ? Livrés à eux-mêmes, survivraient-ils ?

Submergé par ces questions auxquelles il ne pouvait avoir de réponse immédiate, il s'étendit sur le sable, ses bras lui servant d'oreiller. La brise nocturne lui chantant une douce berceuse, il sombra enfin.


L’enterrement avait donc eu lieu le jeudi. Tous les membres restants du conseil étaient présents, ainsi que la plupart des employés. Sullivan avait repris les rênes du Groupe W, et Kerensky, Joy et Simon avaient finalement accepté de rester au groupe, juste en la mémoire de Largo. Simon avait été le premier à parler. Ce ne fut pas un de ces longs discours ennuyeux et barbant, ce fut un discours sincère, et émouvant qui passa les lèvres de l’ex-voleur :

- Quand John m’a demandé de faire un discours pour Largo… Ça a été dur. J’en ai jamais fait, alors ce sera sûrement foireux… Largo, c’était pas un gars compliqué. Il débordait de vie, et c’était pas un dingue du boulot, du coup, il s’est foutu plein de types hypocrites à dos. Mais il aimait ses amis, et c’était un homme loyal, qui avait le cœur sur la main. Personne ne le connaissait mieux que moi, et pourtant, tous les jours je le découvrais. Et maintenant ce ne sera plus possible. C’était un type génial, qui a toujours cru en moi, et qui ne jugeait pas les gens sur leur passé, mais sur leur présent. Ok, il n’était pas très stable sentimentalement, mais je suis sûr que c’est parce que derrière ses grands chevaux de type courageux qui n’a peur de rien, il était mort de trouille à l’idée de dire ses sentiments à la fille qu’il aime. Et je suis sûr que de là-haut – s’il y est, parce que je dois avouer que j’ai de gros doutes, ou plutôt de grands espoirs – il le regrette. J’ai jamais vécu un truc aussi dur. Parce que, penser que Largo est mort, c’est pas facile à accepter, mais parler de lui au passé, c’est encore plus difficile. Je sais pas où tu es, Largo, je n’en ai absolument aucune idée, mais j’espère que tu y es bien. J’espère que tu t’y sens bien, parce que nous ici, on se sent mal…

Il descendit de l’estrade, et s’assit à côté de Joy. Il ne restait plus qu’à mettre la terre sur la tombe, et tout serait fini. Pas besoin de faire tout un bordel, Largo n’aurait pas aimé. Simon était le dernier. Et juste avant de se relever, il souffla :

- Je veillerai sur elle, je te le promets.

Puis, il rejoignit Joy et Kerensky. Elle, n’allait pas bien, alors que Kerensky accusait mieux le choc. Il avait mal, et il avait d’ailleurs pleuré, en silence, seul, lorsqu’il avait senti que tout allait mal. Simon, pleurait aussi, mais le plus douloureux, c’était que Joy n’avait pas tenu sa promesse : elle ne disait plus rien, elle n’envoyait pas Simon ou Kerensky balader, même quand ils lui tendaient des perches longues comme la muraille de Chine. Elle se contentait de se plonger dans son travail pour oublier et pour s’occuper l’esprit. La plupart du temps, Kerensky la renvoyait chez elle, mais elle passait ses nuits dans des bars miteux à se saouler ou chez elle à pleurer, seule. Elle avait essayé de leur expliquer ce qu’elle ressentait, mais n’y était pas arrivée, et elle voyait que ça leur faisait du mal. Mais elle ne voulait plus souffrir.

Et puis un jour, Simon, Joy et Kerensky avaient décidé de reprendre les recherches, seuls. Mais ces recherches ne menaient à rien. Ils avaient tout mis en œuvre pour retrouver Largo, mais rien n’y faisait.

Aussi, quand Joy passa la porte ce matin-là, elle demanda d’un ton sans espoir :

- Alors ?

Les regards de Simon et Georgi étaient plus explicites que des paroles. Elle soupira, et s’assit sur le premier fauteuil qu’elle vit.

- Joy… Ça va ? demanda le Suisse.
- Aussi bien que toi, Simon. C’est à dire mal. Mais c’est pas grave, je préfère que nous continuions à faire comme si tout allait bien, c’est mieux…
- Joy… soupira Kerensky. Pour nous aussi c’est dur… S’il te plaît ! Aide-nous, dis-nous ce qui ne va pas !
- Oh et puis MERDE ! explosa-t-elle finalement. Ça ne sert à rien de faire comme si tout allait bien ! Il est mort ! Vous entendez ?! Et nos recherches ne le feront pas revenir !
- Mais si ça se trouve, il est en vie, et il n’attend que ça ! Qu’on le retrouve !
- Non Simon ! Tu te rattaches à cette idée parce que tu n’as aucun autre moyen de t’en sortir ! IL EST MORT Simon ! Et rien de ce que tu diras ou feras ne changera ça ! Tu ne fais que le maintenir en vie ! Il ne reviendra pas d’un coup de baguette magique ! Il ne reviendra pas… se radoucit-elle. Il est mort… Et c’est ma faute…
- Mais qu’est-ce que tu racontes ? demanda Kerensky, interloqué.
- J’aurai dû vérifier l’avion en approfondissant les recherches, je… J’aurai dû l’obliger à m’accepter comme accompagnatrice, j’aurai dû…

En effet, si Joy et Simon n'avaient pas accompagné Largo et Cardignac durant leur voyage d'affaire, c'était parce ils devaient impérativement assurer la sécurité de John Sullivan dans un contrat avec des pays du Moyen Orient, contrat à l’occasion duquel des menaces précises avaient été adressées à l’encontre de John. Et comme Joy venait de s’engueuler une fois de plus avec son cher patron, elle et Simon étaient donc restés à New York, laissant Largo s’envoler tout seul comme un grand. Et ils ne devaient rejoindre Largo que deux jours plus tard, une fois le dossier de John réglé ; ne devant pas y avoir de problèmes durant le vol…

- Mais qu’est-ce que tu aurais fait ? Hein ?
- Je sais pas…

Elle attendit quelques instants, et elle reprit :

- Si on me donnait une deuxième chance, je la saisirais, je vous jure… Rien ne serait pareil…

Ni Kerensky ni Simon ne savaient si elle parlait de sa relation avec Largo ou de son comportement de garde du corps…

- J’aurai dû être là, j’aurai dû le retenir, j’aurai pu l’aider… continua-t-elle en commençant à pleurer. J’aurai dû faire tout ça… Je suis désolée… Pardonnez-moi…
- Attends, mais tu nages en plein délire, là !? s’énerva Simon. Tu veux qu’on te pardonne ? Mais y’a même pas à poser la question : ce n’est pas ta faute ! Personne n’aurait pu le retenir ! Tu entends ? Personne ! Même pas toi ! Il n’en faisait qu’à sa tête ! Et si tu l’avais suivi, tu serais morte à l’heure qu’il est ! C’est ça que tu veux ?

Elle ne répondit pas. Simon et Kerensky eurent peur de comprendre :

- Attends… Tu veux quand même pas mourir ?
- J’en sais rien Georgi. Donne-moi une bonne raison de rester en vie…
- NOUS !! Nous Joy ! Si tu disparais, comment on fait nous, pour tenir ? Je t’en prie Joy, ne fais pas ça… implora Simon en la prenant dans ses bras. On t’aime, même Kerensky ne veut pas que tu fasses ça ! On t’aime tous, alors je t’en prie, ne fais pas ça, ne nous abandonne pas. Fais-le pour nous si tu ne le fais pas pour lui. Largo voudrait que tu restes. S’il te plaît. Garde l’espoir qu’il soit en vie.
- D’accord… souffla-t-elle

Puis elle partit en claquant la porte du Bunker.

- Georgi… j’ai peur…
- Non, t’inquiète pas, elle ne va pas le faire…
- J’espère que t’as raison…

Elle poussa la porte du Penthouse. Penthouse où personne n’avait mis les pieds depuis l’annonce de l’enterrement du milliardaire. Elle regarda tout autour d’elle. Rien n’avait changé, à part ces atroces nausées le matin, cette fatigue générale, et cette mort qu’elle refusait d’accepter. Joy se dirigea vers la chambre de Largo. Les draps n’avaient pas encore été changés, et son odeur régnait partout. Elle se sentait rassurée dans ce lieu maintenant si paisible. Le lit était fait, pour une fois ! Elle s’en approcha, et se glissa sous la couette, s’enivrant du parfum de Largo, resté incrusté dans les draps. Elle soupira, se souvenant de tous ses réveils dans cette chambre, durant les trois semaines qu’avait duré leur relation, après son accident à Montréal. Et cette autre nuit… Se réveiller dans ses bras lui avait semblé normal, et elle s’en voulait d’avoir eu peur de continuer sa relation avec Largo. Parce qu’elle savait que si c’était à refaire, elle agirait différemment. Mais on ne vit pas dans le passé. La fatigue accumulée, le sentiment de bien-être, et la tension eurent bientôt raison d’elle, si bien qu’elle s’endormit rapidement.

Simon entra dans le Penthouse, se doutant que son amie devait y être. Non pas qu’il n’avait pas cru le Russe, mais il voulait discuter avec Joy. Savoir comment elle vivait tout ça, et si elle avait besoin de parler. Mais lorsqu’il la vit assoupie, il fit demi-tour, plutôt content qu’elle dorme enfin.

- Alors ? demanda le Russe lorsque Simon passa la porte.
- Elle dort.
- Où ?
- Dans le lit de Largo. C’est bien. J’ai préféré la laisser dormir, pour une fois qu’elle y arrive…

Les recherches continuèrent toute la journée. Joy était redescendue au Bunker, pour s’excuser de son comportement, mais Simon et Georgi lui dirent que c’était normal qu’elle craque à un moment. Elle avait beau avoir dormi, elle était vraiment très pâle.

- Joy… Tu es sûre que tu te sens bien ? demanda finalement Simon.
- Non… Je…

Elle ne put terminer sa phrase, déjà elle s’évanouissait, tombant dans les bras du Russe.

- JOY !
- Appelle une ambulance, Simon !

*

Les bips retentissaient dans toute la chambre. Ça lui faisait un mal de crâne atroce. La garde du corps ouvrit difficilement les yeux, mais les referma lorsqu’elle vit Simon et Georgi. Ce n’était pas un rêve. Largo était toujours mort, et elle était visiblement malade, à voir leur tête :

- Qu’est-ce que j’ai ? prononça-t-elle finalement
- Tu… Tu… Tu es…

Les mots moururent dans la bouche de Simon. Kerensky reprit le flambeau :

- Tu es enceinte, Joy.
- QUOI ????????
- Tu attends un bébé ! réitéra le Russe
- Mais… C’est pas possible…
- Tu ne t’en étais pas rendu compte ?
- Georgi, avec tous les évènements… J’ai pas trop pensé à ça…
- Et on connaît le père ? finit par demander Simon, une pointe de rancœur dans la voix.

Joy baissa les yeux.

- Oui.
- C’est qui ? Il est du Groupe ? Et pourquoi tu ne nous l’as pas présenté ? Comment il s’appelle ? explosa Simon, déçu d’avoir été écarté de la vie de Joy, et surtout déçu de constater qu’elle ait pu faire des folies de son corps alors que Largo venait de mourir.
- C’est Largo, répondit-elle calmement, tout en fixant désespérément le sol.
- QUOI ?? demandèrent les deux autres à l’unisson
- Mais… commença Simon. Co… Comment ?
- Simon, je ne vais pas t’apprendre comment on fait les bébés
- Joy !
- D’accord… Simon tu te souviens il y a un peu plus de trois mois, le soir où je vous ai accompagnés en boîte ?
- Ah ouais ! Je me souviens surtout de ton état ! Je ne t’avais jamais vue comme ça !
- Et celui de Largo, tu t’en souviens ?
- Il était pire que toi !
- A la fin de la soirée, je l’ai raccompagné, comme d’habitude… Et quand on est arrivés devant la porte de son appart’, ben il a été un peu… disons entreprenant. Comme j’étais ivre, j’ai pas vraiment résisté, et… Ben voilà, j’ai pas besoin de vous faire un dessin !
- Mais… Vous étiez ensemble ?
- Non. Le lendemain, je suis partie. Il a bien essayé de me retenir, mais… J’ai été un peu… distante, et je ne l’ai pas laissé en placer une. Et deux semaines plus tard…
- Ok…
- Qu’est-ce que je fais ? demanda-t-elle. Je le garde ou pas ? C’est la seule chose que Largo nous laisse, on ne peut pas la rejeter !
- Ce n’est pas à nous de prendre la décision, Joy, répondit Kerensky.
- Qu’est-ce que vous feriez, à ma place ?
- On ne sera jamais à ta place !
- Merci de ton aide, Simon !
- Non, c’est bon, te fâche pas ! Moi, je le garderai.
- Mais… Et mon travail ? Et puis… J’ai pas de frère ni de sœur, je sais pas m’occuper d’un bébé ! Comment je vais faire !?
- Tu apprendras sur le tas, ne t’inquiète pas ! Et puis, Georgi et moi, on t’aidera. Et tu as raison, c’est la seule chose qui nous restera de Largo. La seule chose qui ne sera pas matérielle, je veux dire… On ne peut se souvenir de lui que grâce à des photos, au Groupe. Alors que là, ce sera une partie de lui, vous comprenez ? Quant au travail… Sullivan et Largo, c’est franchement pas la même chose, et je suis sûr qu’il sera très content, et… Merde !
- Quoi ? s’écria Joy
- C’est l’enfant de Largo ? T’es sûre ?
- Simon… Je ne couche pas avec des types différents tous les soirs, moi !
- Mais alors… Joy ! Tu n’as pas qu’un enfant !
- Je vais pas accoucher d’un chat quand même !?
- Non, évidemment ! Mais Joy, si tu es enceinte de l’enfant de Largo, tu es enceinte d’un héritier ! De l’héritier du Groupe W !

Un moment de stupeur générale.

- Oh non… lâcha finalement Joy. Comme si c’était pas terrible, déjà…
- Là je crois que ça devient important…
- Joy… commença Kerensky. Garde-le. On… On n’a pas le droit de faire ça à Largo. Il en aurait voulu de ce bébé. Alors garde-le. Pour lui.
- Mais… Et la Commission ?
- Tu pourrais accoucher sous le nom de Arden ? Le petit grandit sous ce nom, et ce n’est qu’au jour de sa majorité qu’il ou elle deviendra Winch.
- Ça ressemble au comportement de Nério…
- Oui… Sauf que toi, tu l’élèveras sans lui cacher la réalité ! Enfin… Comme tu veux. Après tout, c’est ton enfant ! expliqua Simon.
- Ouais… Laissez-moi juste le temps d’y réfléchir…
- C’est à toi de décider…
- Merci les gars. Vous m’aidez vraiment.
- Allez, on te laisse te reposer princesse !
- Repose-toi bien Joy !

Mais au moment de tourner la poignée, Simon se retourna :

- Quoi que tu décides, Joy… On sera toujours là pour toi.
- Je sais.

Puis ils partirent.

Joy se sentait bizarre. Quelque chose grandissait en elle. Une partie de Lui. Finalement, elle ne l’avait pas tout à fait perdu !


A des milliers de kilomètres de là, Largo Winch, loin de s’imaginer qu’il allait être père, se battait contre Cardignac, qui ne voulait pas faire la pêche, et qui préférait faire le feu.

- Et pourquoi vous n’iriez pas pêcher, vous ? s’énerva Cardignac
- Parce que vous êtes incapable de faire un feu correctement ! répliqua le milliardaire. La dernière fois, vous avez failli foutre le feu à l’île, et je ne referai pas la même erreur ! Alors Michel, vous allez me prendre ce harpon fait maison, et me ramener ces poissons si vous voulez manger ! Sinon je vous jure que je vous noie dans les trente centimètres d’eau du bord de la plage, et que je donne vos restes aux requins !

Sachant que son patron était sur les nerfs, et qu’il pourrait en être capable, le président de la Winch Air obtempéra. Lorsqu'il fut parti, Largo souffla. Il n’en pouvait plus de rester avec ce dingue. Les deux mois qui venaient de passer avaient été terribles, et Largo désespérait de plus en plus chaque jour d’être retrouvé. Tous les soirs, il repensait à sa vie à New York. Ses amis l’avaient-ils oublié ? Non. Définitivement non. Et comment vivaient-ils son absence ? Comment allait Kerensky ? Sûrement froid et plus distant qu’à l’accoutumée. Et Simon ? Ça devait être dur pour lui… Vraiment très dur. Il espérait au fond de lui que son meilleur ami n’ait pas fait de bêtises. Et Joy ? Sa Joy ? Comment allait-elle ? Pour elle aussi, ça ne devait pas être facile. Elle devait être inapprochable, braquée, froide, malheureuse, et il ne pouvait s’empêcher de penser que c’était sa faute. Et surtout : étaient-ils restés au Groupe, ou avaient-ils abandonné, préférant tourner une page de ce passé qui était devenu plus que douloureux ?


Un nouveau mois passa. Joy continuait son travail, gérant sa grossesse. Car elle avait décidé de garder le bébé, après avoir longuement réfléchi, et pesé le pour et le contre. Et le pour l’emportait de loin. Et Simon, Kerensky et Sullivan – qui avait été mis au courant – la soutenaient, et l’aidaient à ne pas stresser, et à gérer le tout. Finalement, ils avaient abandonné les recherches, après avoir réfléchi à ce que Joy leur avait dit. Elle avait raison. La jeune femme s’ouvrait un peu plus chaque jour et, les hormones aidant, lui permettaient d'exprimer ce qu’elle ressentait. Simon recommençait à sortir avec des filles, mais il se posait plus. La vie était redevenue la même depuis quelques semaines, à la différence près qu’une espèce de lueur de tristesse et de mélancolie restait obstinément dans les yeux des membres restant de l’Intel Unit. Et à la différence près que Largo n’était plus là, avec eux.

Joy était montée sur la terrasse, et était assise, adossée au mur de l’appartement du père de son enfant. Son ventre plutôt gros l’empêchait de ramener ses genoux complètement. Et elle fixait les étoiles, espérant secrètement que la personne qu’elle aimait y soit. Ou mieux, que cette personne les admire en même temps qu’elle.

Et justement, cette personne observait les étoiles, tous les soirs, en imaginant sa garde du corps faire de même sur la terrasse de son appart’. Il pouvait revoir ses traits, encore nets, dans sa tête. Il repensait à tous les bons moments qu’il avait passé avec son équipe, sa deuxième famille. Et surtout à l’erreur qu’il avait faite avec Joy. Non pas qu’il regrettait d’avoir couché avec elle, non. Loin de lui cette idée. Non. Ce qu’il regrettait, c’était de l’avoir laissée s’échapper. De ne pas l’avoir empêchée de fuir, de ne pas avoir trouvé les arguments suffisamment convaincants pour qu’elle reste avec lui pour ne plus partir. Et sans s’en rendre compte, il lâcha :

- J’aurai dû l’en empêcher.
- Qu’est-ce que vous dites ? demanda Cardignac

Au bout de deux mois, les deux anciens ennemis avaient fini par faire connaissance, et à… Oui, on peut dire qu’ils commençaient à s’apprécier. Non, ce n’était pas non plus la grande amitié, mais Largo avait expliqué à Cardignac qu’ils allaient manifestement vivre ensemble encore longtemps. Et s’ils voulaient survivre… Il valait mieux qu’ils ne s’entretuent pas. Car il y avait encore une chance, si infime soit-elle, que l’Intel Unit les trouve. Et au fur et à mesure, de fil en aiguille, Largo avait commencé à se livrer un peu à Cardignac, qui lui aussi s’y mettait. C’est ainsi que l’héritier Winch avait appris que le père de Cardignac était un fichu enfoiré qui avait abandonné sa mère, et Largo en avait conclu que le fils ne voulait pas être comme le père. Finalement, c’était un peu comme lui.

- J’aurai dû l’empêcher de fuir.
- Qui ?
- Joy.
- Arden ? Mais je ne comprends pas pourquoi vous dites ça.
- On a passé une nuit ensemble, deux semaines avant l’accident.
- Ah. Ça ne m’étonne pas. Et ça fait combien de temps que vous êtes avec elle ?

Largo eut un sourire ironique.

- Jamais. Enfin si ! Trois semaines, mais vous étiez au courant.
- Et ça ne me réjouissait pas.
- Vous ne la connaissez pas. Cette fille, c’est… C’est… Une fille géniale ! Cette nuit avec elle, c’était… Wouah ! J’avais jamais ressenti ça !
- Sauf pendant ces trois semaines…
- Non. Elle n’était pas prête, et je l’ai respecté. Mais là…
- Qu’est-ce qui vous disait qu’elle était prête ?
- Je n’aurais jamais cru que je vous raconterai ça un jour, mais… Disons qu’on était ivres, que je l’ai clairement draguée, que je sais parfaitement que je ne lui suis pas indifférent, malgré le fait qu’elle essaie de le cacher, et qu’on a couché ensemble. Et le lendemain, et elle est partie. J’ai un peu essayé de l’en empêcher, mais elle m’a explicitement fait comprendre qu’elle estimait cette nuit comme une erreur. Et ensuite, elle est repassé en mode professionnel. Ce mode qui en avait pris un sacré coup. J’ai essayé d’en reparler avec elle, mais elle s’est braquée, et a fait comme si rien ne s’était passé. Et je n’ai rien fait. Si vous saviez à quel point je m’en veux !
- Vous l’aimez, n’est-ce pas ?
- Oui. Mais si elle est partie, c’est de ma faute. Je lui ai fait du mal, je comprends qu’elle n’ait pas apprécié, qu’elle ne me fasse pas confiance, et je suis prêt à lui donner tout le temps qu’il lui faudra. Mais bon… pour ça, il faudrait déjà qu’on nous retrouve.
- C’est sincère, hein ? Cet amour, pour elle…
- Vous avez déjà été amoureux ?

Cardignac inspira, et fixa les étoiles. Après tout, Largo s’était confié à lui, alors pourquoi lui ne le ferait pas ?

- Oui. Une fois. Mais… Ça c’est mal fini. Je… Les affaires ont toujours été une priorité pour moi. Il n’y a pas de place pour l’amour dans le business. C’est peut-être pour ça que j’ai toujours été… Disons mal aimable envers vous. Je pense que j’étais jaloux.
- Cela ressemblerait-il à une demande de pardon ? s’amusa Largo.
- Ne rêvez pas non plus !

Le jeune homme éclata de rire en entendant cette répartie. Une fois calmé, il soupira.

- Dites-moi, reprit Michel, quelle serait la première chose que vous feriez si nous réussissions à partir d’ici ?

Largo ne mit pas longtemps à réfléchir. En fait, il s’était souvent, très souvent, posé la question.

- Je lui dirais que je l’aime. Que je ne peux pas vivre sans elle. Et vous ?
- Je ne sais pas… Je crois que je commencerais par appeler ma mère…

Un ange passa… puis l’hilarité prit le dessus sur le silence, les laissant évacuer le stress accumulé durant ce mois passé en cohabitation.


Le cimetière était désertique. Normal, après tout. L’après-midi était sombre et le ciel ombragé semblait sur le point de se déchirer. Malgré cela, elle était là, devant cette tombe. Elle n’y avait plus mis les pieds depuis la cérémonie. Elle se sentait fébrile et détestait cette impression.

L’humidité lui glaçait les os, traversant son manteau gris. Elle serra ses bras autour d’elle dans le vain but de sentir un peu de chaleur. Peine perdue d’avance. Cet endroit était lugubre, tout inspirait la mort, la tristesse. Cette même tristesse qui la dévorait en ce moment.

Pourquoi être venue ici maintenant, 4 mois après ce stupide accident qui avait coûté la vie à l’homme qu’elle aimait plus que tout au monde ? Et dire qu’il ne le savait même pas. Ou peut-être que si, dans le fond. Petite consolation dérisoire. Elle fixa le marbre gris, suivant des yeux le contour des lettres qu’on y avait gravées.

Il voulait faire les bons choix

L’une des premières phrases qu’il lui avait adressées. Celle qui l’avait fait entrer dans son équipe, et dans son cœur par la même occasion.

Elle retint un haut-le-cœur. Seigneur, il lui manquait tant !

Elle avait parfois l’impression qu’il était là, à ses côtés, la soutenant dans les épreuves qu’elle traversait… L’impression d’une caresse timide sur sa joue, la manie qu’il avait de lui remettre délicatement une mèche en place. Geste empreint de tendresse que tant de fois, dans le silence de ses nuits, elle avait tenté d’interpréter. Elle caressa son ventre à travers son manteau qui laissait transparaître ses rondeurs maternelles. Enfin, elle se décida à parler :

- Bonjour, Largo.

Elle se mordit la lèvre inférieure.

- Je suis désolée de ne pas être venue avant, mais je… j’avais la trouille. En fait, je n’arrivais pas à accepter ta disparition, le fait que je ne te reverrai plus, sans doute. Tu vois, après tout ce temps, je nage encore dans l’incertitude. Il m’arrive de me demander si tu es encore vivant. Et dans ces moments-là, je me dis que si c’est le cas, tu as une endurance à toute épreuve. Vivre avec Cardignac ne doit pas être une partie de plaisir. J'espère que les pilotes peuvent t'aider à vivre avec ce dingue… Ou bien peut-être que tu es tout seul, que tu te demandes pourquoi nous t’avons abandonné, pourquoi nous ne te cherchons plus. Je crois… Je crois qu’ici, nous avons tous l’un après l’autre perdu l’espoir de te retrouver. Moi la première. Et si jamais nous avions l’immense chance de te retrouver, dans quel état nous le ferions…

Elle fit une courte pause.

- Nous avons vraiment essayé, Largo. Nous avons fait tout ce que nous pouvions, nous avons usé de tous les moyens mis à notre disposition. Et quand ils ne l’étaient pas, nous nous arrangions pour qu’ils le deviennent dans les plus brefs délais. C’est là que je me suis aperçu que je n’étais pas seule à avoir mal, à souffrir.

Elle laissa le silence planer.

- Sullivan a pris la tête du Groupe. Il fait du bon travail, comme toujours. Mais tu lui manques, comme à nous tous d’ailleurs. On se débrouille du mieux qu’on peut. Que dire de plus… la Commission est toujours aussi maligne. Heureusement, elle ne sait pas ce qui grandit dans mon ventre… Et toi, le sais-tu ?

Elle posa une main sur ce dernier.

- C’est un petit garçon, je l’ai su hier. Ton fils… Voilà un terme que j’avais tant espéré pouvoir appliquer un jour… Et maintenant que c’est fait… regarde où on en est… Tu es le premier à le savoir. Simon m’a un peu fait la tête, mais je sais qu’il me comprend.

Elle sourit au travers de ses larmes.

- Il va grandir sans son père. Mais je lui parlerai de toi, de notre histoire. On fait mieux, comme conte de fée, tu ne trouves pas ? Et qui sait, peut-être qu’un jour, tu reviendras et que nous vivrons heureux, tous les trois… ?

Joy secoua doucement la tête.

- Je te promets de ne jamais t’oublier, Largo Winch. Et où que tu sois, sache que je t’aimerai toujours.

Alors lentement, elle se détourna et partit, ses larmes se mélangeant à la pluie glacée qui commençait à tomber.

*

A peine rentrée dans le Bunker, Simon lui sauta dessus :

- Mais où étais-tu ?
- Partie voir son père, répondit-elle en désignant son ventre.
- Il le sait, alors ? intervint Kerensky.
- Oui.
- On peut savoir le sexe du petit être qui grandit dans ton ventre maintenant, ou môdame va nous faire patienter encore longtemps ? plaisanta Simon.
- Ce sera un héritier, les gars.
- Cool ! Un petit Winch ! Il sera beau et fort comme son père et sa mère, intelligent, borné, marrant, et mystérieux. Le mélange de vous deux, quoi !
- Et le petit bonhomme pointera le bout de son nez quand ? demanda Kerensky.
- Kerensky, tu es meilleur en maths, d’habitude ! se moqua Joy. Il naîtra au mois d’avril… Sauf s’il se décide avant… Ça ne dépend pas de moi !
- Et pour tes congés ?
- J’en ai discuté avec John, c’est prêt.
- Eh… Tu voudrais pas vivre au Penthouse, plutôt que de rester toute seule dans ton appart’ ? proposa Simon.
- Non.

La réponse de Joy avait été sèche, et rapide. Non, elle ne voulait pas y aller. Elle préférait rester seule avec son fils plutôt que d’être dans l’appartement que Largo n'occuperait plus jamais. Mais ça, Simon ne l’avait pas compris. Elle venait à peine de faire son deuil, que ça y était, il lui balançait cette proposition d’un coup !

- Pourquoi ? insista-t-il.
- Parce que vivre dans l’appartement d’un mort n’est pas vraiment ma tasse de thé. Et puis je ne suis pas sûre que Largo aurait apprécié que je squatte chez lui. Et je le comprends très bien. Et rassurez-vous, je viendrai vous voir tous les jours.
- Tu veux venir vivre à la maison ? proposa le Suisse.
- Non. Merci Simon, mais je me suis toujours débrouillée seule, alors ce n’est pas la peine de me couver. Tu seras un vrai tonton poule !
- Hé hé hé ! On l’aime déjà le pitchoune !
- Je sais. Je suis fatiguée… Je crois que je vais rentrer chez moi.
- Je te raccompagne.
- Non merci Georgi. Je préfère rentrer seule. Je ne suis pas handicapée, je suis juste enceinte ! Alors arrêtez un peu de me surprotéger ! Je suis une grande fille ! Bonne nuit les gars !
- Bonne nuit !

Elle sortit, et Simon se tourna vers le Russe :

- Tu crois qu’on la couve trop, toi ?
- Un peu quand même. Mais pas beaucoup…
- Tu crois qu’on sera des tontons poules ?
- Un peu quand même. Mais pas beaucoup…
- Tu te répètes, Georgi.
- Un peu quand même. Mais pas beaucoup…
- Tu m’écoutes au moins ?
- Un peu quand même. Mais pas beaucoup…
- Bon… Tu veux pas parler… ?
- T’es perspicace, c’est bien !


Largo n’en pouvait plus. Ses amis lui manquaient, Sullivan lui manquait, New York lui manquait, et il devait bien l’avouer, les requins du Groupe W lui manquaient aussi. Simon et ses blagues à deux balles, ses délires et les problèmes constants que les filles lui attiraient, Kerensky et sa froideur, son cynisme, son visage qu’il faisait tout pour garder impassible, ses ordinateurs, ses piques avec Simon et Joy… Joy aussi. C’était peut-être ça le plus dur à supporter : ne pas pouvoir lui remettre sa mèche derrière l’oreille, ne pas l’entendre lui crier dessus parce qu’il avait « oublié » de la prévenir de sa sortie, sa jalousie maladive dès qu’il parlait de sa nouvelle copine et qu’il faisait semblant de ne pas voir, son regard noir, son beau visage, son style… Bizarrement, il se souvenait de tout. Tout sans exception. Tout ce qu’il savait d’elle, il s’en souvenait. Et il se demandait tous les soirs, tous les jours, ce qu’ils étaient devenus, s’imaginant leur vie.

Cardignac, non plus n’en pouvait plus. Sa mère lui manquait, le Groupe, et New York aussi. Mais il restait avec son patron sur une île qui, s’il avait été avec une Naïade, lui aurait semblé paradisiaque. Visiblement, l’héritier Winch le pensait aussi, et président de la Winch Air savait aussi avec quelle sirène son patron aurait aimé se scratcher sur cette île.
Ils en étaient au tutoiement, et s’étaient raconté leur vie. Finalement, dans tout malheur, il y avait un bonheur… ! Quoi que Largo aurait préféré autre chose…

- Je veux un steak.
- Quoi ? demanda un Michel à moitié endormi.
- Je veux un steak, avec des frites. Et un coca. Et plein de sauce qui dégouline et qui en fout partout quand on le met dans la bouche.
- Tu n’aurais pas mangé un truc pas frais, par hasard ? fit l’autre, méfiant.
- Mais non, le rassura Largo. C’est juste que j’en ai assez de manger du poisson et des fruits.

Il soupira.

- Désolé, j’ai oublié mes sacs d’épicerie à New York. Si tu me trouves un jet, je peux te ramener ce que tu veux en quelques heures… dit ironiquement Cardignac.

Son compagnon sourit.

- Je t’ai réveillé ?
- Oui.
- Oh… désolé.
- Bof, entendre les inepties d’un milliardaire au beau milieu de la nuit est devenu mon lot quotidien.
- Bonne nuit, Michel.


À New York, vint le temps de dévaliser les boutiques pour le petit bout de chou à venir. Même Kerensky sortit du Bunker pour se joindre à eux et faire les magasins. Joy, que les hormones chamboulaient, s’émouvait devant l’attention que lui portaient les deux hommes, de tout ce qu’ils faisaient pour qu’elle se sente le mieux possible. Ils ressemblaient tant à deux gamins qu’elle eut l’impression d’être déjà mère…

- Eh ! Regarde ça ! s’écria Simon en brandissant une espèce de costume de carotte. On le prend ?
- Il est hors de question que mon fils porte cette chose. Il aurait l’air d’un légume…
- Ce Suisse ne sait pas choisir les vêtements, dit le Russe. On n’a qu’à regarder les siens…
- Monsieur " je m’habille en noir 365 jours par an ", je te ferais remarquer que c’est toi qui as voulu lui acheter un ordinateur portable ! se récrimina la pauvre victime.
- T’as quelque chose contre mes choix ? demanda Kerensky tout en s’avançant dangereusement vers Simon.
- Ça se pourrait, répliqua celui-ci.
- Hé ! Ça suffit ! les arrêta Joy en se mettant entre eux. Vous n’allez quand même pas vous battre !

Les deux hommes affichèrent une moue boudeuse mais résignée qui la fit éclater de rire. Elle les prit tous les deux par les avant-bras.

- Venez, il faut encore acheter un berceau.
- T’as pensé aux couches ? s’enquit Simon.
- Oui, depuis longtemps. Malheureusement, ils n’en font pas à votre taille…


Lendemain matin

Notre chef de la sécurité préféré avait pris l’habitude de se lever tôt pour déjeuner avec Joy. A 8 heures, il pénétra dans l’appartement de son amie, armé d’un sourire éclatant et d’un sac de croissants encore chauds. Il lâcha ce dernier lorsqu’il découvrit la future maman assise sur un fauteuil, l'air un peu secoué. Il se précipita et s’agenouilla devant elle.

- Qu’est-ce qui se passe, ma belle ?

Contre tout attente, elle sourit. Elle lui prit la main et la posa sur son ventre. Surpris par son geste, il perçut à peine un premier mouvement venant du ventre de la jeune femme. Plus attentif, il se concentra et sentit bien le deuxième.

- Eh bah ça alors ! fut tout ce qu’il trouva à dire, émerveillé.

Il écouta pendant quelques minutes les premières petites répercussions de l’enfant puis leva la tête vers Joy.

- Quel effet ça fait ?
- C’est… (Il y eut un autre coup, plus fort que les précédents) Wow !

Il éclata de rire.

- En tout cas, ce sera un sacré bonhomme. Il s'entraîne déjà à botter les fesses de la Commission.
- Simon, dit-elle après un silence.
- Oui ? fit-il, encore attentif à ce qui se passait dans le ventre qui lui faisait face.
- J’ai peur.

Il soupira.

- Nous le savons.
- Et si la Commission venait à découvrir la vérité ? Elle tenterait de m’enlever mon bébé… Je ne veux pas le perdre, Simon. C’est tout ce qui me reste de Largo et je l’aime tellement…

Il la prit dans ses bras, la berçant tendrement.

- T’inquiète, tant que tonton Georgi et moi serons là, tu n’auras rien à craindre. On ne les laissera pas vous faire du mal, je te le promets. Tu as confiance en nous ?

Elle acquiesça et il se leva, l’entraînant avec lui.

- Allez, viens. Ce petit monstre a besoin de manger et toi aussi. Assieds-toi, je téléphone à Kerensky, il nous rejoindra sûrement.

L’ancienne garde du corps de Largo obéit tandis qu’il composait le numéro de leur ami. Les paroles de Simon l’avaient rassurée, certes, mais ses craintes n’étaient qu’endormies. Elles reviendraient.


Un mois plus tard.

- Tourne ! Wouah ! Petrouchka, tu es sublime ! Cette robe de grossesse te va à ravir…
- Merci Kerensky, ça a d'autant plus de valeur que ce compliment, – car c'est un compliment, n'est-ce pas ? – vient de toi !
- Quoi, tu dis que je ne fais pas assez de compliments ?

Les trois amis étaient au Bunker, Joy leur montrant sa nouvelle garde-robe, fraîchement achetée avec le Suisse, dans l'après-midi. Celui-ci était en train de filmer la scène à l'aide de sa toute nouvelle caméra couleur extra précise, haute technologie, et surtout extra-haut prix… Il avait dit à Joy et à Kerensky que c'était pour que le petit puisse voir la beauté de sa mère lorsqu'elle était enceinte de lui, mais au fond, c'était pour que, si jamais le père de cet enfant revenait un jour, il puisse voir comment était celle qu'il aimait.

- Nan, y'a pas à dire, Joy, la grossesse te va comme un gant. Pour un peu, j'aurais presque envie d'être comme toi ! commenta l'ex-voleur.
- Ah oui, et c'est quoi, ce " un peu " ?
- Les coups dans le ventre, les vomissements au début, les envies… Et l'accouchement !
- J'aime ta façon de rassurer les femmes, Simon…
- En tout cas, je suis étonné que les vêtements que tu as acheté soient aussi… Toi ! fit Kerensky.
- Pourquoi ? s'étonna-t-elle.
- Joy, tu ne te rends pas compte de l'exploit : tu as réussi à acheter des tenues autres que les horreurs que Simon ose appeler des " vêtements classe " !

Elle se mit à rire, tandis que l'intéressé faisait une moue on ne peut plus boudeuse.

- Puisque vous vous moquez de moi, je m'en vais voir Maria !
- Quoi, t'es pas vexé, au moins ? fit Joy, sans s'arrêter de rire. Au fait, c'est qui, Maria ?
- La nouvelle secrétaire de Buzetti. Elle est divine ! Et tu sais…
- Non et je ne veux pas savoir ! Ni mon fils, d'ailleurs ! Il est hors de question qu'il entende ce que tu prétends appeler des exploits. Je veux qu'il garde un minimum d'innocence avant de naître ! J'ai lu dans un bouquin que les bébés entendaient ce qui se passait en-dehors du ventre de leur mère…
- Tu ne vas pas croire ces salades, tout de même ? s'exclama Simon
- Ben… On ne sait jamais. J'aime bien le risque, mais j'ai mes limites !
- Vas-y, moque-toi ! Moque-toi ! Moi, je vais voir Maria ! Elle, elle me comprend.
- Allez, file !

Le Suisse déconnecta sa caméra, et partit après avoir tiré la langue, laissant Joy ranger ses paquets et s'apprêter à prendre elle aussi la porte.

- Tu veux que je te raccompagne ? proposa Kerensky.
- Ça ne te dérange pas ?
- Joy… Je n'ai que ça à faire, de toutes façons ! J'ai fait toutes les recherches pour le mois à venir…
- Waouh… En effet, tu dois t'ennuyer…
- Tu m'étonnes… Allez, donne-moi tous ces paquets ! Ah lala ! La fièvre acheteuse s'est emparée de toi !

Ils avancèrent jusqu'au parking, tout en continuant la conversation.

- Tu parles ! C'est Simon qui m'a fait acheter tout ce bazar !
- Et tu as réussi à avoir des trucs aussi bien ?
- Disons que mon Beretta lui a clairement fait comprendre qu'un porte-jarretelles ne serait pas le bienvenu si jamais l'idée lui traversait la tête…
- T'as encore ton Beretta sur toi ?
- J'ai toujours mon Beretta sur moi, Georgi. Enceinte ou pas enceinte.
- On ne perd pas les bonnes habitudes, à ce que je vois…
- Et c'est toi qui dis ça ? Au fait, j'aurais besoin de toi, pour la peinture de la chambre du bébé…
- Euh… On verra ça avec Simon, si tu veux bien, d'accord ?
- Tu aurais peur d'un pot de peinture ?
- Non. Pour qui tu me prends ?
- Alors tu remettrais la chambre de mon fils entre les mains de Simon ? Georgi, tu es guéri !
- Quoi ?
- Tu n'as plus Simon en horreur !

Il ouvrit la porte de la voiture, et fit entrer Joy, qui le remercia. Puis, assis à la place du conducteur, il continua :

- Joy… Ce n'est pas très prudent.
- De laisser Simon faire la peinture de la chambre ? Certes. Mais si tu es avec lui, y'a pas de danger ! Enfin, y'en a moins…
- Non. Je parlais du fait de rester seule chez toi. Avec un enfant.
- Comment ça ?
- Ne fais pas celle qui ne comprend rien, s'il te plaît. C'est très dangereux. Comme tu nous l'as dit plusieurs fois, tu as peur que la Commission soit au courant pour ton fils, et qu'il y ait des problèmes. Or, si tu restes seule chez toi, il y a de grandes chances pour qu'on ne puisse pas t'aider. Je sais qu'au début, tu ne voulais pas vivre chez Largo. C'était trop tôt, je le comprends très bien, mais c'est fini maintenant…
- Georgi…
- Et si tu veux le meilleur pour ton fils, continua le Russe sans tenir compte de l'intervention de Joy, alors viens vivre au Groupe. Simon y a un appartement, et je peux très bien déménager aussi, si tu veux. Tu auras un appartement pour toi, le plus grand, où tu pourras aménager la chambre de ton bébé… Et comme ça, si jamais il se réveille dans la nuit, ou qu'il y a un problème, nous pourrons intervenir plus rapidement. En plus il y a un ascenseur au Groupe, tu n'auras pas besoin de monter tous ces escaliers.
- Ça y est, t'as fini ?
- Joy… C'est très sérieux, ce que je dis là. Et si Largo était là, tu vivrais déjà chez lui, ou au Groupe.
- Oui mais Largo n'est plus là, répliqua-t-elle plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu. Georgi… Ecoute, je… Vivre chez Largo, c'est hors de question, je ne peux pas. Pas s'il n'est pas là pour être avec moi. Ce n'est même pas la peine d'y penser.
- Et pour l'appart' ?
- Georgi…
- Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour ton fils.
- Laisse-moi le temps d'y réfléchir. Je te donnerai ma réponse demain, quand je viendrai vous voir.
- Tu bouges trop…
- Kerensky, y'a des moments où tu es encore plus tonton poule que Simon, tu sais ?
- T'as pas un anti-déteinte ?

Elle secoua la tête de dépit. Puis elle se mordit la lèvre inférieure.

- Quoi ? s'inquiéta le Russe.
- J'ai envie de caramel, Georgi…
- De caramel ?

Elle se mordit une nouvelle fois la lèvre.

- Déjà des caprices de milliardaire… soupira-t-il. Un vrai gosse de capitaliste, hein !
- T'es un amour, Kerensky !
- Ouais… Un pigeon surtout… Où veux-tu que je trouve du caramel en plein milieu de la nuit, moi ?

Lorsqu'elle rentra chez elle, après avoir dévoré dans la voiture les caramels peu appétissants que Kerensky lui avait dégotés, elle tint promesse, et réfléchit à la proposition du Russe. Effectivement, vu comme ça, ça ne pouvait pas avoir que des mauvais côtés : être près de Simon et de Georgi, être sur le lieu de travail, donc plus près de Sullivan. Et aussi du Penthouse. Et c'était ça qui posait problème. Car elle n'était pas encore convaincue que l'homme qu'elle aimait était mort. Il y avait cette part d'elle qui refusait d'y croire. Cette part d'elle qui refuserait toujours d'y croire…

*

Trois mois plus tard

Joy avait finalement accepté l'idée de Kerensky. Elle en avait fait part à Simon et Sullivan, qui furent tous deux ravis que la jeune femme se soit résignée. Simon et Kerensky peignirent la chambre du petit, filmés par Joy quand elle ne les aidait pas, après avoir posé la caméra de façon à pouvoir garder ce souvenir. Suite à un mauvais mouvement en descendant de l’escabeau, Simon avait renversé le pot de peinture, lequel avait atterri sur la tête de Kerensky, énervant ce dernier encore davantage, ce qui ne paraissait pourtant pas raisonnable. Joy avait été obligée de jouer les arbitres, arbitre d’ailleurs peu objectif de l’avis de Simon, puisqu’elle avait pris le parti de Kerensky. Et c'est ainsi qu'au bout de trois longs jours pour les deux Européens, que la chambre du futur Mr. Winch fut peinte et aménagée comme pour un petit roi.

***

- Joy… gronda le Russe
- Quoi ?
- Tu oses me dire " Quoi ? " ?
- Ben… C'est ce que j'ai dit, non ?
- Tu devrais être chez toi à regarder des idioties à la télé pour passer le temps. Tu bouges trop ! Je te signale que tu es enceinte de huit mois !

La jeune femme leva les yeux au ciel.

- Tu t'en fais pour rien, Kerensky… Et puis il n'y a rien, à la télé ! S'il te plaît… Donne-moi un petit truc à faire… Un tout petit… Un simple dossier de moindre importance me suffirait…
- Le médecin a été clair, Joy. Pas de surmenage.
- A ça, c'est sûr, avec Simon et toi collés à moi, je ne ferai pas de surmenage ! C'est à peine si je peux sortir de mon lit !
- Si j'avais été là, tu n'en serais pas sortie…
- J'en ai marre !
- De quoi ?
- De ne pas pouvoir bouger ! De ne pas pouvoir sortir ! De ne pas pouvoir me défouler en m'entraînant à tirer ! De ne pas pouvoir donner des coups de pieds à mon sac d'entraînement ! De me sentir grosse comme une baleine ! Et de ne pas pouvoir participer à des trucs d'action ! Ça me manque, Kerensky ! Tu n'imagines même pas à quel point ce genre de truc me manque ! J'en ai marre !

Voilà. C'était sorti. Il fallait que ça sorte. L'ex-agent du KGB se tourna vers la future maman, et lui sourit.

- Tu n'es pas grosse comme une baleine, Joy… Et c'est bientôt fini… Dans moins d'un mois, tu es libérée.
- Ouais, c'est pas toi qui te reçois les coups dans le ventre et qui as envie d'huîtres alors que ce n'est plus du tout la saison…
- Quoi, t'as plus envie de caramel ?
- Non.

Le téléphone sonna, et Kerensky décrocha. Son visage laissa l'étonnement se dessiner. Il pesta, s'énerva contre son pauvre interlocuteur, puis il raccrocha, et se tourna vers son ordinateur.

- Qu'est-ce qui se passe ?
- Rien d'important. Tu ferais mieux de rentrer chez toi pour te reposer, Joy.
- Je répète ma question : qu'est-ce qui se passe ?
- Je répète ma réponse : rien d'important.
- Georgi Kerensky, tu vas répondre immédiatement à ma question, ou je te jure que je vais m'énerver…

Kerensky soupira. Elle ne le laisserait pas s'en sortir comme ça. Il retira ses lunettes, et les posa sur le bureau. Et d'une voix très calme, il répondit :

- Sullivan et Simon sont pris en otage dans la salle du conseil.
- Quoi ? Et c'est ce que tu appelles " rien d'important " ? Il faut quoi pour que ce soit important ? Que le Groupe W explose ?
- Je ne voulais pas t'inquiéter…
- Et ben c'est râpé !

Elle soupira.

- Qui est-ce ? Comment est-il entré ? Et pourquoi ?
- Je te vois venir, Joy. Hors de question qu'on te balance là-dedans, Miss CIA. Tu es en congé maternité, et tu n'es même pas censée être là…
- Tu n'avais qu'à pas m'obliger à venir vivre ici. Ça t'apprendra. Alors ? Qui est-ce ?

Il soupira. La connaissant, lui interdire d'intervenir, c'était promis avec moins de résultats que de s'adresser à un mur. Aussi, Kerensky se résigna.

- Caroline Harris.
- Harris ? Comme Denis Harris, l'un des pilotes mort en même temps que Largo ?
- Sa fille.
- Mais… Pourquoi tiendrait-elle en otage Simon et Sullivan ? Après huit mois ?
- Je n'aurai qu'à lui demander !
- Pas question. Toi, tu restes ici. J'y vais, et je vais discuter avec elle.
- Pardon ? J'ai mal entendu, je crois.
- Non. J'y vais, tu restes ici, et tu appelles les flics.
- Joy…
- On reste en contact, imposa-t-elle en attrapant des micros.
- JOY !

Mais la porte était déjà fermée. Il essaya de suivre Joy, mais déjà les portes de l'ascenseur se refermaient, emmenant son amie au 60° étage. Il jura mais attendit quand même, sachant pertinemment qu'il n'irait pas plus vite en prenant les escaliers. En attendant, il appela la police

Arrivée à destination, Joy s'avança avec le plus d'assurance possible vers la salle du conseil. Elle ouvrit la porte, et se retrouva en face de Simon et Sullivan, tenus en joue par une jeune fille blonde, en larmes. Elle ne devait pas avoir plus de 17 ans.

- Ecoutez Melle Harris, je ne comprends pas pourquoi vous faites cela… tentait Simon.
- Pourquoi ? s'énerva la jeune fille. Parce que ma mère vient de se suicider ! Elle ne supportait pas la mort de mon père ! Elle en a fini ! Et c'est votre faute ! C'est la faute au Groupe W si mon père a pris l'avion ! Je vous déteste !
- Moi aussi je le déteste, ce Groupe… intervint Joy.

Trois têtes se tournèrent vers la future maman.

- Lui aussi il m'a retiré quelqu'un que j'aime, répéta celle-ci.
- Non. Vous mentez ! Ils ont tué mon père !
- Et moi il a tué l'homme que j'aime. Ne faites pas ça, Caroline. Vous êtes encore jeune. Vous avez toute la vie devant vous. Votre père n'aurait pas voulu ça, vous savez. Votre mère non plus.
- Je ne sais pas, ils sont morts avant de pouvoir me répondre…
- Qu'est-ce que vous voulez ?
- Qu'ils paient…
- Croyez-moi ils ont suffisamment payé…
- Je ne parlais pas d'argent…
- Moi non plus.
- Alors ils n'ont pas pu payer…
- Vous connaissez Largo Winch ?
- Qui ne le connaît pas ?! C'était le patron de mon père. Il est mort, lui aussi.
- Vous reconnaissez cet homme ? demanda-t-elle en désignant Simon.
- Non.
- C'était son meilleur ami avant l'accident. Et John Sullivan ici présent, c'était un peu le père spirituel de Largo. Vous voyez, dans cette histoire, vous n'êtes pas la seule à avoir souffert.
- Vous mentez…
- J'en ai l'air ? J'ai l'air d'une personne qui ment ?
- Vous voulez les sauver ! Vous seriez prête à tout pour les sauver !
- En effet, je veux les sauver. Mais je veux aussi vous sauver…
- Oh non, vous n'allez tout de même pas me sortir l'histoire de la brebis égarée ?
- Je ne crois pas en Dieu, alors ça risque pas ! Ecoutez… Je comprends votre douleur. On l'a tous ressentie lorsqu'il y a eu cet accident. Et je suis sincèrement désolée pour votre mère… Mais que voulez-vous que nous fassions ? demanda-t-elle en s'approchant doucement de Caroline. Si ça ne tenait qu'à nous, rien de tout ça ne se serait passé : vous vivriez avec votre père et votre mère, heureuse, et moi je crierais sur Largo pour son irresponsabilité parce qu'il est sorti avec Simon la veille sans m'avoir prévenue. Mais avec des " si " Caroline, on referait le monde. Ce qui est fait est fait. On ne peut pas revenir là-dessus. Alors lâchez cette arme, s'il vous plaît. Ce serait bête qu'il y ait des problèmes. Et je suis sûre que vous ne voulez faire de mal à personne…

Les pleurs de la jeune fille redoublèrent d'intensité, et, peu à peu, elle baissa son arme et desserra petit à petit ses doigts de la crosse. Joy lui prit l'arme des mains, et la lança à Kerensky arrivé entre-temps. Puis elle s'approcha de Caroline, et la prit dans ses bras, en la berçant.

- Je ne voulais pas… Je vous jure… Je l'aimais, ma mère… Et mon père… Je n'en peux plus… Je vous en prie… Je suis désolée…
- Chut… C'est pas grave. Je comprends…

Puis elle fit signe aux autres qu'elle commençait à fatiguer, c'est pourquoi Simon se rapprocha pour prendre l'orpheline dans ses bras, l'accompagner pour la prendre un peu en charge, et discuter avec elle, mais Sullivan le devança, et d'un regard désigna Joy, faisant comprendre au Suisse qu'il valait mieux qu'il reste avec elle. Une fois Sullivan et Caroline partis, Simon et Kerensky se tournèrent vers Joy, la dévisageant.

- Ça va ? demanda Simon
- Oui pourquoi ?
- Tu es toute pâle…
- Ce n'est rien. Je suis fatiguée, c'est tout…
- Tu devrais aller te coucher, Joy. Tu dois être épuisée…
- Je t'avais pourtant dit de rester au Bunker, lui reprocha Kerensky.
- C'est bon, je rentre à mon appartement, vous avez gagné…

Simon sortit sa mini-caméra de sa poche.

- Répète ça, il faut marquer ce jour une pierre blanche, Kerensky !
- Oh ça va ! C'est pas drôle.
- Joy… Tu trembles.
- Ah bon ?
- Allez, viens, on te raccompagne, et tu vas te coucher…
- Ça va aller.
- Et pas de discussion. Tu m'as eu tout à l'heure, mais là, ça ne marchera pas.

Ils montèrent dans l'ascenseur, et appuyèrent sur l'étage où se trouvait l'appartement de Joy. C'est à dire trois étage en dessous.

Mais il y eut un petit problème. En effet, après une secousse, l'ascenseur refusa de descendre. Simon, Joy et Kerensky décidèrent d'attendre patiemment que la machine se décide pour continuer sa descente. Mais au bout de quelques minutes, Joy se plia de douleur. Sa main était posée sur son bas-ventre. Après un regard suppliant au Russe et au Suisse, elle souffla un " Oh non… Pas ça… ". Mais rien n'y fit, le travail avait bel et bien commencé…

- Je t’en supplie, dis-moi que ce n’est qu’une simulation, fit Simon en joignant ses mains en signe de prière.
- Joy, c’est vraiment hilarant, mais…
- Vous croyez que je m’amuse, espèce d’idiots !? s’écria la jeune femme, presque hystérique.

Le sol se mouilla quelque peu…

- C’est quoi, ça ?
- Je crois qu’elle ne blague pas, Simon, dit Kerensky en déglutissant difficilement, alors que leur amie se laissait glisser par terre.


Quelques étages plus haut.

Une petite foule était réunie devant les portes closes de l’ascenseur. Sullivan, passant par là en voulant chercher un papier important, se fraya un chemin entre les personnes et rejoignit Del Ferril et Buzetti qui bavardaient à voix basses.

- Wa
  Sujet: Comme une chatte en chaleur
Kazy

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MessageForum: Fan- Fictions (Francais)   Posté le: 07 Juil 2003 05:53 pm   Sujet: Comme une chatte en chaleur
[shadow=]Comme une chatte en chaleur…[/shadow]




Lundi

- Vous êtes sûr que c'est efficace, patron ? demanda Steve.
- Avec ça, mon petit Steve, toutes les filles de toutes les soirées vont être à tes pieds. Rassure-toi, il y en a pour tout le monde… Et comme c'est dans une boîte d'aspirine, tout le monde sera dupe !

Le patron tendit à Steve une boîte sur laquelle on pouvait lire en gros caractères ASPIRINE, et la mit dans la poche intérieure de son sbire.

Voilà ce qui s'était passé avant que l'Intel Unit ne vienne arrêter leur petit commerce. Ils n'étaient pas au courant du trafic des substances mais ils savaient pour de la contrebande d'armes, à travers une société d'import-export que le Groupe W venait de racheter. Chaque trafiquant (ils devaient être une bonne dizaine) avait été arrêté plus ou moins facilement.

- Tu vois, c'était pas la peine de faire tout un bordel, Joy ! plaisanta Simon. Surtout avec ton mal de crâne !
- Oh, c'est bon ! Je suis la garde du corps de Largo, je te rappelle ! Donc, que j'ai mal à la tête ou pas, je dois le suivre dans toutes ses lubies de milliardaire pourri gâté !

Elle assomma un gros bonhomme, et le fouilla, pour vérifier qu'il n'avait plus d'arme sur lui. C'est alors qu'elle tomba sur un paquet d'aspirine.

- Ça t'embête si je te pique ça ? lui demanda-t-elle, bien que se moquant de la réponse.
- Ben… Non, répondit Steve, ravi de voir ce que pouvait faire cette " pilule miracle ".

Elle ouvrit la boîte et se dirigea vers les flics, qui étaient arrivés depuis peu.

- Vous avez de l'eau ? demanda-t-elle à l'un d'eux
- Ouais, bougez pas.

Il fouilla dans la boîte à gants, et ressortit une bouteille d'eau. Après avoir remercié le policier, elle avala ce qu'elle prit pour une aspirine.

Une heure plus tard…

Largo, qui avait fini sa déposition, cherchait Simon et Joy du regard, pour rentrer chez lui, dans l'idée d'approfondir ses rapports avec un de ses contacts les plus fidèles : son lit. Car il était tout de même minuit, et la réunion qu’il avait eue plus tôt dans la journée avec Cardignac et Del Ferril en même temps l'avait pratiquement achevé. Il dût tirer la manche de Simon pour attirer son attention, portée sur deux charmantes femmes policiers en uniforme :

- Allez, viens, on y va, je suis crevé…
- Trop pour aller faire une petite virée en boîte ?
- Oh oui ! J'ai un conseil d'administration à 8 heures, demain. Tu ne sais pas où est Joy ?

Mais l'attention du Suisse s'était portée sur un tout autre spectacle.

- Simon ? demanda Largo, légèrement énervé.
- Largo, pince-moi je rêve !
- Quoi ?

Il tourna le regard dans la même direction que son meilleur ami, accessoirement chef de la sécurité, et il vit Joy, en train de draguer clairement un jeune policier d'à peine 20 ans…

- Euh… T'es sûr que c'est Joy ? demanda le milliardaire
- Ben… Même tête, mêmes fringues, même regard –quoique avec un peu plus de désir dans les yeux– , même démarche, même coupe… Ouais mon pote, à part le fait qu'elle est complètement décoincée et qu'elle a l'air en meilleur état que tout à l'heure, c'est elle…
- Wouahou…
- J'aurais jamais cru que Joy soit capable de ça…
- Oh que si, Simon, elle en est capable… murmura Largo pour lui-même.
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Hein ?
- Euh… Oui ! A mon avis, si, elle en est capable. D'ailleurs t'en as la preuve. Allez, viens, on va aller aider ce gars…
- Le pauvre a l'air terrorisé… On dirait qu'il a peur de se faire violer par elle…
- Qu'il essaie, tiens…

Aucun d'eux ne se rendit compte de l'imbécillité proférée par le pauvre Largo, déjà jaloux de voir que son ex-petite amie, qu'il considérait toujours comme sa dulcinée, et qui était accessoirement sa garde du corps, drague quelqu'un d'autre que lui. De toutes façons, ils étaient déjà partis pour aider le pauvre flic, qui devait être encore puceau… Mais cela est une autre histoire, que je n'ai pas envie de raconter, puisqu'elle ne vous intéresse pas, et que je ne la connais pas… Donc, ils allèrent l'aider, tirant Joy par le bras :

- Joy, gronda Largo, on doit y aller…

Aussitôt, la jeune femme ne prêta plus aucune attention au pauvre policier, qui partit en courant, espérant ne plus jamais revoir cette folle qui l'avait allumé…

- Voui… Fallait le dire tout de suite… Je vous attendais, moi !
- On voyait ça à la façon que tu avais de le déshabiller du regard…
- Non ! Même pas ! Et puis ça te va bien de dire ça, Simon ! T'en fais autant avec les filles !
- Oui, mais moi je ne prends pas cet air outré ! Je l'assume ! expliqua-t-il en se dirigeant vers la voiture.
- Et mon poing dans la figure, tu vas l'assumer ? s'énerva-t-elle.
- Eh ! Joy, si tu le tues, qui va préparer les sandwiches à chaque préparation de plan ?
- T'as de la chance de servir à ça, parce que sinon, je te jure que tu te serais mangé mon poing, Doudou… menaça-t-elle en s'installant à l'intérieur du véhicule.

Largo démarra, et s'engagea en dehors de l'entrepôt.

- Doudou ? interrogea Simon, interloqué. Arrête, ça me rappelle trois ex ! Complètement tarées ! Elle m'appelaient toujours " Doudou " ! J'te jure, au début, c'est marrant, c'est mignon, mais à la fin, ça saoule… J'les ai plantées… J'ai jamais plus eu de leurs nouvelles, et pour tout te dire, tant mieux… !

Mais déjà Joy n'écoutait plus, elle avait posé son regard sur le torse de Largo, qui avait du mal à se concentrer sur la route, gêné du regard intéressé que portait sur lui sa garde du corps.

- Joy… demanda-t-il, tu es sûre que ça va ?
- Voui… Dès que tu es là, Largo, tout va bien !

Simon et Largo échangèrent un regard, l'un hilare, et l'autre complètement troublé par le changement soudain d'attitude de leur amie… Mais il préféra s'abstenir de tout commentaire, et se força à focaliser toute sa concentration et son attention sur la route, tandis que Joy essayait de se reprendre, se rendant soudainement compte qu'elle était en train d'allumer son ex, qui plus est son patron, dont elle savait que ses sentiments pour lui étaient toujours présents et vice-versa… Sans comprendre ce qui lui arrivait, mais espérant que ce genre de chose ne recommencerait pas, le souvenir du projet Arctique encore trop présent dans sa tête à son goût, elle aussi s'obligea à observer la route avec le plus d'attention possible, comme si elle y cherchait la fameuse aiguille cachée dans la fameuse botte de foin… Quant à Simon, il ne comprenait pas trop ce qui prenait à Joy, mais il était ravi de voir la gêne de son pote : jamais il ne l'avait vu comme ça ! Comme s'il avait 15 ans !

Mardi

Le lendemain, Joy reprit une aspirine, son mal de tête revenant à la charge. Puis elle se rendit au Bunker, pour commencer son travail… Mais dès qu'elle rentra dans la salle secrète du troisième sous-sol, et qu'elle vit Kerensky penché sur l'écran de son ordinateur, elle ne put s'empêcher de remarquer qu'il était très séduisant, ses cheveux courts, le regard perdu dans le système qu'il devait tenter de pirater, et profondément absorbé dans sa tâche… Puis elle se rendit compte qu'elle était en train de parler de Georgi Kerensky, accessoirement ex-agent du KGB. Même si une certaine complicité les unissait - bien qu'elle ne l'aurait avouer pour rien au monde -, c'était un ennemi devenu ami. Mais là encore, jamais elle ne l'aurait avoué de son plein gré. Kerensky était certes devenu un ami, mais c'était avant tout un collègue. C'est-à-dire aussi : JAMAIS un amant. Elle secoua la tête, et remarqua que le regard du Russe avait quitté l'écran, pour se poser sur Joy.

- Quoi ? demanda-t-elle sur la défensive
- Joy… commença le Russe en réprimant sa surprise. Je sais que je mets la clim. dans le Bunker, mais bon… Si tu sors aujourd'hui, tu risques d'avoir froid…
- Pourquoi ? demanda la jeune femme, son ton visiblement radouci.
- Euh… Tu as vu comment tu es habillée ?

Elle baissa les yeux et se rendit compte de sa tenue : jupe noire, montant juste au-dessus des genoux, des talons aiguilles, et sa veste en jean rouge par-dessus un débardeur noir. Ils étaient au mois de février. Elle était d'ailleurs étonnée de porter des vêtements comme ça. Elle ne les avait gardés chez elle que parce qu'elle n'avait pas envie de les jeter, puisqu'ils lui avaient pas mal servi lors de missions pour la CIA.

- Et alors ?
- Et alors il fait -10° dehors, Joy…
- Ah bon ? s'étonna-t-elle.

Pour sa part, elle avait très chaud… Pour ne pas montrer la gêne monumentale qu'elle éprouvait à cet instant, elle s'installa sur sa chaise, et commença les recherches de la journée, en essayant de se concentrer sur son écran, puisque son regard déviait inéluctablement vers le génie de l'informatique.

A dix heures, Simon se décida à commencer le travail, c'est-à-dire entrer au Bunker. Mais lorsqu'il pénétra dans " l'antre de Kerensky " comme il aimait l'appeler il fut agréablement surpris de voir la tenue que Joy portait. Jamais il ne l'avait vue comme ça : depuis le début de l'hiver, elle portait des pulls à col roulé super gros et amples, et des chaussures fermées !

- Quoi ? s'énerva l'intéressée

Il ne s'était pas rendu compte qu'il la fixait depuis plusieurs secondes déjà, sans avoir prononcé un seul mot.

- Tu es magnifique, Joy… Vraiment sublime. Tu devrais porter ce genre de fringues plus souvent…

Elle ne répondit rien, et reporta son attention sur son écran, laissant le Suisse se calmer de lui-même. Mais au bout d'une heure, lasse de devoir supporter son ami qui la déshabillait du regard, elle se leva, attrapa le premier dossier qu'elle vit, et sortit en lançant :

- J'vais apporter ça à Largo.

Une fois sortie, Simon se tourna vers Kerensky :

- Qu'est-ce qui lui prend ?
- Je ne fais pas dans la psychologie féminine, moi !
- T'aurais été là hier, t'aurais vu comment elle l'allumait ce flic !! Je n'aurais jamais cru ça d'elle !! On dirait une chatte en chaleur !!
- Une chatte en chaleur… murmura Kerensky pour lui-même, sans que Simon ne puisse l'entendre

Joy frappa deux fois à la porte, mais n'obtint pas de réponse. Elle entra quand même, en claquant la porte. Largo, surpris releva la tête, puis un sourire éclaira son visage :

- Tu viens jouer au docteur ?

La garde du corps eut un sourire niais, mais, pour avoir confirmation de ce que lui proposait Largo, elle lui demanda :

- Quoi ?
- Je disais : " C'est toi ? Tu m'as fait peur ! "

Joy secoua la tête, effaçant par la même occasion son sourire… Elle était fatiguée, là. Mais alors très fatiguée…

- Euh… Oui… Désolée… Euh… Donc… Oui, tiens, Sullivan m'a demandé de t'apporter ce dossier. Donc… Voilà… J'ai du travail… Kerensky m'attend ! A plus…

Elle s’approcha de la porte à reculons, essayant vainement de cacher son trouble. Au moment où elle passait la porte, Largo l’appela :

- Oui ? répondit précipitamment Joy, voulant sortir de là au plus vite.
- Tu as un corps de rêve…
- Hein ?
- Vous avez fait une trêve ?
- Euh… Ben… Je… Oui, depuis longtemps. J'y vais, tu m'appelles si tu a envie de moi ! Besoin ! Besoin de moi ! Oui, si tu as besoin de moi… Tu m'appelles ! Je serais… En chaleur… Au Bunker ! se reprit-elle maladroitement.

Elle ferma la porte, laissant un Largo complètement largué, et se massa les tempes en soufflant, comme pour se réveiller. Oh les gaffes ! Jamais elle n'avait été comme ça ! Son mal de crâne revenait à la charge, et sa boîte d'aspirine était dans le Bunker. Donc pour avoir l'aspirine, il fallait aller au Bunker. Et si elle allait au Bunker, elle allait croiser Simon et Kerensky. Et si elle croisait Simon et Kerensky, elle allait devoir subir leurs regards… Enfin, surtout ceux de Simon. Mais, n'ayant pas le choix, elle y alla quand même.

Et pendant toute la semaine, Joy était " comme une chatte en chaleur " , puisque son mal de crâne persistait, et qu'elle finissait la boîte. Et pendant toute la semaine, elle dragua ouvertement Largo, et même certains agents de la sécurité. Mais elle se reprenait avant de commettre l'impardonnable : coucher avec l'un deux. Car là, son sacro-saint professionnalisme en prendrait un sacré coup. Elle avait fait toute une mise en scène pour essayer d'échapper à Largo, et cette espèce de… problème félin qui faisait qu'elle avait une envie irrépressible de faire l'amour avec le premier mâle plutôt bien foutu, Largo faisant bien évidemment partie d'eux, allait tout gâcher ! Elle évitait soigneusement de rester seule avec Largo, afin de ne pas sauter sur lui. Et elle avait réussi tout au long de la semaine, malgré quelques lapsus, qu'elle avait tenté de dissimuler ou de reprendre…

Samedi

- Joy, j'aurais besoin de ton aide, ce soir, tu peux venir ? proposa le milliardaire.

" ce soir ". Ça voudrait dire qu'ils seraient seuls. Tous les deux. Donc c'était risqué. Très risqué pour son professionnalisme. Donc la réponse devait être claire et définitive : " non ".

- Si tu veux.

Mais qu'est-ce qu'elle avait foutu ? Pourquoi avait-elle dit " si tu veux " ce qui, si elle n'avait pas perdu ses facultés mentales en même temps qu'elle avait gagné ses envies de sexe, revenait à dire oui. Mais c'était de sa faute, à lui aussi ! Pourquoi est-ce qu'il la regardait comme ça ?! Comment est-ce qu'il voulait qu'elle résiste à un regard aussi craquant que celui-là ?! Hein ?! D'ailleurs, elle n'avait plus trop envie de résister pour le moment… Elle s'apprêtait à se jeter sur lui, mais Simon entra à l'improviste, cassant comme à son habitude l'ambiance…

- Ah désolé je gêne ! Je vais boire un café !
- Non ! cria presque Joy en se levant du canapé où Largo et elle étaient assis à discuter. Faut que j'aille voir Georgi… Kerensky ! J'y vais, Simon, prends ton temps, Largo, sors en boîte avec lui… Occupez-vous !

Et elle partit le plus vite qu'elle put du Penthouse, de peur de ne plus se contrôler…

- Eh bée ! Je sais pas ce qu'elle a, cette semaine, mais elle fait du gringue à beaucoup de monde, je trouve…
- Ouais…
- Je me trompe ou ça n'a pas l'air de te déplaire ?
- Ça ne me déplaît pas du tout… Moi je trouve ça plutôt marrant. A certaines phrases, elle me demande de répéter, et quand je répète, elle ouvre de grands yeux et cherche à fuir le plus vite qu'elle peut. Je me demande quand même ce qui se passe…

La porte du Bunker claqua. Georgi leva les yeux, et observa Joy. Elle se planta en face de lui et lui tendit une seringue vide. Visiblement elle était allée la chercher à l'infirmerie du Groupe. Kerensky la dévisagea.

- Quoi ? demanda-t-il
- Fais-moi une prise de sang, s'il te plaît.
- Pourquoi ?
- Oh ne joue pas à ça avec moi Georgi… Kerensky ! Je ne suis pas comme d'habitude, je… Je ne sais pas ce que j'ai, mais je ne suis pas normale en ce moment ! Alors s'il te plaît, fais-moi une prise de sang et des analyses le plus vite possible !

Kerensky vit bien qu'elle n'en pouvait plus. Elle ne devait plus réussir à se contrôler. Dommage, elle lui plaisait bien, cette nouvelle Joy… Mais elle ne semblait pas penser la même chose que lui.

- D'accord. Je les envoie directement dans un bureau d'analyses, je m'arrangerai pour que tu aies ta réponses d'ici la fin de la journée…
- Merci Kerensky.

Et la fin de la journée arriva. La garde du corps fit tout ce qu'elle put pour éviter Largo, Simon et tout ce qui portait un uniforme, même les réparateurs de photocopieuses, puisque le mercredi, elle avait failli rouler une pelle à l'un d'entre eux, dans la salle où il y avait justement les photocopieuses… M'enfin bon, elle réussit donc à tenir toute la journée, et ce fut avec un soulagement tel qu'elle n'en avait pas connu depuis pas mal de temps qu'elle entra au Bunker, où, heureusement pour elle, il n'y avait que l'ex-agent du KGB, Simon les ayant déjà lâchés pour une belle blonde etc. , vous connaissez l'histoire, je vous passe les détails… et Largo dans son bureau, à terminer d'écrire un discours :

- Alors ?
- Alors j'ai les réponses, répondit Kerensky. Joy, tu as consommé de la drogue, dernièrement ?

Joy le scruta, le prenant pour un illuminé.

- Tu m'estimes si peu que ça ?
- Ou des médicaments, peut-être ?
- Oui. Des médocs, ok, mais de la drogue ?! J'ai eu la migraine toute la semaine. C'est enfin terminé. J'ai pris de l'aspirine.
- Toute la semaine ?
- Ben… Ouais.
- Quand as-tu commencé à en consommer ?
- On dirait que tu parles de cachtons, là…
- Joy, tu veux comprendre, ou pas ?
- J'en ai pris pour la première fois… Dans l'entrepôt où on a arrêté les trafiquants. Je l'ai pris à un gros qu'était à moitié dans les vapes.
- Et c'est après que tu as commencé à te sentir… en chaleur ?

Joy lui retourna une baffe retentissante.

- Ok… accorda Kerensky, sur ce coup là, j'ai pas été très subtil…
- Tu m'étonnes…
- Bon, alors je la refais : tu t'es sentie… bizarre ? Etrange ? Différente ?

Joy fronça les sourcils, et Kerensky souffla : il n'aurait pas le droit à une deuxième gifle…

- Tu crois que… ? commença Joy.
- Il te reste des cachets ?
- Oui, tiens.

Elle sortit la boîte de son sac, et la tendit à Kerensky, qui s'empressa de faire des recherches dessus.

- C'est bien ce que je pensais… soupira-t-il
- Quoi ?
- Ce produit contient de la testostérone en très forte quantité. Il y en a très peu chez les femmes –en tout cas, bien moins que chez les hommes. Et lorsqu'elles en ont une forte dose, forcément, ça se voit… Du coup, tu devais être plus attirée que d'habitude par les hommes qui te plaisent… Et tu devais avoir envie d'aller plus loin… Comme avec Largo…
- Oh merde ! Tu veux dire que c'est cette aspirine qui…
- Ce n'est pas de l'aspirine. C'est de la drogue que des proxénètes pourraient utiliser à de mauvaises fins…
- Tu t'en charges ?
- Pas de problème !

Le téléphone sonna, et Kerensky répondit. Après avoir raccroché, il regarda Joy et lui dit :

- Largo t'attends depuis ¼ d'heure.
- Attends, tu ne penses tout de même pas qu'après ce que tu viens de me dire, je vais aller chez lui, en pleine nuit, alors qu'on ne sera que tous les deux ?
- Il va se poser des questions, sinon…
- Ok, j'y vais, soupira-t-elle, mais si dans vingt minutes je ne suis pas descendue, tu viens voir ce qui ce passe et m'assommer si je fais quelque chose que je vais sûrement regretter par la suite.
- J'ai d'autres trucs à faire que de t'empêcher de faire ce dont Largo et toi avez besoin…
- Georgi !
- Ok, c'est bon, je le ferai…
- Merci.

Elle sortit, et appuya sur le bouton, pour appeler l'ascenseur. Mais trente secondes plus tard, elle revint dans le Bunker, et gifla une nouvelle fois Kerensky.

- Ça, c'est pour avoir cru que je ne t'en donnerai pas une deuxième.

Puis elle sortit pour de bon, laissant Kerensky se dire que la prochaine fois, elle se débrouillerait toute seule…

Non mais quelle idiote ! se répétait-elle en avançant malgré elle vers le Penthouse. Il fallait qu'elle s'arrête, et qu'elle parte en courant le plus vite possible, mais son corps ne lui obéissait pas. Sa dernière prise de ce cachet de malheur remontait à une heure. Donc il agissait toujours… Elle était devant la porte, et s'apprêtait à frapper. Mais elle se ravisa et tenta de partir. Sa manœuvre aurait pu réussir, si Largo n'avait pas ouvert sa porte à ce moment précis.

- Ah ! Enfin, je commençais à m'inquiéter ! s'exclama-t-il

En le voyant, Joy n'eut plus aucune envie de fuir. Sa seule envie pour le moment tenait en cinq lettres : LARGO.

- Désolée… Je m'étais perdue !

Le jeune homme la dévisagea. Il n'avait pas dû sortir de la douche depuis très longtemps, puisque ses cheveux étaient encore mouillés.

- Laisse tomber… Tu comptes planter une tente ici ou me faire rentrer chez toi ?

Il sembla se rendre compte qu'il l'empêchait d'entrer, aussi il s'effaça, et elle alla s'asseoir sur son coin du bureau, comme si de rien n'était.

- Alors, pourquoi voulais-tu me voir ?
- Je voudrais que tu me relises mon discours.
- Oh. Où est-il ?
- Tu es assise dessus.

Joy se leva du bureau, confuse, et attrapa la feuille. Elle commença à la lire, mais sentit le regard de Largo sur elle, toujours plus insistant. Et regard super insistant d'un beau gosse super riche sur femme shootée à la testostérone = désintéressement du discours que femme shootée à la testostérone -écrit par beau gosse super riche- tient dans les mains. Elle soupira, et regarda Largo.

- Quoi ? Tu n'aimes pas ?
- Je m'en fous, Largo.
- Quoi ? T'aimes pas ? Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Je n'en ai strictement rien à foutre de ton discours ! De toutes façons, personne ne l'écoutera ! Alors ne te prends pas la tête pour ça…

Elle balança la feuille par-dessus son épaule, et commença à s'avancer dangereusement vers Largo, qui lui, reculait sans trop comprendre ce qui lui arrivait. Tout échappait au contrôle de Joy qui tentait de se reprendre. Mais là… Le voir avec ses cheveux encore humides, et sa chemise entrouverte, elle n'avait pas pu résister

- Euh… Je ne sais pas ce qui te prend, Joy, mais je crois que tu vas le regretter… Et puis, ça me rappelle vaguement quelque chose que tu as regretté aussi…
- Qui t'a dit que je l'avais regretté ? demanda-t-elle, un sourire aux lèvres qui en disait long sur ses pensées, et en continuant d'avancer vers Largo…
- Je pense que c'est peut-être le fait que tu m'aies dit de me taire qui m'a mis sur la voie…
- Alors fais-moi plaisir, Largo, arrête de penser…
- Ben… Quand je le fais, tu m'engueules, alors là…
- Alors là tu es coincé…

En effet, Largo était bloqué par le mur, et ne pouvait plus reculer. Joy s'approcha de lui, et l'embrassa. Le jeune homme essaya de la repousser, la tentation étant trop grande, mais n'y mettant pas toute sa volonté… N'y mettant même aucune volonté, puisqu'il ne faisait ça que pour la forme, la garde du corps continua ses assauts, et commença à déboutonner la chemise de son patron, qui essayait de la raisonner, entre deux baisers :

- Joy… Tu… Non… Arrête… Je suis… Pas sûr de… résister… Encore longtemps… Si tu continues… Comme ça…
- Qui te demande de résister ?
- Toi, répondit une voix derrière elle.

Joy tomba dans les bras de Largo, qui la retint, et la porta sur le canapé, bien qu'il eut préféré que ce soit pour autre chose, finalement… Puis il se tourna vers Kerensky. Car c'était bien Kerensky qui avait assommé Joy.

- Wouah ! s'exclama-t-il. Merci Georgi, tu m'as sauvé la vie, là j'crois…
- Moi aussi…
- J'aurais pas résisté encore longtemps, à ce rythme là…
- Ah parce que tu résistais ?
- Au fait, qu'est-ce que tu fais là ? éluda-t-il. Et pourquoi est-ce qu'elle est comme ça ?
- Tu l'avais deviné, Joy n'est pas dans son état normal. C'est l'aspirine qu'elle a pris à l'un des trafiquants, lundi, qui est en fait à base de testostérone. Je suis fatigué, et j'ai encore du travail, donc j'ai pas le temps de t'expliquer. Tu sais te servir, d'Internet, tu le feras ! 'Fin bref, c'est pour ça qu'elle t'a allumé pendant toute la semaine. Elle était droguée…
- Et merde… Pourquoi à chaque fois qu'elle fait le premier pas il faut qu'elle soit droguée ?
- Hein ? demanda Kerensky, qui n'était pas au courant pour l'Arctique.
- Nan, laisse tomber… Bon, ben je vais la coucher dans mon lit, elle y sera mieux. Toute seule, rassure-toi ! Tu crois que demain elle sera normale ?
- Sans aucun doute, oui.
- Oh…
- Quoi, " Oh " ?
- Ben… J'aimais bien l'idée qu'elle me drague. Et puis tous ces lapsus ! A mourir de rire ! Rien que pour voir sa confusion, j'adorerais recommencer !
- Ouais… j'suis pas sûr qu'elle, elle soit vraiment d'accord… Bon, ben… Moi je vais me coucher. Si t'as besoin de mon aide pour calmer la furie, t'as mon numéro.
- Ouais. Au fait, Georgi, comment tu savais que… ?
- Joy se doutait qu'elle allait te sauter dessus. Elle a tenu toute la semaine, et elle était quasiment sûre de ne plus résister… Allez, à demain, chef capitaliste !
- Ouais. Bonne nuit !

Alors il avait droit à la passion, et au désir de la part de Joy ? " Quelle chance ! " pensa-t-il, heureux d'avoir enfin pu embrasser Joy, avec sa permission. Car oui ! Ok, elle était droguée, mais elle était consentante. Finalement, quoi qu'il arrive, il était heureux.

Le lendemain, Joy se réveilla dans le lit de Largo, un mal de crâne atroce. Mais alors là, celui qui lui parlait d'aspirine, elle le tuait ! Puis, se rendant compte qu'elle était dans le lit de son patron, qui l'attirait vraiment beaucoup, et qu'elle avait presque violé la veille, elle fut prise d'un gros doute : Qu'est-ce qu'elle foutait dans le lit de Largo ? Etait-il possible qu'ils… ? Donc qu'elle… ? Mais alors Georgi n'aurait pas tenu sa promesse ? Elle souleva les draps, et put constater avec soulagement qu'elle était habillée. Donc elle n'avait pas couché avec Largo, ce qui en soit était plutôt un exploit quand on connaissait la réputation du tombeur de ces dames… Elle se leva, et vit Largo assit à son bureau en train de réécrire ce fichu discours… Visiblement, certains passages étaient à reprendre. De toutes façons, elle n'en avait cure, puisqu'elle lui avait clairement fait comprendre la veille qu'elle préférait flirter, ou plutôt se jeter sur Largo plutôt que de lire un discours. Quoi que ce n'est pas spécialement difficile de la comprendre, quand on voit la gueule du perso…

Bon… Il n'avait toujours pas remarqué sa présence. Elle allait encore devoir lui faire le coup du " j'étais droguée, Largo, alors on oublie tout, et tu n'as pas intérêt à le répéter à qui que ce soit sinon tu le regretteras amèrement… ". Elle se dirigea vers le siège de Largo avec assurance, le retourna vers elle, et sans lui laisser le temps de dire : " Salut Joy, ça gaze ? Bien dormi ? ", elle enchaîna tout de suite :

- J’étais droguée, on est bien d’accord, il ne s’est rien passé et on va tout oublier, et tu n’as pas intérêt à parler de tout ça à qui que ce soit ! Ai-je été claire ?

Largo voulut protester avec véhémence et indignation, mais le regard de la jeune femme était suffisamment clair pour le moment :

- Oui.
- Bien.

Elle tourna les talons, et commença à partir, mais avant de partir, le milliardaire la retint :

- T'embrasses toujours comme une déesse, tu sais ?!
- Quoi ?
- J'ai dit : " T'embrasses toujours comme une déesse, tu sais ?! "

Elle lui lança un regard noir, mais finalement, lui sourit. Puis elle sortit. C'était toujours ça de gagné après tout ! Et à peine la porte fermée, on put entendre Largo murmurer :

- Et c'est pour ça que je ne l'oublierai pas Joy…


FIN
 
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